7 avril 2011, 15h30. Je me suis assis en tailleur sous une petite cabane en bois. J’ai ramené un grand verre d’eau, un pétard, l’album, le dictaphone. Déplié mes questions devant moi. Je n’attends plus que mon spirit partner du jour : Guy Carver, le chanteur d’Elbow. Ils viennent de sortir Build a Rocket Boys !, leur cinquième album, et sont à Paris depuis hier pour en assurer la promo. Normalement je devrais aussi y être, mais j’ai pris des vacances.
Je suis dans le sud-ouest de la France. J’y aide un pote qui vient de finir sa maison écolo, et de s’y installer avec femme et enfants. C’est ambiance brouette, bétonnière et toilettes sèches. Le soleil donne, les oiseaux chantent, paie ton short. Pas le cadre de mes habituelles interviews… Ça me fait donc tout drôle d’être là, à attendre le coup de fil de ce (presque) célèbre quintet de Manchester. Surtout que je ne devrais pas bosser. Mais je n’ai pas pu dire non. Comment ne pas aimer ce disque, ses invitations à tout débrancher, cette grande soufflette de nostalgie et d’espoir mêlés ? Dans ce cadre de firmaments sans filtre et de rush of blue to the head j’ai pu lui accorder tout le temps qu’il méritait. M’ouvrir à lui. Et je m’en serais voulu d’avoir passé ça sous silence. D’avoir manqué cette occasion d’échange. Et puis bon, tout ça, est-ce vraiment du taf ?
Bonjour Guy. Votre nouvel album Build a Rocket Boys ! vient de sortir. Le précédent, The Seldom Seen Kid, fut, je crois, votre disque qui a gagné le plus de récompenses et aussi celui qui s’est le plus vendu dans le monde. Cela vous a-t-il compliqué la tâche au moment de vous mettre à travailler sur son successeur ?
Hé bien je pense que si ça avait été notre premier album, oui, ça nous aurait collé une sacrée pression. Mais comme c’était notre quatrième, on avait confiance. On l’a donc abordé sereinement. En plus on savait que cet album ne pâtirait pas de difficultés financières et de sorties décalées sur différents labels comme ça avait été le cas pour les précédents. On savait que les gens attendaient ce disque, et on savait qu’on allait pouvoir toucher plus de gens que jamais. On était donc ravis.
Est-ce pour cela qu’il y a trois ans, quand vous avez gagné le Mercury Prize, vous avez déclaré que c’était la chose la plus formidable qui vous soit jamais arrivée ?
Oui, d’un coup c’était comme si tout le monde avait vu qu’on avait des couilles, et que tout le monde se passait le mot. C’était bizarre, toute cette bienveillance, ce consensus général. Aucun média ne remettait en cause notre victoire. Mais c’était super. Ça nous a apporté plein de belles choses durant l’année qui a suivi. Pour l’album suivant on s’est donc retrouvés comme d’habitude, tout naturellement, et on a pris plaisir à faire ce disque. Peut-être même plus qu’aucun autre. On a beaucoup ri.
Il n’y a donc pas eu de batailles en studio, créatives, humaines, rien ?
Non. De toute façon on ne se bat jamais. En 20 ans de vie de groupe on ne s’est jamais mis une seule fois sur la gueule. Individuellement chacun d’entre nous peut avoir en lui une certaine violence, mais jamais en groupe.
A ce moment-là qu’écoutiez-vous ?
Je crois que j’écoutais pas mal The Walkmen et Joan As Police Woman. Et Jolie Holland aussi. Je suis un gros fan, elle est stupéfiante.
Et vous, où vouliez-vous aller avec ce nouvel album ? Juste raconter d’autres choses ? Expérimenter d’autres sons ?
Oui, comme à chaque fois. On a toujours fonctionné comme ça et ce n’est pas le moment de changer. On est fiers d’être un groupe depuis 20 ans, mais je dirais qu’on reste avant toute chose des fans de musique. On continue de regarder tous les groupes qu’on admire et de nous dire : « Qu’est-ce que je penserais si mon groupe préféré donnait tout à coup dans la pop racoleuse ? » Voilà, on se pose juste sans cesse la question de notre responsabilité par rapport à ce qu’on a déjà fait. On essaie de continuer à faire une musique dont on soit fiers. C’est ce qui compte vraiment pour nous.
