Le chapeau d’un papier, c’est un peu comme une mineure bulgare égarée au bois de Boulogne passé minuit ; ça dandine du bas de casse, ça racole, mais l’extase n’est jamais garantie sur facture. À peine plus jeunes que Tristane Banon mais nettement plus cosmiques, les chicanos d’El Gran Chufle s’extraient quant à eux du trou noir – rien à voir avec Tristane – pour livrer un OVNI qui sonne comme le duo de Air qui aurait gobé du pris du Peyotl dans un saloon pour Playmobil avec Link Wray dans le rôle du parrain. Voilà pour la notice putassière.

Avant de s’attarder dans les grandes largeurs sur ce premier disque recommandé par les meilleurs herboristes davantage accros à la weed qu’à la camomille, permettez-moi d’insister le temps d’un paragraphe sur l’utilité même d’un chapeau journalistique. En bon serviteur qu’il est, le scribouillard s’attelle à y injecter toute sa sève synthétisée en quelques lignes d’accroche, histoire de donner envie au lecteur fainéant de laisser trainer son œil quelques lignes de plus. « Pour voir », comme on dit au poker, seul face à son écran comme une loque humaine ayant décidé de surfer gratuitement sur le Net à la recherche d’une énième sensation musicale consommable sur iPhone. Ce monde vous semble pathétique ? C’est aussi le vôtre, ne souriez pas. Bref. Pendant ce temps, ce même lecteur décide de se laisser emporter ou non par le flot de nos mots bien choisis. Dans le meilleur des cas, il se laissera prendre par votre poilante histoire de Mexicains de l’espace à cheval entre Timothy Leary et Star Trek. Et dans le pire, il passera son chemin d’un simple « clic », bruit sec et tant redouté par tous les rock critics que comptent le cyberespace.

On peut aussi, tant qu’on y est, se demander si vous n’avez rien d’autre à foutre, vu l’heure tardive, que de lire un papier sur un quatuor composé d’un membre de Panico, d’un autre de Holden, d’une nana à l’orgue et d’un bassiste dont on a – par définition – déjà oublié le nom. Cet alliage de bonbons mal assortis, c’est El Gran Chufle. La pochette de leur premier album, « Waitecas », illustre un ersatz de planète lointaine aux couleurs cramées et jusque là, pas de quoi fouetter un alien ou se déchirer la combinaison. Le premier picotement vient pourtant dès les premières notes de The Theme, chanson d’ouverture évoquant autant la surf music des années 60 qu’un générique de série américaine – ce qui revient peu ou prou au même. Il y a des ZWING, des WOUHOUHOU et du BLIRP à tous les étages, c’est autant une dédicace à Pierre Henry qu’au garage cosmique des Electric Prunes. Diable, ça change des groupes amateurs qui vous harcèlent au quotidien pour liker leur page Facebook. Cet UFO free qui délivre un message fait de notes bien appuyées avec la pédale d’effets, c’est immanquablement l’œuvre d’un groupe influencé par le psyché so british de The Oscillation. Et pour cause, El Gran Chufle est signé sur le même label qu’eux – All Time Low, preuve que l’espace est lui-même régi par des lois aussi réglées qu’une femme cosmonaute.

Où j’en arrive encore à me demander si votre vie sociale est tant dénuée d’intérêt que vous soyez encore à mes côtés dans mes divagations sur ce premier album, largement au dessus de la mêlée. Toujours rien de mieux à faire, vous êtes sûr ? La publicité n’est pas encore finie, le chat a mangé ses croquettes, vous êtes bien installé dans votre sofa acheté à crédit ? Très bien, continuons.
À leur façon, les latinos d’El Gran Chufle ont visiblement tout compris. Des dix titres – dont un dernier remixé par Krikor – il n’y a rien à jeter. Quasiment aucune parole. Que du rythme. Du boogie martial inspiré par les vieilles légendes incas qui parlent d’atterrissage d’OVNIS sur le lac Titicaca, de voix de l’au-delà hantant les deux Chiliens du groupe et d’extraterrestres ayant compris comment placer correctement les micros pour reproduire le son d’antan sans pour autant passer pour des faussaires. Que reste-t-il au final, quand l’auditeur s’est purgé de ces histoires d’un autre siècle ? Attendez voir…  ah oui, la musique ! Merveilleuse, parsemée de comptines (Fire & Wine) qui empruntent à la dream pop de l’Angleterre tatcherienne, d’autres plus rugueuses (Terremoto) avec du Farfisa comme seule rustine et d’autres encore (Le rebel) parfaites pour gravir les Alpes avec une fusée dans le dos. Un quasi sans faute, peut-on écrire sans trembler du poignet, et une maîtrise des arrangements comme on n’en entend rarement chez des groupes aussi jeunes. Aussi sûr que Jacques Cheminade ne foulera jamais le sol martien et que l’ombre Joe Meek plane sur ce premier album monté sur transistors, El Gran Chufle écrit donc avec « Waitecas » le début et la fin d’une histoire infinie. Et le critique de finir sa propre histoire comme il l’avait commencé, en tirant son chapeau.

El Gran Chufle // Waitecas // Hueso Records (All Time Low)
http://elgranchufle.bandcamp.com/

1 commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages