Dans l’ordre, il est l’un des fondateurs des soirées Respect qui ont contribué à faire sortir Paris de sa torpeur à la fin des années 90 et l’animateur du Nova Club, émission la plus agréable de la FM actuelle. Enfin, Blot est le scénariste de la meilleure et unique bande-dessinée portant sur l’histoire des musiques électroniques, Le Chant de la Machine. Outre l’anniversaire des vingt ans des soirées Respect, le prétexte à cet entretien est la réédition de cette dernière chez Allia, un ouvrage inventif et foisonnant au graphisme impeccable influencé par Robert Crumb, dont la lecture permettait de toucher l’histoire de la house music, la passion des deux auteurs, David Blot, donc et Mathias Cousin, mort volontairement comme l’indique pudiquement la préface. Cet ouvrage, Blot nous l’offrira sans nous le dédicacer, chose impossible “depuis que Mathias est mort”.
Que faisais-tu avant de lancer les soirées Respect ?
J’ai suivi des études d’histoire avant de rentrer tôt chez Nova, à 21 ans ou 22 ans. C’était un coup de chance, on m’a demandé de faire les « bons plans », une rubrique portant sur les nuits parisiennes. Pourtant je n’y connaissais rien, j’allais juste à quelques raves et concerts, absolument jamais en club. J’ai été à l’antenne rapidement avec la première émission d’Edouard Baer et Ariel Wizman qui s’appelait Mouvements de Jeunes, avant La Grosse Boule qui est l’émission qui les a fait connaître. Puis vers 95 j’ai eu mon émission de nouveautés en fin de journée, le Blot Job – c’est Bizot qui avait trouvé le nom ! J’ai commencé les soirées Respect en 1996 et comme cela me prenait du temps, j’ai arrêté Nova en 1997, pendant treize ans.
« La France dans laquelle j’ai grandi, c’était Téléphone, Cabrel ou Indochine. »
Pour situer le contexte de la création de ces soirées, il ne se passait vraiment pas grand-chose à Paris au milieu des années 90, par rapport au reste de l’Europe. Ici, c’était la zone, le royaume des rockers. On a parlé de « French Touch » parce qu’un truc excitant s’est produit au beau milieu d’un désert culturel. Quand paraissent aujourd’hui des compiles French Boogie ou des rééditions de Kas Product, comme si c’était le son des années 80 en France, il faut bien comprendre que c’étaient des niches à l’époque. Il n’y avait pas Internet pour faire le lien entre les œuvres. La France dans laquelle j’ai grandi, c’était Téléphone, Cabrel ou Indochine, sans parler de Licence IV : le trou du cul du monde et le monde entier qui se foutait de notre gueule. Au mieux, on pouvait compter sur Etienne Daho et les Rita Mitsouko, et c’est encore heureux qu’ils aient été là. Les Allemands avaient Kraftwerk ou les Italiens l’Italo disco mais nous, que dalle ! Maintenant, on a une relecture qui permet d’apprécier des choses anciennes de qualité mais il ne faut pas croire que c’était la norme : la norme, c’était la lose.
Christophe était un gros ringard et il est devenu le roi des branchés par exemple.
Là, c’est probablement lié à l’âge. Quand tu as 15 ans, il n’est pas possible de s’identifier à Christophe. C’est comme Bashung ou Léo Ferré, il faut être un peu plus âgé. Finalement, la seule exception reste Gainsbourg, un mec cool avec une certaine aura à l’étranger. Il y a eu une petite vague éphémère que j’adore avec Elli et Jacno qui avaient fait la couverture du NME : leur petit succès est resté circonscrit à l’Angleterre, pas aux Etats-Unis bien sûr. Avec la French Touch, la France a été placée sur la carte des musiques du monde, en étant proche du son anglo-saxon en plus.
Raconte-nous le démarrage des soirée Respect.
On sortait beaucoup mais on s’emmerdait un peu, donc. La musique qui prédominait à cette époque c’était la trance dans les raves, et des trucs mainstream dans les clubs. D’ailleurs, la plupart des clubs de France à l’époque, je dirais 80%, ne jouaient pas de house, ils en étaient encore à Goldman. Bref. On a monté les soirées à trois potes : Fred Agostini, un personnage flamboyant, rigolo et un peu de droite et Jérôme Viger-Kohler qui travaillait chez Radio FG et qui vit maintenant à New-York, bien plus studieux et cérébral, et moi donc. Jérôme faisait le lien entre Fred et moi qui étions deux glandeurs. Fred organisait des raves, les Xanadu, dont celle mythique qui s’est tenue en 1995 dans un château et où jouaient les Daft et Moodymann. Quand les flics y ont débarqué, il a été mis en garde à vue et a décidé d’arrêter les raves même si on les appelait « soirées house », justement, pour ne pas attirer l’attention. Nous venions tous des raves, je n’étais pour ma part jamais allé en club de ma vie. Pour moi, les clubs, c’était Claude Challe et Thierry Ardisson à la télé : vade retro !
Notre idée, c’était d’organiser des soirées ensemble dans les guinguettes mais ça n’avançait pas. Le directeur artistique du Queen a contacté Jérôme à l’époque où c’était un club cool. Il a compris ce qui se passait quelque chose : The Face, I-D et Mixmag commençaient à parler de la French Touch. A l’époque, j’avais vu les Daft se faire dégager à deux reprises des platines de clubs qui les avaient bookés. Dimitri from Paris, personne n’en voulait. Il n’y avait qu’au Rex parfois, et au What’s up Bar, qu’il se passait des choses bien, dans les clubs, à Paris : sinon les gens voulaient de la trance, de la techno de bourrin ou des trucs « groovy ».
