@Marieke Macklon

Le musicien britannique de 40 ans, ancien membre de The Coral, sort depuis 2011 des albums solos touchants et teintés de tristesse. Il revient avec un nouveau disque intitulé « lechyd Da », un peu plus lumineux et ambitieux que les précédents sans pour autant faire office d’OVNI dans sa discographie.

Bill a une vie routinière. Le soir, il écrit. Le matin, il se rend dans son studio et enregistre ses idées. En fin de journée, après avoir uploadé le fruit de son travail sur son téléphone, il prend la direction du pub. Là-bas, il commande à boire (logique en même temps) puis écoute ses bribes de chansons. Le soir, il rentre écrire pour recommencer la même routine le lendemain.

Le pub, un lieu spécial pour lui ? « Pourquoi j’y vais ? Parce qu’ils vendent de l’alcool, mec. » La réponse est donc non, pas spécialement. La bibine est un par contre problème qu’il doit résoudre. Dans cette quête vers la sobriété, Michael Head – ancien membre des Pale Fontains, de Shack et proche de Bill – est une source d’inspiration, autant sur le plan musical que dans son abstinence. « Il est sobre maintenant et c’est une inspiration, car c’est aussi ma prochaine étape : arrêter l’alcool. Et ça sera une grosse étape », raconte l’Anglais de 40 ans dans les locaux parisiens de son label, Domino, un thé à la main. La pinte de brune, ça sera pour plus tard. « Je n’aime pas particulièrement être dans mon appartement et je ne sais pas vraiment où aller à part au pub. J’essaie aussi de ne pas trop bosser de chez moi, déjà que j’écris à la maison. Et puis le fait d’écouter ma musique en buvant un coup, ça m’aide à moins douter et à être moins critique. Ça m’aide à voir la beauté d’une autre manière. » Bill, le poète du pub.

Au bout d’une dizaine de minutes de discussion, on s’aperçoit que le téléphone n’enregistre plus notre conversation. Depuis quand ? Impossible de le savoir. Bill s’en fout : « Allez, on recommence depuis le début, et j’enregistre aussi sur mon portable. » C’est (re)parti : « Pour cet album, j’avais écrit quatre morceaux quand j’étais confiné avec mon ex petite amie. J’essayais de l’impressionner et puis on s’est séparés. Donc j’ai eu du mal à me remettre dans ces chansons, ça m’a pris du temps, presque trois ans pour terminer le disque. »

« Je pense que mes influences imprègnent le disque et je ne m’en cache pas. Mais je ne pense pas faire comme Interpol, qui est une version pourrie des groupes qu’ils adorent. »

Bill travaille sur ses albums à temps partiel. Il passe quelques mois dessus puis part produire l’album d’un autre artiste avant de s’y remettre. Entre temps, il fait écouter l’avancée des chansons à des potes musiciens. « Je leur demande si je peux oser ce passage, si cette chanson ne ressemble pas trop à tel ou tel artiste. Mais aujourd’hui, j’ai moins cette crainte de sonner comme quelqu’un d’autre : j’aime bien faire des morceaux qui me rappellent aussi les groupes que j’aime. » D’où l’intro de I Know That’s it’s Like This (Baby) qui évoque Lou Reed et le Something Happened Here des Buffalo Springfield. Il dit : « Je voulais juste une intro qui soit cool. Je n’avais pas vraiment l’idée de rendre hommage à qui que ce soit. » Et sur Nothing to be Done alors ? « La musique ressemble beaucoup au morceau About You des Jesus and Mary Chain. » Okay, next : « Le morceau Thankfully for Anthony, c’est du Mercury Rev. Tu vois le morceau Hole ? » On pourrait continuer longtemps, mais le fait est que Bill est à l’aise avec l’idée de faire de passes décisives à ses artistes préférés. Il confesse : « Je pense que mes influences imprègnent le disque et je ne m’en cache pas. Mais je ne pense pas faire comme Interpol, qui est une version pourrie des groupes qu’ils adorent. »

Même si on peut entendre par-ci par-là des références à d’autres, il y a beaucoup de Bill dans « lechyd Da ». Les morceaux sont à 80% terminés par lui avant que d’autres collaborateurs n’entrent en jeu, genre Poppy Hankin, du groupe Girl Ray, qui lui a filé un coup de pouce. Au total, pas plus de sept autres personnes ont travaillé sur l’album. Et ce n’est pas parce que Bill est un control freak sur sa musique : « Ça coûte moins cher de le faire seul », lâche l’Anglais, sans y aller par quatre chemins.

