Sur le dictaphone. Une interview où l'on s'entend plus parler que le groupe lui-même trahit beaucoup de choses. Trop bu pour être pro ? Pas assez ? Même pas.

Sur le dictaphone. Une interview où l’on s’entend plus parler que le groupe lui-même trahit beaucoup de choses. Trop bu pour être pro ? Pas assez ? Même pas. Savoir accepter la vérité : j’ai été mauvais. La lucidité se trouble dans les vapeurs de l’auto-complaisance. Une interview trop peu préparée cela donne ça :

Débouler dans le 12e en se faisant google-map guider par son rédac chef, tomber sur un bar qu’on n’imaginait même pas exister dans Paris. Un rade à taille humaine qui ne soit pas rempli d’attachés de presse, de journalistes auto-proclamés, de DJ à la mode (une hype brève et toujours injustifiée). Un bar accueillant, qui sait servir du rhum arrangé et des assiettes de frites, les vraies, coupées au couteau et dorées, et non pas noyées dans un bain d’huile. Déjà ce bar, le Buveur de Lune (métro Charonne) est une surprise, et il aurait fallu se fier aux signes. Entrer, donc, s’installer, et se rendre compte au fur et à mesure où progresse la conversation qu’un groupe peut être l’opposé parfait de ce qu’on en pensait en passant la porte.

Chaque minute de cette soirée avec Binoculars me le confirme. Je suis off. D’abord le jeu des références, excellente connerie journalistique voué à l’échec.

Moi :  « Ouais vous sonnez complètement indie, façon Pixies, Weezer, un peu Sonic Youth dans ses moments pop… »

Eux :  « Ah ? »

-Regards vitreux-

Moi : « Ok, à vous de me dire ».

Qu’est-ce-que j’avais pas demandé… J’ai eu droit à « Les groupes de chez Flying Nun, surtout The Chills et la scène néo-zélandaise. Robyn Hitchcock aussi, et The dB’s » ce dernier renforcé par une adoration de Chris Stamey dans le studio duquel ils voudraient enregistrer l’album… Ramasse ta mâchoire.

Largué en 5 minutes. Je voyais Nada Surf dans ce rock primesautier, mais je me gourais. Il fallait remonter un cran plus haut, à la powerpop. Accroche parfaite, mélodie indentifiable, énergie sans violence, positive. Celle qui commença dès les Byrds, Kinks, Beatles album blanc, et aboutissait au Teenage Fanclub, Posies,  mais influença autant le Paisley Underground que R.E.M. Oui, parce qu’ils ont fini par m’accorder Peter Buck et Matthew Caws. Cheveux longs idées courtes, je la boucle sur le Dunedin Sound qui échappe à ma culture, sans que je trouve aucune raison valable à ce gouffre d’ignorance.

Détente. La conversation prend le pas sur l’entretien. Alors arrive cette deuxième leçon : ne jamais se fier à un maxi annoncé de longue date et attendu, à l’emballement du sieur Beauvallet, de FIP (pourtant dernière radio a encore solliciter toutes les zones corticales de l’auditeur), ou de Magic. Tant de buzz ne pouvait qu’annoncer un groupe aux longues années d’expérience qui perce enfin et… Pfff tu parles.

La bio de Binoculars fut entièrement déroulé avant que mon premier verre soit vide : débuts il y a 6-8 mois. Dan et David avaient un groupe avant ; Thierry et Yann aussi (le trippant Bed). Histoire banale. Dan : « On a mis des annonces dans les endroits classiques. On ne peut même pas te raconter qu’on s’est rencontré dans la légion, ou bien qu’on jouait de la guitare en Afrique du Sud… ». Une douzaine de concerts essentiellement à Paris, un passage en studio pour un maxi trop équilibré pour faire ressortir la (pourtant réelle) originalité de ce quatuor, puisque réalisé sans producteur. Et voilà où nous en sommes.

Je commence à penser que s’ils ont eu un tel buzz (et succès disons-le) en si peu de temps, je ne sers plus à rien ici. Le CD sera demain dans toutes les mains et un bookeur les enverra… Non ? Vous n’avez pas de bookeur ? Vous ne savez pas à qui envoyer le disque…

Je retombe dans mon fauteuil. Tardivement, je vois la lumière.

Parce que voilà, Binoculars est l’exemple parfait de ce que notre époque réserve comme carrière en tonneau des danaïdes à des prodiges en devenir. Règne du numérique, autopod, auto-promo en ligne, mixage amateur… foutaises ! Sur le papier, chacun peut tenter sa chance en solo pour pas un rond. Oui mais encore faut-il savoir produire, mixer, booker…

Thierry : « Aujourd’hui il faut savoir faire mille métiers, alors que nous on a surtout envie de faire de la musique. De s’enfermer dans le local et de jouer. »

A force de squeezer toute l’industrie pour gagner des ronds sur les coûts, on se retrouve avec 60% des groupes qui crèvent avant de voir une console de mixage, et le reste qui apprend à jouer de Protools et Myspace au lieu d’écrire des chansons. Et quand ils sont bien chauds bien prêts, il ne reste au label qu’à leur mettre un blister brillant et à le jeter dans les bacs. Avant de chercher le suivant.

David se gratte la barbe et Yann freine sur ses frites. Nous tombons d’accord : avant il y avait un Rob Gretton, un Danny Sugerman, pour comprendre les groupes et trouver quelqu’un qui respecte leur ligne artistique, sache la mettre à profit. Et je pèse ce mot. Thierry compare ça à un restaurant. Normalement, tu payes pour te faire accueillir, servir, cuisiner… Aujourd’hui il faut limite allez faire la sauce soit même et payer quand même à la fin. Et on rit jaune quand Dan lâche « Finalement, l’avenir c’est Picard… ».

Ca fait froid dans le dos.

On a tué le middle man parce qu’il coûtait cher, mais c’était une garantie de qualité. Aujourd’hui, c’est sans filtre, et bien souvent avec des exhausteurs de goût. Show-business cancérigène.

Binoculars a tout pour plaire et convaincre sans qu’on ait besoin de décrypter leur style ou comprendre leurs influences. Leur histoire. Mais il faudra qu’on leur donne leur ticket to ride.

En quittant le Buveur de Lune, j’ai pensé que je n’avais vraiment rien dit ou demandé d’intéressant. Que je m’étais fourré le doigt dans l’œil. Des fois on croit savoir, on avance les yeux fermés et puis on se surprend à découvrir encore des choses. De belles choses. Tant mieux. Et tant mieux pour eux. Qu’au moins cette confiance aveugle leur réussisse à eux.

www.myspace.com/thebandbinoculars

 

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