La première soirée Respect a eu lieu le 2 octobre 1996, avec José Padilla du Café del Mar à Ibiza, le parrain du Balearic beat, car on a toujours aimé les vieilles légendes, puis Daft Punk et Jef K. Et ça a cartonné ! Des mecs de banlieue venaient pour danser le hip hop et on n’avait jamais connu ça dans un club house en France. Nous, on voyait ça à New York dans la soirée de Little Louie Vega avec des cercles de danseurs qui se formaient, mais on n’aurait jamais imaginé que ça se produirait à notre soirée, on ne les connaissait pas, ils venaient en bande et repartaient avec le premier RER. Il y avait eux, et toute la house française aussi, et les kids indés lecteurs de Magic autour et puis des touristes des Champs qui passaient entre les gouttes. Le Queen était gay bien sûr, mais il s’est alors ouvert à un public différent. Et fauché ! Il y avait le carré VIP où personne ne mettait les pieds à part Fabien Barthez et les princes saoudiens. L’entrée était gratuite, le Queen fonctionnait ainsi en semaine. La politique tarifaire était la suivante : tout était à 50 francs, que ce soit la bouteille d’eau ou la coupe de champagne. Et le ticket moyen d’un client Respect, c’était 30 francs. Le Queen se plaignait, mais comme c’était blindé, les clients du carré VIP consommaient un max.
Les gens gobaient ?
Même pas. C’était le mercredi, les gens bossaient le lendemain et c’était avant le retour massif de la coke. Le public s’était lassé des raves et attendait autre chose. On parlait de Respect dans la presse à l’étranger comme de la soirée à laquelle il fallait assister, les maisons de disque ont alors commencé à s’y intéresser et à vouloir faire des compilations. C’était une telle foire entre les différents labels… Au début, c’était un petit label techno qui s’appelait Distance qui s’est intéressé à nous. Puis un mec de Sony a eu vent de l’information et il nous a dit : « quelle que soit la somme que vous propose Distance, je vous en offre le double. » Le contenu n’avait même pas été encore évoqué. Et là, Thomas Bangalter m’appelle du bureau d’Emmanuel de Buretel (NDR : patron de Virgin à l’époque) et me dit que Buretel veut me parler. On a signé chez Virgin, comme tout le monde à l’époque, parce que c’était la maison de disques la plus excitante et qu’elle avait un peu de thune. L’avance versée était de 100 000 francs, une belle somme. Tout ça est bien révolu. Ces compiles, je les assume complètement : elles sont bien même si elles manquent de cohérence, à l’image de ce qui se passait en ce temps-là. Il faut se remettre dans le contexte, en 2000, Les compiles Buddha Bar se vendaient à un million d’exemplaires ! Quand les mecs ont essayé de baisser le prix de ces disques pour en vendre plus, ça s’est moins bien vendu parce que les gens voulaient que ça soit cher, pour montrer qu’ils étaient exigeants et qu’ils voulaient en avoir pour leur argent. On m’a même raconté que le poids physique du disque était important, il fallait que le CD soit lourd, pour que le client soit content.
Pour en revenir à Respect, les visuels étaient superbes.
Mais c’était propre à toute la French Touch. On faisait des cartes à collectionner, plein de choses innovantes. On se creusait la tête à créer des concepts. On a fait des tonnes et des tonnes de flyers, plus personne ne s’emmerde avec ça aujourd’hui ! Oui, l’esthétique était belle. A l’époque, c’était soit de la fractale de merde, soit des trucs cryptiques « white label ». La French Touch a apporté quelque chose mais la France avait déjà de l’avance dans l’image puisqu’il y avait des gens comme Mondino ou Goude dans les années 80.
« C’est comme ça que tu te retrouves logé au National à Miami mais que tu n’arrives pas à retirer d’argent pour t’acheter des clopes. »
Respect te faisait vivre ?
Au début, on ne voulait même pas être payé et le Queen a insisté pour qu’on le soit. Après on s’appelait la jet set misère : on voyageait tout le temps, on était parfois surclassé, on nous offrait des super restos, des grands hôtels, mais on ne se faisait pas vraiment d’argent, nos comptes en banque étant dans le rouge. C’est comme ça que tu te retrouves logé au National à Miami mais que tu n’arrives pas à retirer d’argent pour t’acheter des clopes.
Et pourtant c’est devenu tellement gros, on organisait des soirées dans le monde entier : des résidences au Fuse à Bruxelles, au Vega à Copenhague, au Twilo à New York où la première a réuni Romanthony, Daft Punk, François Kervorkian et Cassius devant cinq mille personnes. C’est là que Pedro Winter a rencontré DJ Mehdi, je l’ai su bien plus tard. Au Queen, Calvin Klein, Jarvis Cocker et Depeche Mode ont assisté à nos soirées. L’autre jour, Fred Agostini m’a assuré que Robert Smith était venu avec sa mère. Un soir, Queen Latifah s’est barrée au bout de dix minutes parce que c’était Arnaud Rebotini qui mixait et qui passait AC/DC à ce moment-là. On a organisé des Respect à Kuala Lumpur, Singapour, deux Nouvel An en Australie en jet privé pour faire Melbourne et Sydney dans la même nuit. Cela n’a pas arrêté pendant cinq ans, entre 1997 et 2002. La French Touch cartonnait à l’étranger lorsqu’elle s’essoufflait en France. Ces soirées, nous ne les les organisions pas vraiment : on établissait le line-up, on concevait le visuel et le flyer. Et on facturait. Mais on n’a jamais produit une seule soirée, jamais en 500 soirées. Résultat : on gagnait dix fois moins que ce qu’on aurait pu, mais ainsi on ne prenait pas de risques et on n’était pas dépendant du chiffre… On aurait aussi pu faire beaucoup plus d’argent si nous avions licencié la marque comme a pu le faire Ministry of Sound.
