Quoi de neuf au pays des guitares ? En 2021, la question semble presque anachronique. Un groupe, pourtant, sonne la charge depuis Melbourne. Le nouvel album des Murlocs, emmené par deux des membres de King Gizzard & The Lizard Wizard, est peut-être la meilleure nouvelle de l’année pour celles et ceux qui refusent de décoller leurs doigts du grand livre en cuir qu’est ce bon vieux rock’n’roll.

Cinq mecs blancs prêts à prendre la route ensemble, à sentir leurs chaussettes sales et à décapsuler des bières tièdes à l’arrière d’un van pourri ; en 2021, c’est presque inespéré. Alors que la notion de groupe dit « rock’n’roll » peu à peu s’étiole, principalement en raison de la crise économique qui touche les musiciens on the road mais aussi du désintérêt progressif du business pour ce genre musical jugé ringard, l’idée même qu’on puisse sortir un disque à l’ancienne – en studio, sans logiciel ou presque, avec de vrais êtres humains n’ayant pas grandi sur Instagram – relève presque du miracle ou de l’incompréhension. Mais tout le monde ne s’appelle pas The Murlocs, tout le monde ne vient pas d’Australie, ce gigantesque pays-continent sans population (seulement 25 millions d’habitants), tout le monde n’a pas des refrains comme on en trouve à la pelle sur ce cinquième album à paraître, « Bittersweet Demons ».

Fondé en 2011, un an après la naissance de King Gizzard & The Lizard Wizard, The Murlocs poursuit depuis une drôle de trajectoire ; c’est en quelque sorte l’Ovni derrière la grosse soucoupe puisqu’on y retrouve deux des musiciens de King Gizzard (Ambrose Kenny-Smith, Cook Craig) entourés par d’autres musiciens au look redneck qui colle parfaitement, c’est le cas de le dire, à ce « mud-rock » très terrien, les pieds dans la boue, littéralement.
Certes, The Murlocs n’a jamais obtenu la même popularité que King Gizzard & The Lizard Wizard, peut-être parce que les premiers n’ont pas pondu 17 albums en dix ans (ça fait presque une moyenne de 2 albums par an, visez le taux de caféine), mais tout cela n’enlève rien à la beauté sous blister de « Bittersweet Demons », un album de country-pop qui parvient à éviter tous les écueils du genre : les jérémiades qui urinent de la tisane au kilomètre, le coup du banjo de traviole et tous les hommages pompeux aux papas du genre (Waylon Jennings, George Jones, Willie Nelson, etc). La country ici, on le rappelle, vient d’Australie ; elle est donc façonnée comme un B movie alternatif, et le groupe auquel on pense le plus en écoutant « Bittersweet Demons », étonnamment, ce sont les Sparks. Même voix, même science du refrain et des constructions néo-baroques ; sauf qu’il y a également des parties d’harmonica (les auditeurs de 2021 savent-ils encore comment ça sonne, un harmonica ?) rappelant les premiers albums des Stones et, à l’occasion, le glam de Hunx & his Punx – hélas disparu de la circulation depuis presque une décennie. Rien que le titre Skyrocket, véritable moment de bravoure, devrait suffire à vous donner des nouvelles de votre propre passé, pourtant pas si lointain, quand le rock savait encore accoucher d’un spleen on repeat, et tout cela grâce à la photosynthèse d’une basse et d’une guitare. Encore une fois, en 2021, tout cela semble désuet. Ce qui rend l’écoute de « Bittersweet Demons » encore plus touchante.

Celles et ceux lassés d’entendre des décalcomanies délavées de rockeurs lessivés feraient donc bien d’avaler leurs Airpods et de se jeter contre l’enceinte ; oui, il existe encore de jeunes gens prêts à se ruiner la santé pour lutter contre l’hégémonie d’un son « united colors of Spotify ». et dans cette course à la différentiation, pas sûr que les Murlocs arrivent en dernière position.

The Murlocs // Bittersweet Demons // ATO (sortie le 25 juin)
https://themurlocs.bandcamp.com/album/bittersweet-demons-3

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