Dans le top 5 des albums sortis en 2013 et dont tout le monde semble autant se préoccuper que de son premier Curly, le nouvel LP d’Eleanor Friedberger semble bien parti pour figurer en tête de file. Comble de l'horreur, ce disque à partager entre amis sans modération porte bien mal son titre et n’a vraiment rien d’un "Personal record".

Début septembre oblige, impossible pour moi de faire attendre les brochettes qui grillent allègrement sur le barbecue et le petit verre de rosé qui délasse. La rentrée, c’est pour les autres et c’est très bien ainsi. Par manque de temps, on ne s’attardera donc pas ici sur les raisons qui nous ont conduits à mépriser sans même nous en rendre compte la sortie d’un LP solo d’une moitié des Fiery Furnaces – et si tu ne connais pas ce groupe, fais comme moi, passe ton tour et saute directement sur Eleanor pour en tirer du plaisir.

92c6f0eaD’entrée de jeu, la pochette en impose. Vue en plongée d’une nageuse qui semble perdue au milieu d’une piscine, sereine en apparence, en pleine apnée. Mélange d’inquiétude et d’apaisement aquatique. Immédiatement, je pense à The Swimmer, film déjanté de 1968 où Burt Lancaster entre par effraction dans une maison de campagne et plonge dans une piscine. En sortant de là, il annonce tranquillement aux propriétaires du lieu qu’il a décidé de rentrer chez lui à la nage, en traversant toutes les piscines du voisinage. Ovni.
Au premier abord, Personal Record n’a rien d’un objet non identifié. Chansons pop, refrains immédiats, arrangements aux petits oignons. Tout cet arsenal pourrait faire fuir un auditeur allergique aux caresses dans le sens du poil et lui donner une furieuse envie d’alimenter son barbecue avec le carton de la pochette, mais non… Ce disque a de la gueule. Rapide revue de cette auberge espagnole où il faisait bon poser ses espadrilles pour l’été : d’emblée, le chaloupé I don’t want to bother you semble chanté par le pendant féminin de Morrissey. Mais le Moz de la grande époque, celui du milieu des 90’s et pas le crooner boursouflé et beuglant dans le vide qu’il deviendra par la suite. Suit le très dansant When i knew (on y cause Replacements et Soft Machine, autant vous dire qu’on est pas chez Charlie et Lulu de Dance Machine), brillant mélange entre Saint Etienne et The Auteurs où on jure entendre la Sharleen Spiteri de The Hush régler ses comptes à toute l’intelligentsia pop. Spiteri ? Oui, parce que placer le nom de la chanteuse de Texas dans Gonzaï, c’est aussi jouissif que de s’enfiler une merguez grillée sous les palmiers bretons. On enchaîne avec I’ll never be happy again, joyeusement désenchantée mais dont les airs de déjà-vu laissent un peu l’auditeur sur sa faim.

Avec Stare at the sun, Eleanor passe la seconde. Si ce titre enlevé et rythmé fait le boulot, il le fait au noir et ne reçoit pas forcément les félicitations du jury. Pas grave, puisque la suite s’avère d’un tout autre calibre. Lorsque Echo or encore débute, on pense d’abord se retrouver propulsé chez le Katerine de la grande époque, celui du milieu des 90’s et pas le crooner technoïde qu’il deviendra par la suite, et puis la voix d’Eleanor débarque avec classe, la basse se fait plus jazzy – bordel, ne fuyez pas les muchachos, c’est la fin de l’été et même les fans de psyché ou de post-punk ont le droit de se retrouver à siroter une petite mousse en dégustant, crocs aux pieds, une bonne brochette de chez Intermâché – et on ne peut dès lors que rendre les armes devant tant de classe. A peine remis de nos émotions, voilà que déboule My own world, simili hymne pop aux arrangements délicats et ingénieux dont on se lasse pourtant assez vite après quelques écoutes.

EleanorFriedberger
A ce stade nous sommes au cœur de la bête, venant de basculer au début d’une B-side qui porte bien mal son nom. Tomorrow, tomorrow, You’ll never know me et I am the past constituent un bluffant triptyque. Un constat s’impose : Eleanor est une fucking songwriteuse comme dirait mon vendeur de sushis local. Elle a le sens de la formule qui fait mouche et de la phrase qui flashe. Encore trois banderilles à planter avant de remballer le paquetage, alors la Friedberger se lâche. Et lynche son auditoire pop.  She’s a mirror et son saxophone emporte la mise, le fifties Other boys remet les pendules à l’heure et confirme les 30 minutes précédentes : la production de cet LP est une merveille de neutralité bienveillante. Point final à ce festin de roi, le sublime Singing time est la ballade dont a toujours rêvé Nathalie Merchant lorsqu’elle était aux commandes des 10 000 Maniacs.

Et à part ça? A part ça rien, et c’est bien tout le drame de ce disque dont on aura bien peu parlé sur les plages cet été. Le plus simple pour se faire une idée sur un disque, c’est probablement de l’écouter me disait Josiane avant-hier. Je crois, après mûre réflexion et colloques, que tu as raison, Josiane. Sinon, vous reprendrez bien un petit Curly?

Eleanor Friedberger // Personal Record // Merge Records
http://www.eleanorfriedberger.com

4 commentaires

  1. Un excellent album, bien moins fade que ce que cette chronique pourrait laisser penser. Si vous voulez un album des Fiery Furnaces qui fait la part belle au songwriting de la dame, essayez « I’m Goin’ Away », il devrait vous plaire. Euh et sinon, j’ai pas trop compris ce que la métaphore filée sur le barbecue beauf venait foutre là…

  2. Toujours un plaisir, Sylvia. Bienvenue aux pays des haters. Evidemment ton avis sur cette chronique est tout à fait recevable. Par contre, je m’inscris en faux sur l’aspect beauf du barbecue. Noble occupation, comme le tuning que je vénère. Mais peut-être préfères tu te trémousser en jean slim et en ballerines autour d’un verre de Chardonnay ou aller chez Colette te dandiner sur le dernier trip-hop à la mode?

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