Être l'ancien membre d'un groupe super connu apporte pas mal d'avantage. Comme celui de continuer à faire parler de soi alors qu'il n'y a pas forcément de raison évidente à cela, hormis un nouvel effort en solo ("Back to Basics") publié 30 ans après le dernier en date. Interview d'un ex Rolling Stones.

3731540Aller à un concert et faire une interview sont deux activités assez similaires : on ne sait jamais vraiment dans quoi on s’embarque. Surtout quand on ne connaît pas vraiment l’artiste en question. Pour maintenir le parallèle le plus longtemps possible, et alors que je suis coincé dans un T.E.R. Paris-Lyon, illustrons le propos avec des phrases simples et imagées  : « ouais, ça risque d’être chiant, mais quand même, c’est machin ». Ou alors, beaucoup moins glam « J’ai jamais écouté mais il parait que etc, donc OK ». Et même pire : « J’ai rien à foutre, allons-y ». Dans le cas présent, c’était un peu de tout ça. On nous propose Bill Wyman, bassiste émérite des Rolling Stones jusqu’en 1993 (non, on a pas pu avoir Jagger, on n’est pas TF1) et l’interview s’est en amont négociée à base de « – C’est pour le mag ? – Non pour le site. – Ok, mais vous faites de l’audience ? ». Bref, après un combat promotionnel qui n’aurait d’égal historique que la rencontre entre David (avec un bonnet, une moustache et des ourlets) et Goliath (marchant en déambulateur), on a le droit à vingt minutes d’interview au téléphone.

Reste à savoir qui veut la faire. « Je suis débordé, mais ok si personne ne veut ». On m’y a collé. En même temps, les Stones, hein, je vais pouvoir tellement me la péter avec mes oncles rockeurs-mais-banquiers-mais-rockeurs-quand-même. Let’s go. Inutile de préciser que j’ai dit oui avant d’écouter l’album, tout comme personne n’a jamais eu besoin d’écouter le dernier disque des Stones, « A Bigger Bang » (un assez bon album, au demeurant) pour se ruer sur les places de la tournée éponyme qui rapporteront aux sexagénaires (ou pire, je ne sais plus à force) la bagatelle de 90 millions de dollars.

Puis vient la préparation de l’interview : le disque, « Back to Basics », n’est pas mauvais. J’aurais arrêté au premier morceau s’il ne s’était pas agi d’interviewer le mec qui l’avait pondu et surtout s’il ne s’était pas appelé Bill Wyman (oui, le bassiste le plus actif dans les Stones, c’est lui. Si vous croyez que c’est Darryl Jones, vous avez un sérieux problème). Le tout le lendemain d’un concert de Paul McCartney qui redonnait un peu foi en la vieillesse. A ce moment là, j’ai la vague impression de bosser pour Rock’n’Folk. Bref. L’album est une resucée pas désagréable, mais pas folle non plus, de blues anglais, cette excuse bancale trouvée par Clapton et Mayall et quelques autres pour justifier le fait qu’ils pillaient allégrement deux trucs inventé par les noirs américains : le blues et le rock’n’roll. Mais bon, ça aurait pu être pire. Genre la soupe que fait Clapton depuis son MTV Unplugged.

Passons sur l’album, Bill Wyman étant Bill Wyman, il a, a priori, forcément des choses a raconter. On ne passe pas 30 ans chez les Stones dans un état de coma léthargique profond. Tout comme on ne brevette par un détecteur de métaux pour enfants si on n’est pas un minimum funky. Donc ça aurait dû le faire. Mais – oui sinon c’est trop facile – attention Bill c’est quand même un mec qui a joué dans le plus grand groupe de rock autoproclamé de tous les temps (ex-æquo avec Led Zeppelin, Black Sabbath, The Who, U2…), donc il y a des choses qu’on n’a pas vraiment le droit d’aborder avec le monsieur : pas plus de deux questions sur les Stones, pareil pour son groupe d’après, les Rythm Kings, pareil pour ses activités annexes, et, surtout, rien sur sa vie perso (ses histoires cheloues avec sa meuf un peu trop jeune pour lui, enfin surtout pour la loi, on n’a pas le droit d’en parler. OUPS). Grosse ambiance chez les rockeurs.