C’est vous qui avez relancé la culture clubbing à Paris sans le vouloir.
Les mecs de ma génération ont fini par recréer la culture boîte de nuit petit à petit. On a démarré dans des raves, puis dans l’ordre les soirées Respect, le Pulp, le Baron et tu finis au Montana, tout ça va decrescendo, de plus en plus petit. Tu passes de 5 000 à 100 personnes. Ça fonctionne comme un entonnoir avec de moins en moins de monde, un écrémage naturel se fait puisque les gens vieillissent, font des mômes, tout ça.
« En 2005, le clubbing était mort en France, c’était le retour du rock. »
L’argent a joué un rôle aussi. Les derniers clubs que tu cites étaient réservés à une élite.
Bien sûr mais j’ai déjà vu des gens sortir leur carte Visa gold ou black en espérant pouvoir rentrer au Baron, et rester sur le seuil de la porte. Les videurs n’en avaient rien à foutre de leurs cartes gold. Bien sûr qu’ils se faisaient de la thune avec des mecs friqués, mais c’était aussi une bande de potes, et à partir de là tu pouvais rentrer fauché comme les blés et te faire rincer l’œil toute la nuit. Honnêtement je me suis éclaté au Baron, je sais que ça choque des gens que je dise ça, mais je crois que c’est l’endroit où je me suis le plus marré. De toute façon, en 2005, le clubbing était mort en France, c’était le retour du rock. Et encore, c’était dans des bars comme le Pop In ou le Truskel qui sont minuscules. Après, le Social Club a ouvert et depuis 2010 il y a une explosion du nombre de clubs, la Concrete étant l’arbre qui cache la forêt. Quand on a déplacé les soirées Eté d’Amour avec Fred Agostini au Wanderlust en 2012, on a vu que ça avait repris. Sur ce bout de quai du 13ème arrondissement qui était vide, on est passé de zéro à 10 000 personnes qui sortent la bas chaque soir. Il y a au moins trois ou quatre clubs dans ce coin maintenant.
On parle de gentrification, d’ouvertures de nouveaux bars branchés et on se lamente de la disparition des vrais bars : mais ces vieux rades aveyronnais étaient vides, personne n’y allait alors que tous les nouveaux endroits sont blindés ! Et je suis le premier à le regretter, en tant que client je préfère mille fois le rade aveyronnais – j’ai de la famille en Aveyron, attention ! – mais voilà, les nouveaux doivent faire en un jour le chiffre d’affaires que les précédents faisaient en un mois. Mais où étaient tous ces gens, avant 2010 ? Je veux bien croire que tout ce mouvement « bobo terrasse » fasse fuir les milieux populaires, et que les loyers augmentent mais dans le même temps, je vois qu’il y a de plus en plus de monde partout. Et ce ne sont pas que des bourgeois, c’est blindé de secrétaires et de gens super précaires qui se saignent pour un mojito. Les gens font l’inverse de ce qu’ils disent. Plus c’est cher, plus ils y vont. C’est comme les compiles Buddha Bar en fait.
Et Daft Punk alors, tu les connais bien, que penses-tu de leur trajectoire ? Et de l’évolution de la French Touch d’ailleurs ?
Est-ce que l’histoire aurait été différente sans les Daft Punk ? Même s’il y a eu plein d’artistes liés à la mouvance, ils étaient le meilleur groupe. Les Anglo-Saxons s’excitaient sur tout le mouvement : Air, la Funk Mob plus que Cassius à l’époque, Dimitri from Paris… Et ça ne s’est plus jamais arrêté. Entre les débuts de la techno jusqu’à la la French Touch, il n’y avait que Laurent Garnier. Il y avait d’autres très bons DJs mais ils étaient nettement moins connus comme Eric Rug ou Jérôme Pacman. Emmanuel Top ? Je sais pas trop, plus tard je crois. Ils tournent tous encore d’ailleurs. Ce sont les Anglais et les Américains qui ont créé la French Touch, ce n’est pas nous les Français même si il y a eu ce fameux blouson « French Touch » de F Communications (NDLR : un blouson portant l’inscription « We Give a French Touch to House » aurait été conçu par Eric Morand, l’un des deux fondateurs de ce label légendaire, l’autre fondateur étant Laurent Garnier). Peut-être que le côté très français de Dimitri from Paris a contribué à populariser le mouvement, juste avant Internet. Et Internet a permis d’ouvrir un peu le champ de la musique. D’ailleurs, 15 ans après, aujourd’hui, dans mon émission, la moitié de ce que je passe n’est ni anglais ni américain, à l’époque, tout l’était ! Aujourd’hui ça vient aussi de Finlande, d’Australie ou du Nigéria, et ça passe par Internet. Tout le monde est au même niveau.
Il y a eu d’autres groupes majeurs que Daft Punk : Air est un groupe important, qu’on les aime ou non, et les Phœnix sont impressionnant tellement ils sont américanisés. Tous les mecs qui défendaient des groupes dans les années 80 auraient rêvé de Phœnix et on en oublie même qu’ils sont français. Et puis ensuite tu déroules, Tellier, Jackson, Ed Banger, Brodinski, Chassol, La Femme ou les soirées Concrete et ça n’arrête jamais. C’est, je crois, la chose à retenir de la French Touch.
« Je me suis demandé récemment si les Daft Punk n’avaient pas eu l’idée de « Random Access Memories » quand je leur ai demandé de préfacer Le Chant de la Machine en 2011″
Les Daft incarnaient une forme de modernité il y a vingt ans, tout le monde attendait « Homework ». Aujourd’hui, c’est devenu un peu chiant comme du rock progressif.
