Au moment où Tatoos, Tam-Tams et 2 be 3 faisaient fureur en France, l’Amérique connaissait une vague musicale pas spécialement désagréable. Sur les cendres du grunge fleurissaient des Tracy Bonham, Fluffy, Ash, Garbage, une Sheryl Crow qui tentait une reconversion trash… Ça poussait jusqu’à Joan Osborne et même Alanis Morissette, en passant par le générique de Friends. Même les frères Hanson avaient des coupes de cheveux grungies et une guitare électrique. Tout cela n’avait pas grand chose à voir avec les Nirvana, Hole ou L7 de départ ; juste l’industrie musicale qui surfait sur la vague, proposant une version édulcorée d’un style musical qui venait de cartonner. La recette était la même que pour n’importe quelle pop : on prenait un joli petit bout de femme, on lui faisait entonner des paroles de midinette sur une mélodie imparable, jusque-là rien de nouveau sous le soleil de Californie. Mais on lui mettait une Fender dans les pattes, on la lookait genre « rebelle », puis l’on saupoudrait le tout de guitares saturées.
Fricoter avec le chanteur de Silverchair
L’underground ne dure que très peu de temps avant d’être récupéré par les majors et les magazines féminins, puis de devenir chiant à mourir. Phénomène éphémère, ténu comme la sincérité. Devenu mode officielle, digéré par le grand public, le rock alternatif servait de grain à moudre à des adolescentes bêtes à bouffer du foin qui alimentaient le courrier des lecteurs du magazine Rocksound – le coin du Rocksounder – en prétendant qu’elles avaient fricoté avec le chanteur de Silverchair.
Le post-grunge n’était pas pire qu’autre chose. Dans le tas, il y avait quelques bonnes chansons — et puis, c’est un fait, on n’oublie jamais les trucs qui passaient à la radio quand on avait 15 ans. Sans avoir jamais été vraiment ma came, Alanis Morissette et consorts me permettaient de communiquer avec mon prochain tel un humain adolescent normal : après trois années (trois ans, quand on en a treize, ça paraît extrêmement long) à ne rencontrer qu’incompréhension hostile quand j’avouais écouter le Velvet Underground, je pouvais enfin, assise sous un abribus, partager un écouteur de walkman avec une tierce personne dans la joie et la bonne humeur. Appréciable. Ça changeait agréablement d’Ace of Base et Dr Alban. Et puis, j’avoue, c’est dur mais j’avoue, il m’est arrivé de me mettre à danser, après un ou deux Monaco, sur des chansons comme Bitch de Meredith Brooks (je sais, c’est vilain. Pour ma peine, j’écouterai dix fois de suite « Metal Music Machine ». En ingurgitant des Monaco.).
Ça, c’était juste avant la néfaste vague des sous-Radiohead. Les premiers albums de Muse, Travis et Coldplay, ces chanteurs au physique ingrat qui hululaient leur mal-être à coups d’insupportables vocalises dans les aigus, sur des arpèges en mineur et en son clair. Chiants comme de la pluie quinze jours de suite.
Trêve de nostalgie, nous parlions du nouvel album de Best Coast. Mais comment, à l’écoute de ce disque qui sort en 2012, ne pas songer à 1996 ? Nous y sommes. En plein dedans. Tout y est : voix féminine, paroles, riffs, production. Mettre ce disque dans la platine, c’est comme se rendre à une fête de retrouvailles avec les anciens du lycée où, saloperie de nostalgie, on remet les disques qu’on écoutait à l’époque. Réunions d’anciens combattants qui laissent un goût amer, tout cela ne nous rajeunit pas. Les garçons ont perdu leurs cheveux, pris trente kilos, les filles ont pondu en plusieurs exemplaires et causent désormais hémorroïdes et montées de lait, et, surtout, vous obligent à aller fumer à la fenêtre de la cuisine avec les minipizzas qui chauffent dans le four.
Génération 90
Que dire de plus de Best Coast ? Le groupe, californien jusqu’au bout des ongles, se compose de la chanteuse tatouée Bethany Cosentino, qui écrit les chansons, et du batteur asiatique à lunettes Bobb Bruno. Leur premier album, « Crazy for you », sorti en 2010, était plus indie pop, lo-fi, un peu marrant. Avec le deuxième, ils ont donc pris le fameux virage post-grunge, en conservant les mélodies pop. On doit à Best Coast des pochettes de disques rigolotes : celle de « Crazy for you » représentait, en collage, un chat qui se baigne dans l’océan Pacifique, et celle de « The Only Place » montre un ours tenant entre ses pattes la carte de la Californie – ah ça, ils l’aiment, leur Californie !