Pour résumer : le jour du phoner, on va faire de la promo. Même avec des questions un peu détournées, Wyman retombe sur ses pattes et arrive à balancer la même sauce qu’il sert à tous les médias de la planète. Heureusement, on découvre en filigrane le caractère du personnage. Et on comprend assez vite qu’être l’ancien bassiste des Stones, c’est un peu comme aller à un de leur concerts : on est content, mais on a tout le temps besoin de se rassurer sur le fait que c’était une bonne idée.

Bill_Wyman_s_Rhythm_Kings-Double_Bill-Interior_Frontal

Salut Bill, comment ça va ? Pas trop fatigué par toutes ces interviews ?

Ça va, j’ai un petit rhume, peut-être un peu de fièvre, je sais pas.

Vous êtes à Londres ?

Oui.

Quel temps fait-il chez vous ?

Il fait chaud et sec, c’est assez inhabituel hein ?

Ma première question est à propos du nouvel album, puisqu’on est là pour ça. Qu’est ce que cet album signifie pour vous ? Il sort quand même 30 ans après le précédent…

C’est juste un autre projet. Quand j’ai commencé à travailler dessus l’an dernier, j’avais quelques morceaux dans la tête et des démos qui dataient un peu. Je me suis dit « pourquoi pas tenter un nouveau disque, voir un peu ce que ça donne ». Ça a donné des trucs très sympa, mes amis qui ont écouté ce que je faisais avaient l’air d’aimer, donc c’était encourageant. Ma fille aimait bien aussi. Donc j’ai continué : j’ai travaillé chez moi, j’ai mis les morceaux de base dans mon ordinateur, sur un logiciel d’édition et j’ai commencé à bosser les arrangements, les overdubs, les guitares, les basses… ça sonnait très bien. Je suis allé dans un studio près d’une rivière, et j’ai épuré quelques titres. C’était pas mal, car là où j’habite, il y a du passage, donc c’était pas évident d’enregistrer les voix entre les sons de klaxon et de sirènes, les motos… J’ai enregistré les voix en studio, j’ai rajouté des cuivres et les chœurs avec Beverly Skeete et c’est à peu près tout. Après, j’ai appelé Mark Knopfler, qui est un bon ami, puis Glyn Johns et Bob Geldof, qui n’arrêtait pas de me dire : « sors-le, sors-le ! ». Mark et Glyn m’ont recommandé Guy Fletcher, qui a travaillé avec Mark Knopfler et qui jouait du clavier avec Dire Straits. Il a bossé sur quelques titres du disque et il a ramené Robert McIntosh pour faire du ménage dans les pistes guitare, les rendre plus claires. Puis on a mixé dans le studio de Mark Knopfler, le meilleur d’Angleterre. C’était sympa, j’ai eu de bon retours et de bonnes critiques, tout le monde a l’air de beaucoup aimer ce disque. Si je ne le sort pas maintenant, je ne le sortirai jamais de toutes façons !

Je me suis demandé : « suis-je trop vieux pour ça ? »

Le titre de ce disque, « Back To Basics », semble avoir un sens assez fort. Un retour aux sources quand on a 78 ans, c’est particulier, non ?

(Il se marre) Ce titre est assez simple en fait : je voulais retrouver une certaine forme de simplicité. J’écoutais Neil Young, « After The Gold Rush », il n’y a pas de fioritures dans ses morceaux. Pareil pour Leonard Cohen sur « Dance Me To The End Of Love », la simplicité, l’amour… j’ai voulu chanter l’amour. J’ai écouté Tom Waits, J.J. Cale… tous ces gens. J’ai essayé de simplifier au maximum.

Faire un disque à 78 ans, c’est ça le rock aujourd’hui ?

