Huit ans d’absence entrecoupés d’une excellente récréation avec Franz Ferdinand (« FFS ») et toujours la même question à propos des deux frères Mael : comment ça va bien ? À priori, encore aussi frais que les chansons du nouvel album pachydermique, « Hippopotamus ». De passage à Paris, l’un des plus vieux groupes toujours en activité a pris le temps de répondre à quelques-unes de nos interrogations. Et ça vous intéresse, n’est-ce Sparks ?

1974_2Ron et Russell Mael ont connu dix Présidents des États-Unis. Ça n’a l’air de rien, mais pour ceux qui aiment la pop sous speed, ça veut dire beaucoup. Les deux premiers albums « Sparks » et « A Woofer in Tweeter’s Clothing » voient le jour sous le règne de Nixon ; pour fêter sa destitution – son départ anticipé plutôt – les deux publient un premier chef-d’œuvre, « Kimono my house », dont chaque chanson est aussi épuisante qu’un cent mètres. À partir de là, la foulée des deux Californiens s’accélère aussi vite que les locataires de la Maison Blanche s’épuisent : « Propaganda », autre chef-d’œuvre empruntant autant au glam émotionnel (le sommet Never turn your back on mother earth sera plus tard repris avec brio par Martin Gore) qu’à l’urgence du punk, naît sous le règne de Gerald R. Ford ; suivront alors pendant le même mandat « Indiscreet » et « Big Beat » avec à chaque fois l’impression de se prendre un piano bourré d’amphétamines sur la tronche. Entre les élections de Jimmy Carter et Reagan, les frérots toujours pas calmés s’acoquinent avec Moroder pour encore augmenter la vitesse de lecture ; c’est « No. 1 in Heaven » et « Terminal Jive », plus disco que jamais, jamais vulgaires, toujours avec la même science du cartoon synthétisé en trois couplets.
Arrivés au milieu de leur discographie, et en passant sur les quelques errements sous George Bush Sr et Clinton, les Sparks auraient dû, selon la logique, s’essouffler et périr un peu avant la ligne d’arrivée des années 2000. Mais non. « Lil’ Beethoven », publié en 2002, consacre un style reconnaissable entre mille, mélange de récital classique et de rock à l’anglaise ; à la fois beaucoup plus raffiné que les lourdauds américains et surtout plus européen dans la manière d’aborder les comptines, avec plusieurs gilles de lecture à leur arc. C’est ainsi que se conclut ce paragraphe « Sparks pour les nuls », avec à l’horizon un 22ème album, « Hippopotamus », accouché au forceps avec un masque de clown et un pistolet à eau pour accueillir un Donald Trump définitivement trop con pour réaliser qu’il a finalement permis aux Sparks de survivre dans un monde devenu aussi surréaliste qu’eux.

« Hippopotamus », comme on pouvait s’y attendre de la part d’un groupe toujours aussi imprévisible, c’est un peu entrée-plat-dessert en même temps. Les quinze vignettes qui le composent plairont autant aux puristes des débuts qu’aux fans de tant de groupes qui les ont plagiés (Scissor Sisters en tête, sans oublier Hercules and Love Affair), en vain. Pour en parler, j’ai rendez-vous avec Ron et Russell, plus de 140 ans à eux deux, un bon matin de juillet. En bas de l’hôtel quatre étoiles, à deux pas de l’Opéra de Paris, trois fans font le pied de grue dans l’espoir de se faire dédicacer un exemplaire et commentent, un à un, leurs meilleurs souvenirs de tournée. Qui, en 2017, peut se targuer de ça ? Pas grand monde.

Troisième étage, on y est. Derrière la porte, Russell Mael arbore une jolie coloration digne de Jean-Pierre Foucault et son frère, Ron, une moustache toujours aussi bien taillée. Deux statuts cirées comme au Musée Grévin s’apprêtent à me raconter leur destin purement californien, en stéréo.

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Bon alors, ça fait quoi de se remettre à la promo après huit ans d’absence ?

Ron (piano) : Ce qui fait plaisir, c’est l’enthousiasme général autour de « Hippopotamus ». Forcément, ça rend le service après vente plus facile que par le passé. Parce que oui, pour anticiper ta prochaine question, on a sorti des albums qui ne suscitaient pas la même excitation…

Russell (chant) : Ouais pareil. Surtout en France, où l’on a toujours été bien accueillis [notamment avec « Terminal Jive » produit en 1980 par Moroder, ndlr], et là encore on va revenir chez vous pour un concert à la Gaîté Lyrique, mais aussi un truc avec Catherine Ringer pour un show à la Cigale [qui fête ses 30 ans, ndlr].