Ces dernières années, votre regain de notoriété vous a ouvert les stades. Savoir que vous rejouerez dans ces conditions a-t-il affecté la composition de Build a Rocket Boys ?
Je ne peux pas dire que ça ne soit jamais entré en ligne de compte pendant l’élaboration de l’album. C’est une chance pour nous de pouvoir faire ces grandes scènes, et après tu ne peux pas faire comme si de rien n’était. Quand tu entends des milliers de personne reprendre tes chansons en chœur, ce n’est pas rien, quelque part ça résonne [il fait référence à Grace Under Pressure, morceau de leur deuxième album dont le refrain a été enregistré alors qu’ils le jouaient en 2002 au festival de Glastonbury et que des milliers de fans reprenaient avec eux : « We still believe in love, so fuck you ! »,NdA]. En tous cas pour nous ça fait sens. Et on savait que ça allait se reproduire. On ne pouvait donc pas faire autrement qu’inclure ça dans notre démarche. Sur le nouvel album un titre prend clairement acte de cette situation.
C’est Open Arms, n’est-ce pas ?
Oui. On l’a enregistré avec la chorale de Hallé Youth. On avait fait un festival avec eux il y a environ deux ans, et comme on avait adoré cette expérience on les a rappelés pour ce morceau. C’est super enthousiasmant d’enregistrer ça avec tant de jeunes gens réunis dans la pièce. Je pense que ça transparaît dans le disque.
Artistiquement, vous diriez donc que le succès ne vous rend pas démago ?
On n’essaie pas de devenir de plus en plus gros à tout prix. Et je serais frustré de faire de la musique formatée pour les radios et les stades, autant que si je faisais une musique artistiquement inaccessible. On a toujours voulu partager notre musique avec le maximum de personnes, et on a la chance que de plus en plus de gens se soient progressivement mis à acheter nos disques et à venir nous voir sur scène. Mais nous restons avant tout un groupe à albums. Porté sur le songwriting. Ce qui nous importe c’est de faire des disques que l’auditeur pourra écouter seul, chez lui. Un disque qui lui tienne compagnie. Intègre la bande-son de vie.
A l’inverse, ne craignez-vous pas de vous prendre trop au sérieux ?
Hum, je ne sais pas. Pour moi tout ça reste un processus sensitif. Le fruit de la rencontre de nos goûts et de nos sensibilités à tous les cinq. Ce n’est que ça la musique d’Elbow. On l’a toujours considérée avec le plus grand sérieux, mais après on ne se prend nécessairement au sérieux en tant que personnes et en tant que groupe. On ne prend pas non plus l’industrie musicale trop au sérieux. On sait que ce qu’on fait n’est pas la chose la plus importante au monde, mais on fait de notre mieux pour que notre musique apporte joie et réconfort aux gens ordinaires. Voilà, je crois que c’est ce qu’on essaie de faire.
C’est votre côté « working class hero » ?!
Ahaha, si tu veux !
Parlez-moi de votre nouveau single, Lippy Kids. Qu’est-ce qu’un « lippy » kid ?
Ça veut dire « arrogant ».
Pourquoi l’avoir choisie comme single ?
Avant tout je pense qu’on voulait parler à tous les gens qui ont toujours acheté nos disques. Montrer qu’on aime toujours les chansons subtiles, qu’on défend toujours les mêmes valeurs. Aussi si ce morceau donne son titre au disque c’est parce qu’il délivre une sorte de message qui nous tient à cœur. Je veux dire qu’on a vieilli maintenant, la plupart d’entre nous ont des enfants, des maisons, des crédits sur le dos, et quand tu as ce genre de choses à protéger, que, pour résumer, tu es devenu un adulte, sans t’en rendre compte tu peux te mettre à voir les jeunes d’un mauvais œil. Un jour je me baladais en ville et à l’angle d’une rue j’ai vu une bande de jeunes. Tu sais, en train de zoner en fumant des clopes avec leurs sweats à capuches. Et je me suis surpris à les juger négativement sans raison apparente. Ça m’a perturbé. Je me rendais compte que j’avais eu tort de réagir comme ça. Je me suis souvenu que j’avais été un de ces gosses, que cette période était difficile, qu’à leur âge je me demandais ce que j’allais devenir. C’est comme ça que ce morceau est né. Et si son titre semble s’adresser aux jeunes, c’est aussi un message aux gens de mon âge. Les jeunes ont besoin de compréhension, d’encouragement.
