Aujourd’hui il pleut et c’est vendredi. Je traîne tel un zombie dans le bureau. La musique qui passe me rend mélancolique, le regard des gens me rend mélancolique, la façade à la peinture écaillée me rend mélancolique, mon inactivisme me rend mélancolique. Quand je suis mélancolique je pense toujours à des choses absurdes et dérisoires, tentant de voir si elles m’apparaissent sous un nouvel angle, plus doux, plus poétique. J’aime la mélancolie, sans elle disait Cioran « les rossignols se mettraient à roter ». Sans explications mon esprit s’arrête sur le Hellfest.
« RIGOLO », le mot va si bien à ce festival. Des bons groupes y’en a toujours mais la prog’ est aussi délicate qu’un tractopelle et elle ramasse quasi tout ce qui traîne sans distinguer le caviar de la vieille endive au jambon – ils ont certainement une explication, une histoire de pognon ou autre, mais je ne veux pas l’entendre, je n’aime pas les explications. Sans systématiser la chose, j’ai remarqué que ce sont souvent les gros bulldozers qui se trimbalent les typos les plus laides et dégueulasses – ceux-là mêmes qui se foutent de leurs fans depuis une bonne décennie et continuent à faire semblant d’être en vie. Je me demande si ces typos valent quelque chose, ce qu’elles disent des groupes eux-mêmes. Je n’ai pas la culture métal, je pèche par novisme, personne dans l’open-space n’a cette culture en vérité. Dommage, j’aurais aimé une explication. Je me refuse à croire que le mauvais-goût est endémique. D’autant plus que parmi les quelques groupes de black et autre que j’écoute et apprécie, certains ne semblent pas tributaire de cette esthétique (voir le magnifique « Sunbather » de Deafheaven, Sunn O))) etc.). Bref, je suis certainement le plus mal placé pour parler du Hellfest et de métal en général, mais si je m’adresse à un graphiste, lui sera légitime pour me parler de typographie. Par chance j’en ai un sous la main.
Le doc’ en question c’est Fiston, avec qui nous partageons l’open-space. Quand je lui montre l’affiche, les pupilles du n.e.r.d aux allures de Sean Connery se dilatent à la manière de celles d’un camé après son shoot. Totalement happé par l’objet, il prend distraitement une feuille volante sur son bureau et se met à écrire énergiquement. Son bras, fin et précis, devient l’extension de son nerd-optique. Après cinq minutes, il me tend sobrement le papier, me glisse un « je ne les ai pas tous fait » et passe à autre chose. Je me dis que décidément l’expert est rapide, précis comme un aigle.
Mon histoire de mélancolie a donc rapidement changé de dimension et je deviens en l’espace de 20 minutes le premier homme à avoir testé empiriquement la proximité entre un groupe de métal et sa police de caractère. Montre moi ton « style » je te raconterai qui tu es – et par extension qui sont tes fans. L’euphorie de la science, le génie d’un homme, la poésie surréaliste et le néant.
Slipknot : Typo à la main qui coule. Ça tremblote comme la vie qui s’en va mais c’est compact, équilibré, la mort a été lente et douloureuse. Très adolescent.
Judas Priest : Typo électrique et liée. C’est anguleux, c’est nerveux mais en même temps très carré. Et cette inclinaison descendante… la menace est bien là. L’antéchrist est dans ce T même s’il a la mauvaise idée de ressembler à une croix. On dirait une marque d’ampli ou de guitare, pas très original.
ZZ Top : C’est la Bike à papa avec un Arc dit « dos de cuir ». Retour à la tradition. Sérifs (petits empattements) pour faciliter la lecture et effet barbelé : pas d’angles nets mais des pointes acérées. Ça se la joue gros dur mais ça soigne les petits yeux fatigués.
SLASH : Propre comme un salon de barbier de Brooklyn. Dash deux en un. Marque de savon ou de produit de toilette. C’est du OMO métal.
Motörhead : Ça sent le cuir. Pas de majuscule, pas d’espace, sobriété du mot ultime. Le « h » redescend comme une faux. Le O transpire deux gouttes. Parfait.
Alice Cooper : Que la petite Alice rende les crayons qu’elle a volés et qu’elle continue à se scarifier sans emmerder le monde.
KorN : 4 lettres, deux majuscules. Sinusoïde Mur, j’écris mon nom. La barre du cas déborde, quelle folie.
Nightwich : Métal anglais ? Qu’est-ce que c’est que cette écriture romantique en pleins et déliés ? Qu’est-ce que c’est que ce travail de calligraphie classique ?
Marilyn Manson : À un moment il faut choisir entre lisibilité ou non lisibilité. Pourquoi martyriser chaque lettre ? Pourquoi ces M massifs et ce N qui disparaît dans l’infini ? POURQUOI ce S ? Le O doit-il rouler en arrière ? Pourquoi des petits trous par-ci et pas-là ? Marilyn aurait un problème capital avec la graisse ?
Airbourne : Arc dit « dos d’aviateur ». « A » Eiffel et « E » fourche qui piquent avec leurs pointes en flèche. La seconde guerre mondiale a toujours été une riche source d’inspiration pour les mecs en manque d’imagination.
Maintenant que je termine de rédiger mon article, l’idée me vient qu’il aurait été bien mieux sur Vice, eux ils savent vendre de l’humour. Je regarde par la fenêtre, je respire une dernière fois l’air de l’open-space vicié par le café… ça y est la mélancolie revient.