Au poker de l’ennui, le poulpe espère toujours décrocher le carré d’As et pouvoir répondre, en chroniqueur blasé, à la question que tout le monde se pose : « Avec quel album vous ennuierez-vous le moins au printemps ? ». Alors je balade un tentacule distrait sur le plateau  Gonzaï pour en retirer, une à une, les cartes musicales qui sauront peut-être transformer la partie en trompe-l’ouïe.

Première carte, les enceintes commencent à crachouiller les premiers accords du Towards the sun d’Alexi Murdoch. J’aurais pu tomber plus mal. Sa folk rustique et sa voix de gentil cowboy remplissent la pièce. Le british singer/songwriter fait résonner les grands espaces et je me retrouve soudainement quelque part dans le désert de l’Arizona, allongé près du feu. Je me réchauffe, ça sent le vieux whisky et le tabac à chiquer. Les tracks défilent mais le feu s’éteint peu à peu. Murdoch fait sa Slow Revolution dans sa chemise à carreaux, ça lui va très bien mais moi je commence à bailler, je soupire jusqu’à son Crinan Wood. Son banjo m’achève dans une mélopée mortifère, 8’43 » à tenir, à peine soutenu par le beuglement d’une trompette en sourdine. L’As tombe sur le carreau et moi dans les bras de Morphée. Relégué aux enfers !

Alexi Murdoch // Toward the Sun // Zero Summer // http://www.myspace.com/aleximurdoch

Je me réveille en sursaut. La lecture a embrayé sur le dernier Cascadeur. Drôle de coïncidence. Comme pour me rappeler à mon devoir, The Human Octopus me rend visite, tente de me serrer le tentacule tout en me caressant l’ouïe, mais la poigne est molle. C’est un flop monumental. Le pop singer essaie de me servir sa soupe dans un casque déjà rayé. Mes basic instincts reprennent le dessus, mes nerfs iodés lâchent, j’attrape le pic à glace et attaque un à un les onze titres d’une pop sucrée à l’aspartame sans aucune imagination mélodique. Je m’énerve tout seul tant cette chose que j’écoute ne sert à rien à part accompagner peut-être quelques coupes de champagnes offertes par des vieux vicelards dans un bar à putes d’Amsterdam. L’As de pic lui claque définitivement la visière monochrome et je zappe sans aucun regret.

Cascadeur // The Human Octopus // Mercury // http://www.myspace.com/cascadeur

Keren Ann s’invite et un espoir renaît. Avec des mélodies bien travaillées, basse omniprésente, envolées de cordes et chœurs Burtonesques, 101 renvoie au domaine des rêves. La voix douce et feutrée de la chanteuse néerlandaise caresse mes ouïes tout à coup reverdies. Me fait imaginer les plus belles danses des muses dans les champs de blé et moi seul, au milieu, en mâle conquérant prêt à contenter leur étrange libido dans une orgie pastorale remplie de sève. Keren Ann a sur moi un pouvoir érectile onirique, mais comme tout ce qui provient du rêve, il reste éphémère et inaccessible. Je suis frustré, le céphalo-sexe pendouillant mollement, je ne lui donnerai pas l’As de coeur mais le trèfle à quatre feuilles.

Keren Ann // 101 // EMI // http://www.myspace.com/kerenann

Me reste l’As de cœur que je décerne directement à Kurt Vile et son Smoke Ring for my Halo. Et oui, le poulpe l’avait déjà repéré, je ne sais pas jouer sans tricher. A contrario du pop/rock songwriter de Philadelphie dont les mélodies atmosphériques efficaces remplissent mon espace sonore. Sa lo-fi, claire et directe, me plonge sans fioritures dans un état de liberté et d’allégresse retrouvées. Entre deux rêves j’aperçois Bob Dylan, Springsteen ou encore Tom Petty qui me donnent la leçon, sans états d’âme, d’un roots rock ambitieux. Kurt Vile traverse le désert musical actuel à fond, sous un soleil de plomb tout en étanchant ma soif de grands espaces, je suis bien, enfin !

Kurt Vile // Smoke Ring for my Halo // Beggars // http://www.myspace.com/kurtvileofphilly

Dans le trompe-l’ouïe de l’ennui en forme de poker triste ou bien menteur, j’ai sorti mon carré d’As, la main qui permet toujours d’espérer emporter la partie. Dans le genre « Avec quel album vous ennuierez-vous le moins au Printemps ? », j’ai sans doute trouvé ma réponse avec le vivifiant Smoke Ring for my Halo de Kurt Vile ou le très sexy et onirique 101 de Keren Ann. Mais dans le désert musical actuel, plus personne ne veut jouer au poker alors… ça peut valoir le coup de tenter de reprendre soi-même la main en invitant le hasard à sa table d’écoute, réussir le bluff ultime vers le grand frisson musical.

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