Une autre chanson semble particulièrement importante sur Build a Rocket Boys !, c’est The Birds. Elle figure à la fois en ouverture et en avant-clôture du disque. Pourquoi ?
The Birds est une chanson sur la nostalgie de l’amour. Elle est écrite du point de vue d’un vieux monsieur qui se souvient de sa dernière histoire et de comment elle a pris fin. A son âge il sait qu’il n’en revivra plus, que tout ça est définitivement derrière lui. Il sait aussi qu’on n’est peut-être jamais aussi près d’une personne que lorsqu’on la quitte, qu’on en discute avec elle et qu’on réalise que voilà, c’est la fin. En un sens, ça peut même être le climax d’une histoire d’amour. Son moment le plus passionné. Et donc dans la chanson ce vieux monsieur observe des oiseaux dans le ciel. Il repense à tout ça, tous ces moments, toutes ces femmes qu’il a aimées. Au fait qu’il est seul aujourd’hui. Il regarde ces oiseaux et à force ils se mettent à prendre la forme de toutes les personnes qui furent ses amis, et ils lui disent : « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? Tu n’as fait que répéter la même histoire. Mais allez, viens avec nous. Regarder en arrière c’est bon pour les oiseaux. ». Ils ne le blâment pas d’avoir expérimenté l’amour, la passion, et d’avoir échoué à chaque fois. Ils comprennent et essayent plutôt de lui remonter le moral. En un sens je pense que cette chanson montre bien la situation d’une personne âgée, seule, isolée. Ce qui peut se passer dans sa tête. On voulait aussi mettre cette approche du texte en avant. On a donc auditionné de vieux messieurs recrutés auprès d’agences spécialisées, et notre choix s’est porté sur ce monsieur, John Mosley.
Au-delà de la métaphore entre les oiseaux et le souvenir amoureux, j’ai appris que vous aviez une vraie passion pour l’observation des oiseaux…
Oui, j’ai même fait un documentaire pour la BBC à ce sujet : A la recherche de la caille sacrée [In search of the holy quail en V.O, NdA].
Je voulais donc savoir si vous aviez aussi une affection toute particulière pour les pop songs qui parlent d’oiseaux. Quelle est votre « bird song » préférée ?
Je crois que c’est Black Bird de Paul McCartney. Et tiens, ce matin j’ai aussi écouté Albatross de Fleetwood Mac [instrumental de guitare planante signé Peter Green, sorti en 1969 ; il aurait inspiré Sun King aux Beatles, NdA].
J’espérais secrètement que vous me citiez Talk Show Host de Radiohead !
Oh oui ! J’aurais pu.
Elle ne porte pas de nom d’oiseau mais contient cette phrase : « Floating upon the surface for the birds, the birds, the birds… ».
Je trouve que son atmosphère morbide et délétère traduit bien ce sentiment confus qu’on peut éprouver en regardant les oiseaux et en pensant à ses histoires d’amour…
Je vois. J’aime cette chanson. J’aime Radiohead.
Vous avez un jour déclaré que sans eux il n’y aurait pas d’Elbow…
C’est vrai !
Vous inspirent-ils toujours ?
Oh oui, ils sont toujours importants pour nous, on surveille ce qu’ils font. J’aime la direction que prend leur musique. Leur songwriting ne cesse de s’épurer, je trouve que ça leur va bien.
Avez-vous écouté leur dernier album, The King of Limbs ?
Oui, je l’aime beaucoup. Et j’aime son format, le fait qu’il n’y ait que 8 chansons, je trouve ça bien. Tous les albums d’aujourd’hui devraient tirer parti de cette durée.
Un jour Chris Martin de Coldplay a dit qu’il avait l’impression que Radiohead « avait taillé la jungle à coups de machette » et qu’ils étaient arrivés après en y installant un « hypermarché ». Aujourd’hui il donnerait encore sa « couille gauche pour écrire quoi que ce soit de la trempe d’Ok Computer ». Diriez-vous la même chose ?