« Quand je bosse avec Michael Head, je me dis : pourquoi je ne fais pas une musique aussi ambitieuse, aventureuse et belle que lui ? Pourquoi je suis le mec déprimé avec sa guitare ? »

Ce disque est l’un de ses plus ambitieux en termes de production. « Je voulais écrire sans instrument et j’ai commencé par composer sur un ordinateur, mais finalement ce que j’ai fait sur l’ordi n’a pas été gardé pour l’album. Par contre ça m’a aidé à trouver la bonne direction. This Can’t Go On n’aurait jamais existé sans ce procédé par exemple, car il y a un sample dessus. Bon, ce n’est pas du Radiohead non plus, ce n’est pas aussi fou. En même temps, les expérimentations ne donnent pas toujours des morceaux de dingues. » Et l’intelligence artificielle ? « Je n’ai même pas essayé de m’y mettre. La question à se poser c’est : pourquoi le faire ? Je suis sûr que cette technologie aura des impacts positifs, mais a-t-on besoin d’une nouvelle chanson des Beatles ? Il y en a déjà des centaines. Ce qui m’énerve le plus, c’est que les Stones vont bientôt mourir mais qu’ils vont continuer de nous sortir des nouvelles chansons. Putain, après ça sera les Who ou Led Zeppelin, fait chier. »

De toute manière, Bill n’a pas vraiment besoin d’une IA pour rabâcher les mêmes accords sur sa guitare. Ni pour se tirer vers le haut. Pour ça, il peut compter sur ses collaborations, que ce soit avec Gerry Love (Teenage Fanclub), Michael Head, Saint Saviour ou encore Brooke Bentham. Grâce à ce travail, « je gagne en confiance. Car j’écoute Michael Head ou Teenage Fanclub depuis l’adolescence et maintenant, ils veulent mon opinion sur leur musique, donc ça t’affecte. Quand je bosse avec Michael, je me dis : pourquoi je ne fais pas une musique aussi ambitieuse, aventureuse et belle que lui ? Pourquoi je suis le mec déprimé avec sa guitare ? Il me pousse à mieux écrire et à élever mon niveau de jeu. »

Avant qu’on ne se quitte, Bill roule une clope. Je lui demande s’il est toujours en contact avec Alex Turner – le leader des Arctic Monkeys avait proposé à Bill de rejoindre les Last Shadow Puppets. Il avait d’abord accepté avant de finalement changer d’avis. « Je n’ai plus de contact avec Alex, je n’ai même plus son numéro de téléphone. Je parle à Jamie de temps à autre. » Après l’épisode The Coral, Bill avait été parmi les premiers musiciens à parler ouvertement de ses problèmes de santé mentale. Le succès, les tournées, la célébrité : ce n’était pas pour lui, comme les Last Shadow Puppets ne l’ont pas été.

Mais l’Anglais n’est pas du genre à regarder dans le rétro. Et sa carrière en solo, loin des radars de la culture pop, sera à classer aux côtés de celle de Scott Walker, de Richard Hawley ou de Michael Head. Des artistes qui n’ont pas eu envie de faire de compromis sur l’authenticité de leur musique. Finalement, sur le chemin du retour après l’interview, je me rends compte que le premier enregistrement a fonctionné. Vous vous en foutez, mais je vous le dis quand même.

L’album « lechyd Da », sortie le 12 janvier sur Domino.

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