Passons maintenant à la grande question : vous êtes dans le circuit depuis presque cinquante ans et avouons-le, « Hippopotamus » aurait pu être publié en 69, 74, 80 ou 2016 qu’on ne ferait aucune différence, artistiquement parlant. Tous les autres groupes de votre époque sont crevés ou simplement devenus vieux et médiocres, et vous, vous êtes là. Comment ?

Ron : Avoue quand même que ceux qui sont morts ont une excuse, ah ah. Disons que nous n’avons pas l’impression d’avoir atteint un certain stade de maturité ; on est chanceux en revanche d’avoir su conserver une attitude authentique qui nous permet d’écrire des chansons plus personnelles. Bon, en gros : oui, on en a encore pas mal sous la pédale.

À l’inverse de Neil Young qui, lui aussi, semble avoir sombré dans l’Auto-Tune, vous n’avez jamais fait l’erreur de vouloir « sonner jeune » et pourtant, c’est toujours frais. Avez-vous par le passé refusé certains outils, certaines techniques, qui vous auraient permis de rester ancrés dans la modernité pour de mauvaises raisons ?

Russell : Effectivement. On considère comme un atout le fait de ne pas faire partie de la famille des groupes « indie ». D’ailleurs, on n’a vraiment pas compris pourquoi la majorité des groupes refusent de sortir de leur zone de confort, histoire de tenter un truc, même si c’est un échec à l’arrivée. Je ne sais pas pour les autres, mais les Sparks tentent quelque chose de nouveau à chaque fois ; chaque album tente de tenir debout tout seul et pour nous c’est toujours un peu comme si c’était le premier. Bon, le fait est qu’il y en a 21 avant « Hippopotamus »… Ah ah.

Ron : C’est toujours très dangereux de vouloir s’adapter à la technologie – ça devrait être l’inverse – car c’est l’assurance d’être largué aussi sec.

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Pour revenir sur cette zone de confort, comment deux frères âgés de… Ah oui, pardon, j’avais oublié qu’on ne connaissait pas votre âge…

Les deux : Tu fais bien de le rappeler ah ah.

Donc : à quel moment des frères d’environ 70 balais chacun décident-ils d’appeler leur nouvel album « Hippopotamus » ? C’est quoi le but : dépasser les limites de la stupidité acceptable ?

Russell : Uh uh. Tout vient de la chanson éponyme. Quand est venu le moment de trouver un nom à ce disque, c’est apparu comme le nom le plus fort, c’était tellement Sparks ! La pochette reflète bien cette idée : comment cet hippopotame s’est-il retrouvé dans cette piscine de la banlieue de Los Angeles ? Que s’est-il passé avant ? Et après ? C’est très David Hockney dans l’esprit.

On est bien d’accord que c’est un collage : vous n’avez pas vraiment foutu un hippopotame dans une piscine, hein ?

Russell : C’est évidemment un secret. D’ailleurs, l’hippopotame est un animal beaucoup plus vicieux qu’on ne le pense, un des plus dangereux aussi. Dans l’inconscient collectif, ce n’est rien de plus qu’un gros blob ventripotent, mais il peut tuer.

Un peu comme vos chansons en fait. D’ailleurs, comment travaillez-vous les visuels du groupe ? La discographie complète des Sparks pourrait presque faire l’objet d’une rétrospective à la Tate Modern. Par exemple, « Propaganda », c’est délirant. Comment est-elle née ?

Russell : On l’a shootée dans le sud de l’Angleterre et bien sûr, il y a beaucoup de montage.

Ron : Et la météo était bien plus pourrie qu’elle n’en a l’air sur la pochette. Au départ, le photographe voulait nous faire sauter d’un avion en parachute et nous photographier pendant la chute. Bon, on était prêts à accepter à peu près n’importe quoi, sauf ça.

Russell : Quelque part c’est un peu le même cas qu’avec « Hippopotamus » ; c’est intéressant de se demander quelle est l’histoire de ce film : comment deux mecs se sont fait kidnapper et pourquoi sont-ils ligotés sur un bateau ? Quelque chose se passe sur la pochette, et on ne sait pas quoi.