Moi je les aime toujours. Ils ont toujours été les meilleurs et la barre est plus haute à chaque fois. A leur début, c’était le groupe le plus excitant de la scène techno. Puis ils sont devenus le groupe le plus excitant tout court, à chaque fois ils franchissent un nouveau palier, aujourd’hui ce sont les Grammy Awards avec Stevie Wonder et Nile Rodgers avec Jay-Z et Beyoncé qui dansent devant : même Obama et le Pape doivent connaître les Daft et Get Lucky ! C’est fou. Ils réussissent à chaque fois toutes les étapes tout en restant hyper intègres. Et je sais de quoi je parle, je suis fan de New Order, la frontière entre l’intégrité et le commercial et là. Il ne faut pas confondre la musique et la démarche : si la musique de New Order pouvait être populaire, leur démarche était intègre voire intégriste. Les Daft Punk ne sont pas loin d’être pareils, ils s’investissent totalement dans ce qu’ils font. Un truc marrant sur les Daft c’est que c’est toujours Thomas l’interlocuteur. Il donne l’impression de tout faire. J’imagine bien Guy-Man trouvant la mélodie ou le gimmick du morceau et revenir sélectionner les prises à la fin. Thomas c’est le 99% de sueur, et Guy Man le un pour cent de génie, je plaisante hein ! Je me rappelle, au tout début, Thomas m’avait dit en rigolant « Guy Man, il ne sait même pas allumer un ordinateur ». En fait, je me suis demandé récemment s’ils n’ont pas eu l’idée de « Random Access Memories » quand je leur ai demandé de préfacer Le Chant de la Machine en 2011, parce que le morceau avec Moroder par exemple, on dirait Le Chant de La Machine en chanson.
C’est vrai qu’ils sont restés intègres tout en étant les rois du marketing. Leurs visuels et leur image sont remarquables.
Ben oui, et je ne suis pas d’accord avec les gens qui les critiquent en disant que leur succès vient de leurs clips et de leurs pubs. Get Lucky, il n’y a pas de clip, juste une boucle de 20 secondes. Et il n’y a pas eu de remix de leur morceau à part celui qu’ils ont fait eux-mêmes. Peut-on imaginer un instant l’argent qu’ils ont perdu en refusant que trente mecs dans trente pays différents ne les remixent ? Les gens ont eu l’impression d’être matraqués parce qu’ils ont une certaine force de frappe, mais c’est minimal. Ce sont les rois du marketing osé avec un discours derrière, et qui en plus ont l’idée d’un album qui excite les gens. La légende veut qu’ils soient allés chez Sony pour le dernier album avec un bouquin d’affiches des années 70 en disant : « voilà notre stratégie marketing ! » Il y a des choses que j’adore dans le dernier album : Get Lucky par exemple, quand on le réentend, on ne sait même plus de quelle époque il date. Il aurait pu sortir en 1976 aussi bien que maintenant. Par rapport à la moyenne des disques qui sortent, cet album est plutôt bon. On peut leur reprocher de ne plus essayer d’inventer quoique ce soit, mais c’est propre à l’époque.
Ils ont quarante balais.
Des mômes de vingt ans sortent des compositions pas forcément originales non plus. Daft Punk n’est pas un groupe pionnier musicalement, ils n’ont pas inventé grand-chose. C’est plus un groupe qui synthétise et qui le fait de manière remarquable et en prenant des risques. Rien ne ressemblait à Da Funk avant la sortie du premier album, avec ce tempo si lent. On me charriait parce que je parlais des Daft comme étant la huitième merveille du monde chez Nova, déjà à l’époque; et ces reproches étaient justifiés. Mais quand on voit ce qu’ils sont devenus, j’avais raison.
Il y a une scène là-dessus dans Eden justement, avenue Junot dans le XVIIIème.
Ces scènes sont des composites qui mélangent pas mal de moments. Je crois que Da Funk n’était pas encore composée ce soir-là. C’est Sven Love qui m’a invité à cette soirée il était déjà pote avec eux. Je ne les connaissais pas à l’époque. J’ai compris après que Guy-Man était à l’anniversaire de mes vingt-quatre ans, je me rappelle juste d’un type qui a fait un coma éthylique dans ma cuisine. On a fait connaissance par la suite, j’ai sympathisé avec Thomas avant même de découvrir leur musique. Les gens de la French Touch étaient ouverts musicalement, ce qui n’était pas le cas de tout le monde : la techno a été le mouvement fédérateur qui a réuni des gens qui venaient d’horizons divers, du rock, de la funk, de l’alternatif. On écoutait beaucoup de hip-hop même si nous pensions que la techno était la musique du futur. Et il y avait des barrières à tous les niveaux, ce qui n’est plus vrai aujourd’hui, les gens sont plus ouverts, on peut balancer des morceaux différents en soirée sans que les gens ne s’arrêtent de danser. Nous, on était déjà comme ça, c’est un truc très important de la French Touch, personne ne bloquait sur la techno, on écoutait de tout. A l’époque, l’appartenance à telle ou telle chapelle créait des conflits de cours d’école. Les gens pouvaient s’arrêter de danser si tu passais un morceau avec des vocaux. Il y avait des niches : techno, trance, garage, et le garage, qui ne représentait rien. Si tu passais du garage à une soirée techno, tu te prenais des tomates dans la gueule. Les gens n’en voulaient pas.
« Dire que l’épicentre de la French Touch était à Versailles, c’est aberrant : il n’y avait aucune soirée organisée dans les Yvelines. »
La French Touch, était-ce des groupes de gens épars ou un mouvement unifié et homogène ?