Les clips de Best Coast sont assez mémorables : l’un met en scène le groupe, filmé et dirigé par des chats (Crazy for you), un autre montre une idylle entre la chanteuse et Ronald McDonald (When I’m with you), un autre encore est réalisé par Drew Barrymore (l’ex du guitariste de Hole, Eric Erlandson) et raconte une histoire d’amour à la West Side Story avec une Bethany Consentino en meuf rockab’ dans une bande qui castagne sévère, amoureuse d’un type de la bande rivale (Our Deal). Ça fleure bon les Shangri-Las, avec le mec qui meurt à la fin et la fille éplorée contre son torse.
Et donc, le nouvel album. Le premier morceau, éponyme, est réjouissant : après huit ou neuf Monaco, il donne envie de danser. Les suivants sont de la même trempe, la qualité des mélodies allant s’amoindrissant au fil de l’album, jusqu’à provoquer agacement ou lassitude. Les paroles sont simples, positives : L.A., le meilleur endroit du monde, où l’on have fun tout le temps, et l’amour – parfois le mec est un sale con qui fait pleurer Bethany, parfois elle tombe sur un type bien, c’est super. Bref, « The Only Place » est l’un de ces disques avec deux, trois bonnes chansons, le reste étant pur remplissage.
Reste à savoir pour quelle obscure raison un groupe californien, en l’an 2012, s’obstine à faire la même musique qu’en 1996. Pure nostalgie ? Un revival nineties qui se profile ? Ce serait cohérent ; la génération 90 a à présent la trentaine passée, donc du pouvoir d’achat… Des métiers ennuyeux mais qui rapportent, des enfants en bas âge, et la nostalgie des années lycée. C’est la génération 90 qui est susceptible de sortir la Carte Bleue à la FNAC pour acheter le dernier album de Best Coast.
Best Coast // « The Only Place » // Wichita Recordings
http://www.bestcoast.us/
3 commentaires
Tout d’abord, bravo, c’est rare les articles qui donnent vraiment envient d’écouter. « When I’m With You » a ce son très grunge-pop 90’s en effet, assez rafraichissant, bien que ça devait être grave l’angoisse à une époque où internet, et donc tout ce qui va avec (le téléchargement illégal, MSN, myspace, puis facebook et twitter) n’existait pas encore…
Aussi j’aimerais préciser, que bien que j’appartienne à la génération qui a été au collège/lycée dans les années 2000, je dois avouer que ce genre de production à la (nis) Morisette ne m’a jamais laissé indifférent. D’ailleurs si j’écoutais avec un grand enthousiasme le supercombo Strokes-Libertines-White Stripes-Hives entre 2003 et 2007, aujourd’hui le seul type de rock qui me fasse encore un peu d’effet c’est celui des groupes qui essayent de parer à cette ambition pseudo crossover-electro-stadium d’un goût douteux dont tout le monde se réclame (à la MGMT, Klaxons bien qu’ils soient 2009 je sais) c’est à dire ceux qui se réclament plus des Pixies et des Cars (qui ont respectivement été les plus grandes influences de Nirvana et Weezer, le mélange de ces deux groupes étant pour moi à la source de ce son post-grunge commercial de 1996) que de Radiohead (attention j’adore aussi My Iron Lung et Kid A).
De toute façon en 1996, on trouvait déjà rien qu’en Angleterre, à travers des groupes comme Blur, Stereolab, Broadcast, The High Llamas, Oasis, Supergrass, ou Everything But The Girl, autant d’alternatives pouvant être rangées sous l’étiquette « pop/rock », au post grunge US style Foo Fighters et Garbage et ce même si Alanis Morisette a bien monopolisé les charts cette année-là…
Et quant au revival power pop/grunge 90’s, il me semble qu’il y eut une sorte tentative de ce genre dans les années 2000 justement avec des groupes produits par des Majors et qui se réclamaient à fond de Cobain, comme les Vines ou les Subways.
En tout cas j’ai hâte j’en peux plus de ce règne de l’electro-pop… Je sais qu’il faut vivre avec son temps mais c’est fatiguant de voir des Phoenix et des Sébastien Tellier adulés non?
Correction : qui donnent envie (pas qui donnent « envient » excusez cette horrible faute ainsi que toutes celles qui se sont glissées dans ce texte mais je l’ai écris d’une traite et j’étais pressé)