Hum, je ne sais pas. Je n’ai pas cet état d’esprit de comparer ce qu’on fait à ce que font d’autres groupes. Aussi bon soit-il, je ne regarde jamais un groupe comme le reflet de nos échecs ou de nos faiblesses. Pour moi, faire de la bonne musique et finir un album est déjà un tel challenge que je n’ai pas le temps de nous comparer aux autres groupes.
Pour toi la pop musique n’est pas une question de compétition ?
Non, et honnêtement je trouve rarement des musiciens qui pensent comme ça. Parfois quand tu tombes sur un jeune groupe, tu as l’impression qu’il est dans la compétition. Parce qu’il a ses preuves à faire, il y a parfois de l’arrogance dans l’air. Mais souvent quand tu retrouves ces mêmes groupes quelques années plus tard tu t’aperçois qu’ils ont revu leur jugement. Après quelques années dans la musique ils ont réalisé que ça ne servait à rien de se faire mousser en se comparant aux autres. Chacun essaie juste de faire la meilleure musique qu’il peut, de trouver son propre son, c’est tout ce qui compte et c’est dur. Donc voilà, après quelques années la plupart des groupes ont appris l’humilité. Mais il y a bien sûr des exceptions.
On vous compare souvent à Coldplay, tout en reconnaissant que vous produisez une pop plus recherchée, raffinée. Que pensez-vous de cette éternelle comparaison ?
Oui, je vois bien d’où ça vient. On a beaucoup d’influences en commun, et Chris Martin et moi avons une façon parfois similaire de chanter. Et puis on a émergé en même temps. On est d’ailleurs très amis. Et ils nous ont toujours soutenus. Je peux donc comprendre pourquoi les gens nous comparent.
J’ai l’impression que ce qui vous réunit c’est aussi un certain feeling gospel, qu’on retrouve dans votre musique et votre façon de chanter…
Je ne dirai pas qu’on fait de la musique gospel, mais j’ai été élevé dans une famille catholique. Et l’Eglise catholique en Angleterre c’est quelque chose qui peut sembler ennuyeux à mourir, et qui l’est parfois, mais c’est ce qui faisait que le chant était très présent chez moi. Bien que je ne sois plus croyant, tout ça m’a influencé. L’idée de plusieurs personnes qui chantent ensemble fait partie de mon enfance. Même mon premier enfant est allé à l’église.
Elbow n’est donc pas un groupe de bigots ?
Non, nous ne sommes vraiment pas ce genre de groupe. J’ai été à l’église et j’y ai pris des choses, certaines valeurs, mais aujourd’hui je n’y vais plus. De toute façon je n’ai jamais été très croyant. Je crois bien que je suis trop tourmenté et trop bon vivant pour ça. Trop conscient aussi de toutes les mauvaises choses que la religion a causées. Je n’aime pas les gens trop sûrs de leurs croyances, ceux qui essaient de t’imposer leur vision des choses, qui te disent : « Tu ne peux pas croire, ou tu dois croire en telle chose ». Et ils ont beau te parler de la Bible, pour moi ce n’est plus de la croyance, c’est du fanatisme, de la bêtise. Mais bon, la religion permet aussi à de nombreuses personnes de faire face à leur vie. Parce qu’au-delà de la croyance, ce qui compte dans la religion c’est aussi et surtout l’idée de communauté, de transmission, de valeurs.
En même temps, en élaguant encore votre son comme vous aviez commencé à le faire sur The Seldom Seen Kid, vous prêtez plus que jamais le flanc à ce type de suspicion. C’en est fini des saillies rock voire noise qui parasitaient vos grandes arches atmosphériques ? Je trouvais que ce mélange faisait tout le sel de votre deuxième album, Cast of Thousands.
Ah, j’ai l’impression que ce disque a réveillé le fan de prog rock qui sommeille en toi !
