Ils portaient des catogans et des chemises bariolées de chez Monoprix, ils composaient des titres à la pelle pour la télé ou la radio et ça ne s’appelait pas encore de la Library music, c’était les années 70 et ils étaient les maîtres du monde. Quarante ans après le démantèlement de l’ORTF et dix après le dernier vol du Concorde, les voilà entassés dans une petite boîte avec leurs synthés et rouflaquettes à revisiter une certaine conception du futur français.

N’allez pas me demander comment on en est arrivé là. C’est pas vraiment qu’on regrette l’image ternie de cette France pompidolienne ou toutes ces émissions prémâchées où Guy Lux, Maritie et Gilbert Carpentier et Danièle rivalisaient d’ingéniosité pour divertir les masses bêlantes rêvant de pilule contraceptive, de Tour de France, de jours chômés ; en un mot comme en cent, d’une vie meilleure. Derrière la vacuité du service public d’alors, et fait unique dans l’histoire audiovisuelle, quelques farfelus décidèrent d’enrober cette tête de veau cathodique dans un bien bel emballage nommé Library music, terme un peu savant désignant aujourd’hui cette musique au kilomètre par définition invendable car non commercialisée qui servit d’habillage à pléthore de programmes. Certains s’y firent un nom – François de Roubaix, notamment – beaucoup n’en revinrent pas. En bref : beaucoup d’appelés, peu d’élus.

Si la Library Music semble avoir mieux vieillie que Denise Fabre, il est étonnant d’avoir dû attendre le milieu des années 2000 pour la voir ressurgir, vingt-cinq ans après sa naissance. Tout commença avec une série – « Space Oddities » – de derrière les fagots initiée par Alexis Le Tan, qui acheva définitivement la mode des compilations d’horribles reprises dégotées par Béatrice Ardisson un lendemain de cuite ; puis ce fut au tour de Black Devil Disco Club de sortir du cercueil pour expliquer au monde entier que la France des seventies ne se limitait pas à Claude François. En plein ère de l’internet, chacun débuta sa ruée vers l’or(dinateur) en tentant d’épater le voisin avec des pépites obscures de Philippe Besombes, Brian Bennett, Jean-Pierre Decerf ou Jannick Top ; c’en devint presque gonflant de constater par flux interposés qu’on pouvait avec grande simplicité déterrer tant de trouvailles d’un simple clic ; une poignée de gens de bons goût commencèrent à s’improviser Dj révisionnistes – pléonasme ? – en samplant ces musiques souvent non créditées et la Library Music, jusque-là un art mineur réservé aux pros de la collectionnite aiguë, devint une mode. Trente ans après sa naissance. Ca relève autant de la gérontophilie que du cannibalisme…

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Et donc, nous voilà trente ans plus tard. C’est alors que le terme rétro-futurisme est en passe de devenir aussi usé que les refrains de Sébastien Tellier – son nouvel album instrumental est risible d’orfèvreries Versailles du pauvre – qu’une major nommée Because décide d’enfoncer le clou dans le cercueil en publiant la compilation « Cosmic Machine », savamment sous-titrée a voyage across french cosmic & electronic avant-garde (1970-1980) ; et le tout avec une pochette signée par Philippe Druillet. Voyez comme ça se passe de commentaire. On aurait évidemment envie de s’offusquer en criant au loup, car comme avec tous les sous-genres français ayant durablement marqué les esprits après avoir fait de courtes carrières – les fameux jeunes gens modernes en sont un bon exemple – le marchand du temple rafle invariablement la mise en compilant ce qui n’a pas marché la veille.
Le principe est connu : on sort du placard en forme de pierre tombale une poignée de titres enregistrés pour trois fois rien et venant pour la plupart d’artistes méconnus ou ringards ayant fait fortune dans la musique d’ascenseur ou dans les jingles pub. Laissez fermenter le tout pendant vingt ou trente ans, attendez que les musiciens susnommés – et leurs ayants droits – aient clamsé et ressortez le tout sous la forme d’une compilation faussement défricheuse en hommage à ces balayeurs du dimanche qu’on retourne post mortem comme des feuilles mortes. Dès lors, le cosmique flirte avec le comique et l’écoute de cette énième soucoupe volante réserve autant de surprises que de kitcheries, de révolutions sonores que de pitreries merdiques.