Quand je faisais mon disque, je me suis demandé : « suis-je trop vieux pour ça ? ». Je travaille toujours sur plein de projets, des livres, je prépare une expo pour le printemps, je vais faire des fouilles archéologiques à l’automne, j’ai des restaurants, il y a eu les Rythm Kings… je suis toujours très occupé. Je me suis dit : « les musiciens de blues jouent jusqu’au bout, si tu es un poète, tu l’es jusqu’à ta mort ». On ne s’arrête pas à un moment pour attendre la mort. Les gens normaux font ça, pas les gens créatifs. Donc finalement je ne vois pas de problème dans tout ça.

Toute la question est de savoir comment vous vous voyez.

J’ai fait une expérience avec ce disque : j’ai fait écouter 3 ou 4 titres à des amis de mon âge et je leur ai demandé quel titre ils préféraient. Je les ai joué dans l’ordre du disque, ça commençait par What & How et ça finissait donc par I Got Time. Leur classement de préférence suivait l’ordre de passage des morceaux. Puis je les ai fait écouter à ma plus jeune fille et a quatre de ses amis, tous âgés de 16 ans. Leur titre préféré était le blues, I Got Time. Ça allait complètement à l’inverse de ce que je m’étais imaginé, je pensais que les jeunes choisiraient un truc plus dynamique comme What & How. Grosse surprise. J’étais très content.

Pourquoi n’avoir pas travaillé avec plus de musiciens sur ce disque ?

J’ai bossé avec plein de monde, Joe Walsh, les Pointer Sisters, Dr John… c’était génial, mais comme j’ai dit, je voulais simplifier au maximum. C’est aussi pour ça que je n’ai presque pas mis de piano, même si j’adore ça. Un pianiste aurait trop rempli les morceaux. Moi j’ai juste ajouté de petites touches mélodiques. J’ai écrit la plupart de ces morceaux sur la corde de Mi grave d’une guitare acoustique.

Ça ne vous tente pas de travailler avec des mecs plus jeunes ?

Je suis ami avec des musiciens et des chanteuses plus jeunes. Si nous voulions prendre quelqu’un de plus jeune dans les Rythm Kings, par exemple, on devrait certainement lui apprendre la bonne manière de jouer, car il aurait probablement plus l’habitude de jouer des truc de son âge, comme du rap ou je ne sais quoi. Je n’ai ni le temps ni l’énergie pour apprendre ces choses aux gens, alors que j’ai autour de moi des personnes qui peuvent faire ça bien immédiatement. Quand j’ai dit à un de mes cuivres, Frank, de jouer de l’harmonica de manière très simple, il l’a fait. Un jeune aurait certainement voulu en mettre partout pour montrer à quel point il est bon à l’harmonica. C’est ce que font les jeunes : tu leur donnes une chance de jouer, ils deviennent fous, ils jouent vite et montrent à quel point ils sont bons techniquement. On ne trouve pas le feeling qu’on cherche.

Je n’ai jamais été aussi heureux que depuis que j’ai quitté les Rolling Stones.

Ce titre, Seventeen, raconte la manière dont certains jeunes atteignent la célébrité très vite et retombent dans l’ombre aussi rapidement…

Dans le temps, je sortais beaucoup avec des mannequins, on allait à Paris ou à New-York. Certaines sont devenues très connues, elles ont bossé avec Vogue et ce genre de choses. Elles ont toutes essayé d’avancer, de faire des films ou de la télé. Seules quelques unes  y sont parvenues. Je voulais écrire là-dessus – ma femme est mannequin – , faire de la publicité, être en couverture de magazines et puis plus rien. Parce qu’elle n’avaient pas appris à être actrice ou quoi que ce soit d’autre. Les paroles sont un peu cruelles : « Seventeen/Screen/Silver Screen/She’s a has been ».

… peut-on aussi y voir un message aux autres membres des Rolling Stones ? Vous avez choisi de ne pas reprendre la route avec eux. Et vous avez dit dans une interview être plus heureux qu’eux aujourd’hui.