Ce qui nous unifiait à l’époque, c’est qu’on se voyait tout le temps sans être une bande. C’était un peu Facebook avant Facebook. Nova était dans le quartier Bastille à deux pas de Rough Trade et BPM, les deux disquaires chez qui tout le monde s’approvisionnait. Et Radio FG se situait rue de Rivoli. On se voyait le jour des arrivages dans les magasins de disques. Les gens traînaient dans les radios à écouter les disques, et on sortait le soir dans les mêmes endroits parce qu’on était plus jeunes. Tu pouvais croiser cinq à dix fois les mêmes visages au cours de la semaine. Mais ce n’était pas une bande. Les membres de Air ne sortaient pas en club et n’achetaient pas de vinyles, on ne les connaissait pas. Je n’ai jamais compris pourquoi on a dit que la French Touch était versaillaise. Étaient concernés Air, Gopher, Crécy et Phoenix : tous les autres, les Garnier, Daft Punk, Dimitri from Paris, les gens qui ont monté les soirées Respect, etc. n’étaient pas de Versailles. L’image de bourgeois versaillais qui collent aux acteurs de la French Touch me fait rire. Quand tu vis à Paris, tu ne vas jamais à Versailles. Dire que l’épicentre de la French Touch était là-bas, c’est aberrant : il n’y avait aucune soirée organisée dans les Yvelines.
On m’a dit que des Américains voulant faire une série sur la French Touch, avant Eden, sont allés à Versailles. lls se sont demandés quelles étaient les anecdotes croustillantes et là, les anecdotes croustillantes, c’était plutôt dans les soirées Respect; et ça ne cadre plus du tout avec Versailles. Air et Phoenix, il n’y a pas assez de matière pour faire une série sur HBO ! Peut-être que le son intemporel d’Air est lié à leur ville d’origine finalement, ce côté hors-du-temps.
Revenons-en à Eden. Tu tiens le rôle le plus intéressant du film qui s’essouffle parfois. Il y a une scène mémorable au cours de laquelle deux protagonistes écoutent et comparent des beats sur un vieux Mac et les notent. C’est un moment partagé par des geeks passionnés. Quand on montre la techno au cinéma, c’est souvent une paire de connards qui mixe en mettant les bras en l’air.
C’est Catalan FC et Sven Love, cette scène est géniale ! Dans Eden, il y a plein de choses ratées et plein de choses réussies. Et je trouve qu’on est trop sévère avec les ratages. A l’étranger, le film a cartonné : Bret Easton Ellis l’a désigné comme étant son film préféré de l’année, je n’en revenais pas. Félix de Givry, l’acteur qui joue le rôle de Sven, est très calme, très posé, tout comme Sven. Roman Kolinka ressemble à Mathias Cousin et les Daft ressemblent aux Daft, c’est dingue. Je suis le seul dont l’acteur ne ressemble pas à son personnage ! Je ne suis pas vraiment fêtard, contrairement à ce qu’on voit dans le film. Cela parle d’une période il y a vingt ans où je sortais tous les soirs mais tu peux sortir tous les soirs sans être un gros fêtard.
Je trouve la première partie un peu loupée, les scènes de clubbing ne fonctionnent pas trop, on ne sent pas trop la fête même si la mise en scène est réussie avec l’éclairage, la musique prise en direct. La deuxième partie qui traite de la déprime est une réussite, je ne comprends pas les gens qui ont rejeté ce film parce qu’il a un vrai propos derrière. Et c’est la réalité. Je me suis posé la question pour moi, heureusement que j’ai Nova. Mais j’ai des potes DJ pour qui c’est dur, une fois passé la quarantaine. C’est probablement la même chose pour les rockers, même si ces derniers ont probablement réussi à se constituer un matelas avec les disques vendus. Et puis le public des rockers vieillit avec eux, pas les DJ, c’est hardcore : si j’ai arrêté d’organiser des soirées, c’est parce que je n’en pouvais plus de faire des fêtes pour des gamins de vingt ans.
La répétition ?
C’est difficile à comprendre quand les gens ne le vivent pas et c’est pareil chez les rockers. Là, je parle des Respect, mais les chambres d’hôtel, la drogue, la descente sont difficiles à vivre car même sans être barjot, tu t’éclates un peu, tu peux tirer sur la corde : il y a des périodes un peu down. J’avais mon propre cheminement alors, ma voie était plus culturelle alors, avec Nova, et des soirées chaque semaine. Je m’éclatais le week-end à l’étranger et je me sentais déphasé ensuite quand je revenais passer la semaine à Paris.
Howie B. qu’on présentait comme le nouveau Brian Eno il y a vingt ans, mixe dans des bars à vins en Italie. Le mec ouvrait pour U2 dans les stades…
C’est chaud. Je connais des gens ultra talentueux qui gagnent 1 500 ou 2 000 euros par mois et qui attendent encore d’être payés… Ils ont 45 ans, comme moi, et n’en peuvent plus. Organiser des soirées et devoir rester jusqu’à 6h, parfois plus, je ne veux plus faire ça ! Et Eden en parle très bien. Après, tu as aussi des Gilles Peterson ou des François Kervorkian qui gagnent bien. Leur vie est cool, ils prennent, j’imagine, entre 5 000 et 10 000 balles par soir pour passer des disques, à ce prix-là tu supportes de te flinguer un peu la santé, mais pour les 100 000 autres djs dans le monde, c’est la galère, après 30 ans ce n’est plus viable. Avant non plus d’ailleurs, mais avant ce n’est pas grave.
Ce que décrit bien Le Chant de la Machine finalement, c’est ce côté confidentiel de la house.