space-cover-665x400Loin de moi l’idée de passer pour le bougon de service, mais « Cosmic Machine » enfonce tout de même quelques portes ouvertes. Le titre Le bracelet d’Alain Goraguer, mille fois entendu depuis la redécouverte de la B.O. de « La planète sauvage », fait l’effet d’un coussin péteur gonflé à moitié. Le Motel Show de Pierre Bachelet, hormis le fait qu’il vous permettra d’épater la galerie persuadée que le Droopy dépressif n’a composé que des chansons anxiogènes pour cancéreux de la houille avec ses Corons, n’a rien d’extraordinaire. Même sentence pour Le rêve de Patrick Juvet, placé en ouverture du disque comme s’il fallait absolument prouver que les plus tocards de nos chanteurs de variété avaient eu, l’espace d’un instant, deux neurones en osmose. Quant au Le physique et le figuré par Gainsbourg et Jean-Pierre Sabar, qui pourrait croire un seul instant que l’auteur des Sucettes se cache derrière cet ode synthétique à placer en ouverture d’un documentaire animalier ? Bon. Voilà pour le bureau des plaintes.
Car en dépit de ce long plaidoyer, « Cosmic Machine » reste un exercice louable, autant pour les novices biberonnés aux playlists pour les nuls du Mouv que pour les mélomanes un tant soit peu érudits mais hélas pas très doués en Histoire de France. Au royaume du cheesy électronique, les Français étaient loin d’être borgnes et cette compilation aux allures de rétroviseur tend à prouver qu’ils pourraient bien être parmi les pionniers d’un genre, certes inégal, mais néanmoins passionnant. Plutôt que de vous infliger encore trois paragraphes du même acabit sur les raisons qui font de la Library Music un puits sans fond dans lequel on peut venir se désaltérer comme un boit-sans-soif, voici un top 3 des morceaux présents sur ladite compilation, moins boule de cristal que boule à facettes. La faute à la démocratisation des synthétiseurs, au look infâme de « Jean-Mi » Jarre et surtout à la fonte des moyens dans la production audiovisuelle, pas sûr qu’on revisite notre époque avec autant d’incrédulité dans trois décennies.

Space Art – Love Machine (1980)

Vingt ans avant l’utilisation du vocoder par un autre duo casqué, ces deux là s’inspirent de Kraftwerk pour insuffler aux machines un groove numérique qui fait le même effet que si une bande de robots se mettaient une race en Bavière, le temps d’un lost week-end. Si Love Machine reste probablement leur plus grand « hit », il n’a pourtant pas sauvé le groupe de l’oubli. Paraitrait que Space Art se serait reformé en 2012 pour une tournée européenne. Ne surtout pas cliquer sur Google Image.

Droids – Shanti Dance Pt1 & Pt2 (1978)

Que se passe-t-il quand un responsable musical également moniteur de ski nautique du nom de Richard Lornac, par ailleurs pianiste de Thierry Le Luron, rencontre un gang de droïdes complètement allumés ? Réponse : un disque nommé « Star Peace » que la postérité n’a pas gardé au casting. C’est bien dommage. Ce titre est une forme de preuve par l’exemple : on peut être un robot ET un junky. Bender approves this message.

Didier Marouani – Temps X (1979)

Au rayon des soldats tombés pour la France, Marouani n’est pas le plus célèbre des anonymes et son Temps X certainement pas le morceau le plus inconnu du lot. C’est pourtant le plus emblématique de la collection puisqu’il fut le premier générique de la mythique émission éponyme des frères Bogdanoff. Après avoir opéré un décrassage en forme de bizutage en ouvrant pour Dassin ou Johnny, Marouani change de dimension en formant le groupe Space dont le single Magic Fly – aussi présent sur la compile – permet à Didier de cotiser pour sa retraite à la vitesse de la lumière. La suite, c’est une série d’albums souvent inécoutables. Reste ce titre ressorti des oubliettes, idéal pour passer l’aspirateur en apesanteur.

Compilation « Cosmic Machine, a voyage across french cosmic & electronic avant-garde (1970-1980) » // Because (CD, vinyle)

5 commentaires

  1. Je suis assez surpris par cette compilation de  » Cosmic Music « , j’ai comme l’impression que Because n’ayant pas senti ou cru au retour de ce style musical, tente maladroitement, sous l’égide de Gonzaï, de prendre le train en marche. Malheureusement le train se trouve déjà au dépôt et les uniformes de son personnel de bord ont déjà pris un sacré coup de ringardise.
    Sérieusement, Messieurs de Gonzaï, pourquoi vous êtes laissés embarqués dans ce projet fade et à mon avis commercialement sans potentiel.
    Bref, personnellement, je me serais abstenu.
    N’y voyez pas d’attaque contre vous, car je suis plutôt souvent agréablement surpris par les pojets de Gonzaï mais là, j’en reste pantois …

  2. « Quant au Le physique et le figuré par Gainsbourg et Jean-Pierre Sabar, qui pourrait croire un seul instant que l’auteur des Sucettes se cache derrière cet ode synthétique à placer en ouverture d’un documentaire animalier ? »
    Vous l’avez vraiment écouté ce morceau ? Êtes-vous certain de ne pas avoir sauté une ligne dans le tracklisting?
    J’sais pas, ce morceau ressemble plutôt à une B.O. de polar Italien de la même époque, non ?
    By the way, il y a une faute de grammaire à côté de Denise Fabre.

  3. Bonjour j’aurais une question, avant tout je m´appelle Remi,
    je suis sans famille, et je me ballade avec tous mes amis, ma famille à moi c´est celle que j´ai choisie.
    Et donc je voulais savoir si il y avait une sanisette dans le coin, j’ai envie de pisser.

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