Ron : Et c’est pour cette raison que le « retour du vinyle » est doublement appréciable : non seulement le son est évidemment meilleur, mais le format permet également de mieux apprécier le travail esthétique qu’une vignette iTunes.

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C’est peut-être un hasard, mais deux chansons de l’album abordent la volonté d’être fun (I wish you were fun, A little bit fun). Les gens de l’industrie musicale sont si déprimants que ça, que vous soyez obligés d’écrire des chansons sur eux ? Blague à part : le fun c’est une obsession ?

Russell : Ah ah bien vu, mais I wish you were fun c’est avant tout l’histoire d’un mec vivant avec une fille parfaite, bien sous tous les aspects, mais à qui il manque juste le truc essentiel. L’homme lui raconte à quel point elle est formidable mais il regrette juste un truc : qu’elle n’ait aucune folie et que sa couleur préférée soit le marron.

Ça nous amène assez subtilement à la chanson Scandinavian Design, un autre cartoon du disque, assez poilant, où vous racontez l’histoire d’une fille – la même ? – obsédée par les meubles nordiques.

Ron : Il y a de l’humour partout bien sûr, mais pas forcément dans le sens comique. C’est le cas de Scandinavian Design où la fille en question semble complètement blasée, même par la couleur du ciel ; le mec lui répond alors : « Putain mais c’est quoi le problème avec le ciel ? » C’est là que le design scandinave permet une grille de lecture un peu plus profonde : c’est une passion pour elle, un mystère pour lui. C’est ce qu’il y a de magique dans l’écriture des paroles ; on peut exagérer les situations en trois minutes et il y a toujours un sens derrière. C’est comme ça qu’on voit la chose, même si je déplore que beaucoup d’artistes n’y voient qu’une opportunité pour parler de sentiments.

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Comme le sexe, l’amour, etc. Il n’y a rien de tout cela sur « Hippopotamus ». Le symbole, chez les Sparks, est-il plus puissant que la réalité ?

Ron : Depuis le début nous avons clairement créé un univers, que ce soit sur scène, dans les visuels et oui, dans les paroles. Nos histoires partent toujours de faits réels, nous essayons simplement de les enrichir d’un sens un peu plus profond ; c’est le cas avec Scandinavian Design qui, quelque part, est une sorte de divorce d’avec la chanson pop conventionnelle. On est atterrés quand on voit la pauvreté des chansons actuelles, avec des paroles foutues là juste pour combler un trou.

Et on en arrive donc à la présence de Leos Carax sur When you were a French director.

Ron : On bosse avec lui sur un projet depuis quatre ans et on espère bien qu’il verra le jour l’année prochaine. Au moment où on terminait l’album, Leos, peut-être frustré de ne pas être un musicien comme le sont souvent les réalisateurs, nous a demandé comment il pourrait faire une apparition dessus. Il n’y avait pas beaucoup d’espace pour lui, hormis cette chanson, et il s’est prêté au jeu avec grand plaisir.

D’ailleurs, puisqu’on parle de ciné, toujours pas de nouvelles de Tim Burton ?

Russell : Nan… Le projet s’appelle Mai, the Psychic Girl, c’est basé sur un manga japonais et ça fait des plombes que ça dure… On a commencé à plancher là-dessus en 1989…

Ron : Et il s’est manifesté pour la première fois en 1991.

Russell : À cette époque il racontait dans les journaux que ce serait son prochain film, une espèce de comédie musicale avec nos morceaux pour illustrer. Le truc c’est que Burton, comme beaucoup de réalisateurs, bosse constamment sur quinze projets en même temps. Donc le notre a été mis de côté pendant… vingt ans ! Au bout de vingt ans donc, Tim nous appelle : « Hey, je crois que c’est le moment de lancer Mai, the Psychic Girl. » À ce moment-là, il réécoute les morceaux que nous avions écrits et nous dit : « Vous savez les mecs, j’aime bien bosser vite ! » Ouais, tu parles, on s’est regardés avec Ron en se disant : « N’empêche que t’as attendu vingt ans pour nous rappeler ahaha. » Et le deuxième rendez-vous dont je te parle, c’était il y a sept ans ! Aux dernières nouvelles, il serait toujours intéressé. Qui sait, un jour peut-être ?

Sparks // Hippopotamus // BMG (sortie le 9 septembre)
allsparks.com

Ron et Russell seront en concert à l’Ancienne Belgique (Bruxelles) le 16 septembre et à la Gaîté Lyrique (Paris) le 1er octobre.

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