Je me demande comment on a pu se lancer dans une telle entreprise… La nouvelle édition va proposer un long chapitre supplémentaire autour de New Order. J’ai été contacté il y a quelques années par un vendeur de la FNAC qui ne connaissait rien à la house et qui en est tombé amoureux par le biais du livre. Il y a une édition japonaise et les Coréens sont intéressés aussi. C’est devenu une bande dessinée culte et novatrice et je le dis d’autant plus modestement que c’est grandement lié au dessin de Mathias. J’ai fait une autre bédé : Yesterday, qui raconte l’histoire d’un mec qui remonte le temps, se retrouve en 1960 et chante Yesterday à une meuf pour la séduire. Comme la chanson n’a pas été encore écrite, il devient les Beatles à la place des Beatles. Je n’ai pas appris à faire de la bédé, c’est venu en en lisant beaucoup.
Pour en revenir à la genèse du livre, la house était un truc d’initiés avant, que personne n’écoutait. Dans les années 80, les trois gros médias sur la musique étaient Rock n’ Folk, les Inrocks et Radio Nova. Rock n’ Folk était ringard et ne parlait plus du tout de ce qui se passait, même s’il y restait quelques bonnes plumes. Les Inrocks ont repris le flambeau et ont parlé de Manchester mais n’ont rien compris quand les raves ont débarqué alors qu’ils avaient une porte d’entrée énorme. Radio Nova était plus funk, rap et musiques du monde et la house, cette musique de pédés, a eu du mal à s’y immiscer. L’Angleterre enchaînait les Summers of Love, le phénomène était devenu énorme en Italie : on était ringard. Jusqu’à la fin des années 90, quand j’entendais un beat house dans la rue, je tournais la tête en me demandant « ça vient d’où ? C’est quoi ? Qui écoute ça ? » Aujourd’hui, on s’arrêterait tous les trois mètres.
L’ouvrage avait cartonné à l’époque, non ?
Non. La presse en avait abondamment parlé, mais là où l’éditeur Delcourt pensait en vendre 100 000, il ne s’en est écoulé que 10 000. Il avait fait fortune avec Renaud en Chansons et pensait que ça allait cartonner autant, c’était les débuts de la Techno Parade, la techno commençait à être respecté dans les médias. On était d’ailleurs totalement contre ce truc. La presse et l’Etat ne nous avaient jamais aidés. Dès les débuts de Respect, je me souviens déjà avoir voulu tout arrêter. Bref, je me suis demandé ce qu’était cette Techno Parade à la con surtout qu’en 1999, je commençais à écouter bien plus de RnB que de house. C’est toujours plus excitant d’être contre le monde entier, de voir les choses grandir en étant certain que ça va exploser. Quand ça arrive c’est finalement un peu déprimant. Pendant la soirée de lancement de « Homework » au Queen, j’ai senti que quelque chose était en train de mourir.
« Xavier de Justice a dit un jour que la première fois qu’il était allé en boîte, c’était à une soirée Respect »
Les sons filtrés ont été utilisés à l’envi par la suite, on en a trop entendus. Il y a quelques jours, en réécoutant des choses parues sur le label 20000ST sur lequel on trouvait Demon ou Wuz, ça tabasse à 137 BPM, c’est rapide et on voit que tout cela s’est ralenti avec le temps. C’est pas mauvais mais on entend la recette derrière.
Oui, et c’était la critique qui ressortait principalement dans la bouche des détracteurs de la French Touch. On a arrêté les Respect à Paris au bout de trois ans à cause de ça et on a lancé les soirées Secret avec des DJ résidents : Dimitri, Romain et Ivan Smagghe, chaque semaine, pour installer quelque chose, terminé les guests. Pourquoi ? Parce qu’on avait des DJ qui venaient et qui utilisaient les mêmes grosses recettes en balançant de la house filtrée. La French Touch est vite devenue une caricature d’elle-même.
Le point d’orgue de notre aventure a été l’organisation d’une soirée à la Playboy Mansion. A la Winter Music Conference de Miami, il se trouve que Playboy était partenaire des soirées et nous avons dîné avec une New-Yorkaise assez branchée, qui bossait justement pour eux et n’en revenait pas qu’on s’intéresse à cette marque. Nous avons eu l’idée de monter une compilation puis une soirée avec eux : A Night at the Playboy Mansion. Pour les Américains, Playboy est ringard. Et je pense qu’on a contribué au revival du journal et du lapin. La pochette qu’on a faite avec cette black est devenue mythique.
L’événement a eu lieu en fin d’après-midi. On avait rencontré Kylie Minogue la veille et c’était avant que la chanson Can’t Get You Out of My Head ne marque son grand retour. Elle n’était pas sur les listes et les mecs ne voulaient pas la laisser rentrer alors que Spike Jonze, ou Sofia Coppola, ont franchi le barrage sans problème. Ils ne savaient tout simplement pas qui elle était ! On s’est lâché dans les clichés à se baigner dans la grotte et à taper de la coke. L’endroit était kitsch mais beau quand même, rien à voir avec le Neverland de Michael Jackson. A un moment Fred s’est promené en peignoir dans la villa en donnant des ordres à des serveurs qu’il n’avait jamais vu, mais un contremaitre et venu nous dire, fort gentiment, que « personne n’a le droit de se promener en peignoir dans la Mansion à part Hugh Hefner » C’est du hi-tech des années 70 alors tu as des boutons partout, et tu as envie de vérifier si tout marche bien… En revanche ma première vision d’Hefner était un peu pathétique. On lui a dit bonjour mais lui ne savait pas qui on était, évidemment. Il était avec deux jeunes filles, deux bombasses, qui sautaient sur un trampoline, et lui essayait de les attraper mais elles n’en n’avaient rien à foutre. C’est au moment où il sortait avec des jumelles, et après ça, il se tapait une nana différente par jour de la semaine, soit sept : le Viagra avait été découvert entretemps. Les filles étaient plus grandes que nous, les mecs faisaient tous de la muscu, on était dans un autre monde qui n’était pas du tout attirant. Dimitri a mixé pendant vingt minutes, personne n’a dansé car les gens n’en n’avaient rien à foutre, puis un DJ d’EDM horrible est arrivé et il a cartonné. Même Hugh Hefner dansait alors que Dimitri avait fait un mix en lien avec la Playboy Mansion et les années 70 qui était beaucoup plus pertinent que ce qui est passé après.