Oui, pour tout dire je trouve que c’est votre meilleur album…
En tous cas c’est celui où on se rapproche plus que jamais de Genesis et de King Crimson ! C’est dû en partie à Ben [Hillier, le producteur du disque, NdA]. Il était vraiment d’avis de nous laisser expérimenter en studio. Et on voulait vraiment explorer musicalement, pour nous c’était important.
J’ai aussi entendu que ce disque aurait été influencé par votre rencontre avec les Doves…
Oui, ce sont de très bons amis. Ils viennent aussi de Manchester. Ils ont émergé un peu avant nous et ils nous ont vraiment aidé au début. Je me rappelle qu’on écoutait les démos de leur premier album [Lost Souls, sorti en 2000, NdA] quand on a commencé à écrire Asleep in the back [sorti en 2001, NdA]. Et lorsqu’on a écrit Cast of Thousands, on tournait avec eux. Là, on arrêtait pas de discuter et de faire de la musique avec eux. On est vraiment devenu amis. Et on l’est toujours [Jim Goodwin, le chanteur-bassiste des Doves, a même déclaré qu’après en avoir tant parlé avec son pote Guy, et avoir même commencé quelques trucs, il aimerait vraiment, s’ils arrivent à accorder leur planning, sortir un album qu’ils auraient composé ensemble, NdA]. Pour toutes ces raisons Cast of Thousands fut un disque très sophistiqué. Ces dernières années on a plus essayé d’épurer la musique, de n’en garder que les motifs essentiels, pour faire des chansons plus pures.
Dans un esprit plus proche de Talk Talk ?
Oui, c’est ça !
Auquel vous accédiez déjà dans Cast of Thousands avec Switching Off, ce monument de grâce qui troue littéralement l’album. Parlez-moi un peu de ce morceau, de quoi parle-t-il ? Comment l’avez-vous fait ?
Elle a débutée avec Mark Potter à la guitare acoustique et moi au chant – on en a d’ailleurs fait une version acoustique qui est très belle. Ensuite, comme d’habitude, on l’a étoffée ensemble. Mais au final on a retiré la guitare parce qu’on ne la jugeait pas nécessaire. Ca, c’est quelque chose que tu ne peux accepter que si tu as pleinement confiance en ta place dans le groupe. Et Mark a eu la sagesse d’admettre que le morceau pouvait effectivement très bien se passer de sa partie de guitare. L’idée du morceau est venue d’une discussion que Peter [Turner, bassiste, NdA] et moi avons eue un jour dans un bar. On se disait que s’il est vrai que lorsqu’on meurt on voit toute notre vie défiler comme un film, alors ce serait bien d’en profiter pour y inclure dès à présent une scène où on choisirait nos derniers mots, comme ça le moment venu on ne serait pas pris au dépourvu, on saurait exactement quoi dire. Ce jour-là on a donc décidé que nos derniers mots seraient : « . »
Ahahahah !
Oui, ça ne veut évidemment rien dire. C’est juste fait pour semer le trouble chez notre famille et nos proches (rires) ! Le morceau est donc parti de cette idée : on peut choisir à l’avance la dernière pensée qui nous habitera au moment de mourir. Et dans cette chanson ce que j’essaie de dire c’est que ça y est, j’ai trouvé la scène mentale sur laquelle je veux finir ma vie. C’est sur ce doux soir de juin où j’étais dans cette chambre à écouter la radio avec elle et la lumière du soleil qui perçait encore à travers les rideaux. Voilà, c’est là-dessus que je veux partir. Avec elle.
Musicalement vous voulez donc faire de plus en plus ce genre de morceaux ?
Oui, pour l’instant, mais ça ne veut pas dire qu’on ne remontera pas le volume un jour !
Vous êtes d’ailleurs des hommes de son. Vous, Guy, vous avez par exemple produit le premier album d’I Am Kloot et co-produit leur dernier single. Vous continuez de travailler pour Skinny Dog, un label indépendant de Manchester. Et depuis votre troisième album vous produisez vous-même vos propres disques. Pourquoi un tel choix ?
Quand on s’est tous rencontré, on s’enregistrait déjà par nous-mêmes. Et puis Craig, notre claviériste, a pris de plus en plus confiance en ses talents de producteur, et voilà, ça s’est fait comme ça. Au final ça nous permet de fonctionner et de communiquer plus directement entre nous en studio.
