Musée des horreurs, d’accord, mais quelle foutue autoroute de sensations. Exactement ce qui nous faut par ces temps de mollesse. Les vignettes défilent comme un snuff 2.0. Section très chasse. Olivier Cornill avait raison avec son cerf ; les photos d’animaux morts ont quelque chose de noble que les photos de groupes en live n’atteignent jamais. Plus vivant, paradoxalement. Vérifiez vous-même sur Flickr ! Tags : Dead, Animal.
Ma collection personnelle contient en numérique deux poissons trouvés raides morts en pleine rue (sic. L’un à Tipperary, Irlande, l’autre à Annecy) et un pigeon boulotté par un rat dans les rues de Benfica, à Lisbonne. Délire scabreux-rigolo qui me vient d’on ne sait où, mais si on ne peut plus rire de l’absurdité de notre condition humaine, alors je veux bien brûler toute ma collection d’Edika. En plus de ces trophées maison, j’ai déjà été confronté de visu à quelques chiens morts (à commencer par les miens), une vache dans les alpages, mais jamais, sinon dans quelque western de mon enfance, je n’ai vu le cadavre d’un cheval. Et je n’aurais jamais fait l’effort d’en chercher si je n’étais pas tombé sur le nom de ce groupe dans le catalogue de Beast Records (« the best records are on Beast records »).
Regardez-les encore une fois : Combien de groupes figés dans le pixel ou sous glaçage 10×15 vous ont déjà vraiment remué ? Transporté ? Combien affichait à ce moment-là cet air de vraiment se battre pour leur vie ? Getty Images, c’est madame Tussaud à côté.
Scrollent les écureuils, chiens, cerfs (beaucoup de têtes de cerfs), quelques oiseaux et même un ours. Malgré un air de déjà-vu, tous affichent une violence qui fait envie. Morbide? Non : juste indémodable. La mort, ça reste un classique. Un must. Or justement, le côté culte est inhérent aux équidés. Pensez aux Crazy Horse. Ou à Wild Horses. Classicisme, j’en conviens, un peu noirci au moment du développement. Ou bien avant la chambre noire ? Sur l’asphalt. Dans la ligne de mire. La gibecière à trois voies.
Le groupe se nomme Dead Horse Problem. C’est bien le moindre de ses attraits.
Ces carnes galopent dans Rennes depuis au moins 20 ans et autant de groupes en cumulé, et n’inventent rien. Ni le rock lourd pataud, ni le son transi, brame grelottant, disto qui mord la chair. L’americana faisandé. Mais le vertige vient quand même. Un truc terreux. Un goût naturel, tradi’ et inerte à la fois. La terre ; de là tu viens et là tu finiras.
Le Fat Possum de Kimbrough autant que du récent Mascis. Comme quand Nick Cave ou Jon Spencer tripotaient le blues sans vraiment en faire. Les deux pieds dans le bayou. La tête enfoncée dans un baril de bourbon. L’odeur de cave de Seattle en plus cette fois-ci.
On a tous vu le même film. Le Scorsese Presents the Blues où Lou Reed noie Skip James dans du goudron (Look Down The Road) pendant que les mauvaises graines de Nick violent J. B. Lenoir, un sourire mauvais aux lèvres (I Feel So Good). Lynchage ; the white men’s way. Ne manqueraient que les plumes, mais où diable trouver des anges où les piocher ?
Au moins, le Blues Explosion a publiquement reconnu n’avoir jamais fait du blues lui, et sa prestation criarde de Skip James au theremin le prouve. On y sent la sudation que déclenche une avalanche de bière un vendredi soir. La transpiration qui coule sur les cordes de la Les Paul et les oxyde.
Six barreaux cradingues qu’il faut remuer avec conviction.
Trop dur quand on a des doigts lourds de bûcherons, hérédité propre à l’état de Washington. Là haut, entre les indiens et les sasquatchs, on sait bien que tout a déjà été fait, déjà été joué. Alors on se contente de terminer sa bière d’un trait et d’y mettre tout ce qu’on a, de pousser encore un peu la voix et le gain, et de viser ceux qu’on aime. De sauter de frette en frette comme un canasson enchaîne les obstacles et envoie valdinguer des mottes d’herbe grosses comme le poing avant de s’écrouler pour vomir ce truc qui vous traine dans la gorge depuis trop longtemps.
Avec ses mains de marins qui ont poli tous les manches en bois de la ville (et un briseur de fûts qui officiait déjà dans le Kalashnikov de Dominic Sonic ! Ca ne nous rajeunit pas), Dead Horse Problem n’est ni manchot ni bûcheron, mais cela revient au même : sa rythmique c’est le Gun Club, son sax, c’est Funhouse, sa supermuff qui s’égosille c’est Green River !
La bête bouge encore. Ou alors c’est que la photo est bien faite. N’empêche, rien qu’à la couleur on sent l’écorce des douglas firs. Et ce goût de terre…
http://www.myspace.com/deadhorseproblem
Dead Horse Problem // Dead Horse Problem // Beast Records
(no CD, vinyle only ! – 500 exemplaires )