Et ensuite ?
Quand on a arrêté, on s’est lancé dans ces fameuses soirées Eté d’Amour sur la péniche Concorde-Atlantique, puis au Café Barge et au Wanderlust, et ça a très bien marché au début, puis après, ça dépendait des saisons. Toutes les boîtes fermaient en août et il n’y avait donc rien en face de nous. On a fait les premières soirées de TigerSushi ou de Ed Banger là-bas. Xavier de Justice a dit une fois qu’il était allé pour la première fois en boîte à une soirée Respect et que 7 ans après son premier dj set était à une soirée Été d’Amour. On a fait une compile qui a bien marché avec 30 000 exemplaires vendus, ce qui est pas mal.
On a fait venir pas mal de gens, des djs comme Diplo ou des lives comme Feist par exemple, un peu de tout, mais ceux qui nous excitaient le plus étaient les anciens comme François Kervorkian ou David Mancuso. Mancuso ne parle que d’acoustique, dans la Cour carrée du Louvre, il courait aux quatre coins en se tapant dans les mains pour tester le son. C’est le seul mec capable de consacrer deux jours à un soundcheck. Il vient la veille, fait changer les équipements, se trimballe avec son VU-mètre de manière à ce que le son ne soit pas trop fort. Kervorkian est un phénomène aussi. On l’a emmené au Rex en le prévenant qu’il y avait un sound system de malade et là, il demandait à ce que tout soit changé, absolument tout. On est sorti du Rex et il s’est intéressé à la devanture, aux lampadaires. Là, on lui a dit qu’on ne pourrait rien faire concernant l’éclairage de la rue. Au Queen, il voulait surélever des platines donc il a fallu lui trouver des bouts de bois. Au final, on lui apporte une planche en lui expliquant qu’on n’a pas de scie, qu’on ne peut rien de plus. Il a sorti un couteau suisse de sa poche pour découper la planche et la transformer en tasseaux. Lui, Mancuso et Dimitri sont les trois chieurs ! Je crois qu’il y a une culture du son plus forte à l’étranger que chez nous. Ce que dit Dimitri d’ailleurs, c’est que même le patron de la boîte de nuit la plus beauf aux Etats-Unis est fier de son son. Tu ne verras jamais ça en France.
Il y a une autre chose qu’on a remarquée, c’est que l’entrée des trois clubs ou soirées qui ont le plus marqué les nuits parisiennes ces vingt dernières années étaient gratuites. Je parle des Respect, du Pulp et du Baron. Il y avait une sélection relative à la porte. « Je ne m’en sors pas avec les hétéros ! » nous disait le videur… Cette culture de la gratuité, on ne la voyait nulle part dans le monde, et les consommations étaient chères pour compenser. Aujourd’hui, ça a changé : une soirée comme Concrete c’est payant mais cela a permis d’investir dans un meilleur son.
Tu parles de mecs obsédés par la technique et perfectionnistes. Mais la tendance actuelle, ce sont les clefs USB et les mix à la chaîne.
Depuis cinq ans, on trouve des puristes parmi les jeunes DJ qui mixent sur vinyles. Les puristes ont été un peu too much, peut-être. Mais on a vu des mecs mixer n’importe quoi, des morceaux qui n’allaient pas ensemble, avec un logiciel calant les morceaux à leur place. Pour quelques Français vraiment puissants, les autres ne tiennent pas la comparaison face aux DJ de Detroit et de Chicaco. Le mec qui m’a le plus retourné est probablement Derrick Carter. Ou aussi, il y a vingt ans à la Salle Wagram, Paul Johnson qui arrête le disque qu’il était en train de passer et tape avec son doigt. Il n’y a plus de rythme mais juste son doigt, donc. Il a fait danser la foule pendant trois minutes simplement en tapotant. Lorsque nous avons fait jouer Jeff Mills à la Péniche Concorde-Atlantique pour une sélection disco – un exercice ardu : plus il y a d’éléments, plus c’est compliqué de mixer les morceaux – il a enchaîné tous les morceaux presque sans utiliser son casque, avec une facilité déconcertante, en mettant les Bronski Beat après Donna Summer par exemple. Sur le flyer, on avait bien précisé que c’était une soirée disco : des mecs sont quand même venus et ont été super lourds : « Quand est-ce que t’envoies un truc qui tape ? » avec le petit geste du mec qui cogne dans le vide. A un moment Jeff Mills n’en peut plus et se retourne vers nous et nous demande « A combien était l’entrée ? » On lui répond que c’était dix euros : Mills a alors tendu un billet de ce montant à l’un de ces mecs et lui a dit « maintenant, casse toi ». Comment quelqu’un se disant fan de Jeff Mills peut venir écouter ses influences et lui prendre la tête ?
On dirait un comportement de vieux rocker.
Oui. Comme par exemple des puristes de la techno qui refusent d’entendre des voix sur les morceaux par exemple. Pourtant c’est bien de ne pas tout le temps faire la même chose.
Tu écoutes encore du rock ?