Vous produire vous-même n’a donc pas été motivé par votre désir de vous émanciper des pressions artistiques des maisons de disques ?
Non, mais c’est sûr que ça aide parce que parfois, quand on t’offre les services d’un producteur, tu te rends compte qu’il travaille plus pour la maison de disques que pour toi. Ca peut être une source de tensions. Mais je comprends cette intrusion. Financer de la musique est un business risqué. Tu n’y fais pas des produits qui répondent à des besoins concrets, tu manipules des opinions, des sensibilités. C’est compliqué. On a donc beaucoup de chance d’avoir quelqu’un comme Craig et un label d’envergure mondiale qui respecte nos partis pris artistiques.
J’ai appris que votre premier nom de groupe était Mister Soft. Vous vous êtes ensuite appelés Soft, et que ce n’est qu’en 1997 que vous avez opté pour Elbow. Pourquoi tous ces changements ?
C’était vraiment d’affreux noms de groupes (rires) ! Mais à nos débuts notre musique n’était pas mieux. On faisait du mauvais funk, car on voulait faire danser les gens, et je chantais comme Thom Yorke. Bref, on s’est dit qu’en continuant d’envoyer des démos sous un tel nom on ne mettait pas toutes les chances de notre côté pour être ne serait-ce qu’écouté avant de rejoindre la poubelle. On devait donc au moins changer de nom. On a choisi Elbow. On ne pouvait pas mieux trouver ! C’est aussi classe qu’avant !
Il paraît que vous avez tiré ce nom de groupe d’une série télé de la BBC…
Oui, c’est vrai, ça n’en fait pas moins un affreux nom de groupe !
La série date de 1986, elle s’appelle The Singing Detective et dans celle-ci un personnage dit que « elbow » est le mot le plus sensuel de la langue anglaise, non pas pour ce qu’il signifie mais pour sa façon de sonner en bouche. C’est l’anecdote que j’ai trouvée rapportée sur le net. Cela voudrait-il dire que vous avez abandonné la musique dansante pour une musique plus sensuelle et sentimentale ?
Ahahaha, je ne sais pas !
Moi j’ai parfois l’impression que vous êtes une sorte de Barry White du spleen rock !
Ahahahahaha, moi le Barry White du spleen rock !?
Oui, à égalité avec Matt Berninger de The National !
Ahahahaha, elle est bonne celle-là ! Ce que je sais, c’est que cette série a été un moment-clé de mon enfance. Elle contenait plein de ressorts dramatiques et musicaux qu’on retrouve beaucoup dans les séries d’aujourd’hui. Des choses qui n’avaient pas été faites avant. Il y avait aussi des scènes de sexe et de violence assez explicites pour un programme de la BBC. Normalement, à l’âge que j’avais, ma mère ne m’aurait jamais laissé regardé ça, surtout un dimanche soir et à une heure si tardive, mais artistiquement cette série était tellement innovante qu’elle a sans doute jugé préférable que je puisse en profiter. Voir que des programmes de cette qualité existaient.
En général les groupes de pop anglaise comme vous, qui cartonnent au Royaume Uni, cartonnent presque autant en France. Ce n’est pas votre cas. Chez nous votre notoriété reste mitigée. Comment l’expliquez-vous ?
Je crois que tout ça est une histoire de malchance. Comme je te le disais, avant on avait différents labels qui s’occupaient de nous selon les pays, c’était donc un peu le bazar. Mais ça y est, maintenant c’est réparé, on est enfin entouré des bonnes personnes. On espère donc prochainement mettre l’accent sur la France. Pour nous c’est très important, et pas seulement parce que c’est là qu’on a écrit notre premier album et que j’y ai de la famille. Ca l’est aussi parce que c’est un beau pays, qui a beaucoup de respect pour l’art et où plein de gens nous suivent déjà. On a donc vraiment envie de venir jouer plus souvent en France. On y travaille.
Vous avez déjà un concert de prévu ?
Oui, on sera au Festival Main Square d’Arras en juillet [en ouverture de Coldplay, NdA] et on reviendra peut-être faire une petite tournée avant la fin de l’année. Viens, on ira se prendre une bière !
Elbow // Build a rocket Boys! // Polydor
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