Je n’ai jamais été aussi heureux que depuis que j’ai quitté le groupe, car tout ce que je fais a du succès. J’ai écris sept livres, j’ai fait du business, de l’archéologie, j’ai organisé des événements pour des gros musées en Angleterre – ce fut un honneur – j’ai mené un groupe à succès pendant 17 ans, les Rythm Kings, j’ai ouvert une chaîne de restaurants il y a 26 ans, Sticky Fingers… en ce moment, je travaille sur un film sur ma vie. Les autres membres des Rolling Stones sont centrés sur… le groupe ! Ronnie (Wood) fait de l’art, Charlie (Watts) fait du jazz, Mick (Jagger) s’intéresse au cinéma, mais c’est tout. Ils sont surtout dans le groupe et là ils sont aux États-Unis, à faire leurs shows, à faire salles combles. Bonne chance à eux. Je ne peux plus le faire. Après 30 ans passés dans le groupe, je voulais faire tout ce que j’ai désormais accompli. C’était une grande décision à prendre. Je voulais me remarier. J’ai complètement changé de vie. Je voulais le faire avant qu’il ne soit trop tard. Je suis fier de tout ça. Et je suis toujours ami avec les autres. Je joue parfois avec Charlie ou Ronnie, je les vois, mais pas pour bosser.

Pourquoi les avoir rejoint sur scène en 2012 ?

Pour leur dire de s’arrêter ! C’était chiant parce qu’en attendant mon tour, je voyais l’autre bassiste jouer mes parties. Parfois il ne les jouait pas bien. J’ai fait deux morceaux, le public était génial, puis je suis parti. Juste après, ils ont joué Miss You, avec ma ligne de basse, c’était très confondant. Quand ils m’ont demandé de recommencer, j’ai refusé poliment : faire deux titres ne m’intéresse pas. J’aurais aimé qu’on m’implique plus à la chose, que je joue plus de morceaux. Ce n’était pas le deal, donc rien. On ne peux pas remonter dans le temps, ou attendre que ce soit comme avant. Comme les réunions d’anciens élèves ou d’anciens combattants. Ça ne marche pas, c’est comme se remettre avec son ex. Mieux vaut laisser les choses aller.

J’ai inventé un détecteur de métaux pour les enfants, il marche très bien.

C’est marrant que vous disiez ça alors que vous semblez fasciné par le passé. Vous faites de l’archéologie, vous avez breveté un détecteur de métaux…

J’adore le passé. Et j’ai inventé un détecteur de métaux pour les enfants, il marche très bien. J’ai toujours regardé vers le passé, que ce soit avec les bouquins ou les réédition de mon catalogue, qui devraient arriver bientôt. Quand j’ai monté les Rythm Kings, ou même les Poor Boys avant ça, j’ai fait de l’archéologie musicale. J’ai trouvé des morceaux les années 20, 30, 40, puis je les ai refait, mais avec de bons musicien, Georgie Fame, Peter Frampton, Buchanan, Chris Rea, George Harrison, Eric Clatpon, Mark Knopfler… Je ne regarde pas trop en avant, j’aime bien le rétroviseur. J’ai tenu des journaux de bord toute ma vie, je peux désormais y retourner pour me souvenir. C’est pratique quand on fait des documentaires ou des livres : on a la vérité. Chose que les gens n’ont pas souvent !

Dernière question assez rapide : avant l’interview, on m’a donné une liste de sujets à ne pas aborder avec vous. J’aimerais savoir à quelle question vous ne voudriez vraiment pas répondre.

L’enterrement de Brian Jones. J’y étais avec Charlie, il n’y avait personne d’autre, c’était triste. C’était un ami proche, on avait l’habitude de partager une chambre quand nous voyagions. Mick et Keith, Charlie et Andrew Oldham, Brian et moi. Nous étions très souvent ensemble. C’est triste que personne ne se soit donné la peine de venir à part Charlie et moi. Je ne devrais pas en parler car ça évoque trop de mauvais souvenirs.

Ok, merci.

Vous vous appelez « No » ?

Non, Noé, comme l’Arche de Noé.

Ah ok, c’est pour mon journal intime, il fallait que je sache.

Bill Wyman // Back to Basics // Proper Music
http://billwyman.com/

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