Oui, j’écoute de tout pour mon émission sur Nova. J’écoute une cinquantaine de morceaux par jour, je télécharge comme un porc. J’avais arrêté Nova en 1997 à l’époque où j’achetais énormément de vinyles. Et le fait de ne plus jouer de morceau m’a coupé dans cet élan consumériste, je n’avais plus l’acuité, plus ce rôle de passeur de disque. Et pendant dix ans, je ne sais pas ce qui s’est passé en nouveautés : à part du RnB, je n’ai écouté que des vieux trucs comme Bacharach ou Ennio Morricone, des intégrales d’artistes parce que c’était les années Napster. De 2000 à 2010, année où je suis revenu chez Nova, je n’ai pas fait grand-chose, on a monté un groupe avec mon pote d’enfance Catalan FC qui s’appelait Showgirls avec lequel on a sorti un EP chez Tricatel. Ma contribution ne se résumait presque qu’à rouler des joints ! La fameuse scène d’Eden avec Catalan et Sven Love qui écoutent des sons résume bien ma participation à Showgirls, même si je me prenais moins la tête que Sven ! Mais la simple présence d’une personne dans une pièce peut influencer totalement le processus créatif. On a fait ça en dilettante quatre ou cinq ans. Je me suis remis à écouter des nouveautés quand c’est redevenu mon boulot. Je pense et espère être pertinent dans ce domaine, et c’est assez facile. Mais si on s’était rencontrés il y a vingt ans, on aurait probablement écouté de la musique en discutant, ou j’aurais mis un disque après votre départ. Mais là, non. J’écoute des disques parce que c’est mon boulot. Il faut reposer ses oreilles après avoir écouté trente morceaux.
Passé un certain âge, on ne peut plus écouter dix albums par jour, c’est épuisant.
Je zappe, j’ai une écoute radio : je cherche ce qui peut passer sur les ondes. Si j’écrivais des critiques d’album pour la presse écrite, je ne procéderais pas de la sorte. Là, je cherche l’intro, c’est un réflexe radio. Et j’adore faire ça, mais j’ai aussi aimé cette période où je ne me forçais pas à écouter de la musique et pouvais découvrir les albums que je voulais en entier.
Il y a eu peu de choses mémorables pendant les années 2000, musicalement parlant. Nick Kent les appelle les Noghties et non pas les Noughties comme on devrait, en raison de ça.
Il reste quoi de cette décennie ? Le retour du rock, la minimale, Ed Banger et Radiohead… Bon. Je me suis senti en décalage. Je ne sais pas si c’est parce que c’est à nouveau mon job quotidien, ou si c’est vraiment mieux depuis quelques années, mais là je suis plutôt fan de ce qui sort. Après, si je n’avais pas Nova, je pense que je serais en train d’écouter du jazz ou du classique.
Je suis assez freestyle dans ce que je fais. J’ai lu un papier dans lequel il était expliqué pourquoi Hanouna marchait bien et je m’y suis retrouvé. Je sais, ce n’est pas très glorieux : s’il y a une couille pendant son émission, il va faire des vannes sur le fait que ça ne marche pas. Je fais pareil parce qu’il y a toujours des trucs qui ne fonctionnent pas dans mon émission. Je peux rebondir, digresser, et le fait que ça ne soit pas totalement maîtrisé touche les gens, j’imagine. Pourquoi je suis revenu à Nova ? Mmm.. Je déprimais gentiment dans les années 2000 comme je vous l’ai dit. En 2010, ma copine de l’époque me quitte, je suis alors au plus bas. Et là, j’ai fait un truc digne d’une scène de film : un lundi matin, je n’avais pas dormi depuis 48h et je prends mon téléphone et appelle Burgalat. « Alors, il paraît que tu aimes Showgirls ? Aimerais-tu signer un groupe mort ? » parce que le groupe n’existait plus à l’époque. « Bien sûr, je n’ai jamais vendu de disque avec mon label, ça m’amuse de le faire ! » me répond-il. Je raccroche et me connecte à Facebook, je vois un de mes contacts de Nova et je lui demande qui dirige l’antenne. J’apprends que c’est Marc H’Limi que je connaissais de 1997, et je l’appelle pour lui dire que je referais bien de la radio, treize ans après : « pas de problème ! » Je raccroche de nouveau. Deux coups de fils déterminants en six minutes montre en main, deux choses que j’aurais pu faire bien avant. Au final la rupture m’a forcé à rebondir… et à sortir des nogthies !
David Blot & Mathias Cousin // Le Chant de la Machine // Réédition chez Allia
Le Nova Club tous les soirs de la semaine sur Radio Nova de 18 à 21h.
9 commentaires
what’s time is LOVE ? no refund after blO! bastard!
Tres bonne Et interessant interview, merci!
La French Touch est partie souterraine, lapin miel ; Brian Eno en peignoir ? Check : https://www.youtube.com/watch?v=a0dm1qMWvPg
PS C koi les nogthies ?
Blot, mon héros ! Intelligent, Intègre, Frais, Curieux, il est ce qu’il y a de mieux actuellement à la radio.
Merci pour tes soirées (je suis de la génération Respect (j’ai d’ailleurs loupé une année de Fac à cause de cette soirée, entre autres) et je me souviens de cette soirée salle Wagram, ou Paul Jonhson a effet arrêté le vinyl et s’est mis à tapoter sur le disque, faisant résonner un Kick bien fat et minimal, tellement énorme que 20 ans plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier), merci pour ta BD, merci pour ton émission.
« Fred Agostini, un personnage flamboyant, rigolo et un peu de droite »
Relire « Les gens de la nuit » de Michel Déon, à l’opposé des vieilles gauchiasses berlinazes…
http://fr.traxmag.com/article/36652-le-berghain-s-engage-contre-le-parti-d-extreme-droite-allemand
Super article vraiment. Merci David blot pour ton emission qui est effectivement la seule de la bande FM que j écoute
c Robotini, qui nage ?
Merci à David de m’avoir ouvert les oreilles en 1995 (via ses chroniques aux Inrocks) sur des groupes comme A Guy Called Gerald, Orbital ou LFO… Thx !!!