De mémoire, cela fait longtemps que la presse française n’a pas aussi clairement pointé le stylo dans le même sens, qui plus est sur un disque dit « indépendant ». La raison de cet alignement de planètes plutôt suspects en ces temps contradictoires ? Le premier album du chanteur et bassiste de The xx ; un album brut, sincère et néanmoins riche en petits arrangements, mais pas avec sa propre conscience. Avec, à la clef, le sentiment d’avoir trouvé l’une des rares bonnes surprises venues d’Angleterre cette année.

Quelle drôle de semaine que celle du 9 septembre dernier, pour l’Angleterre. A trois jours d’intervalle, ces voisins qu’on adore détester connaissaient coup sur coup trois chocs à ondes variables et qui tous allaient s’ensevelir les uns sous les autres, parfois de façon anachronique. Le premier d’entre eux ? La nomination de Liz Truss au poste de Première ministre, un fait anecdotique certes, mais qui permettait de découvrir un cliché de la membre du Parti conservateur avec la Reine d’Angleterre, dont on apprenait le décès deux jours plus tard. Tremblement de terre à peine amortie par la Manche et qui a en grande partie éclipser le fait qui nous intéresse ici, à savoir la publication le 9 septembre de « Hideous Bastard », premier essai d’Oliver Sim, attendu de longue date et teasé par un court-métrage quasi éponyme par Yann Gonzales, présenté au printemps dernier à Cannes. Des trois chocs susmentionnés, ce fut évidemment le moins médiatisé, et ça se comprend. Difficile de naitre le même jour que l’annonce du décès d’une indéboulonnable.

On n’ira pas jusqu’à crier à l’injustice, mais le fait est que « Hideous Bastard » livre en 10 titres ce quelque chose qu’on entend de moins en moins à proximité de Buckingham ; à savoir : un bon album de pop anglaise. Le grime comme la pop faussement fragile taillée pour Instagram ont tout renversé sur leur passage, et la reformation des Libertines comme le sacre de Fontaines D.C. peinent à cacher le sentiment de vide qui emplit depuis plusieurs années le Royaume-Uni, territoire dévasté par le repli sur soi et la fin d’un règne culturel parachevé avec la mort d’Elizabeth II, reine de Churchill, des Beatles et des Who.

Sale bâtard

En mettant de côté le barouf organisé par la publication de plusieurs singles, dont le très efficace Romance with a memory, les premiers mots du disque viennent pointer la vérité juste de tout ce qui va suivre : “I’m ugly I’m up and down right now, I’m down and bloody”. Et voilà Oliver Sim, un mec a priori à l’abri du besoin grâce au succès du groupe qui l’a fait connaître voilà plus de 10 ans (The xx), crachant sans triomphalisme ni misérabilisme qu’il est un affreux, un freak, un weirdo comme le chantait Thom Yorke sur Creep. Autrement dit, pas un winner. Plutôt le mec d’à côté, celui à qui personne ne confierait son pouce sur les réseaux sociaux, mais poussé sur le devant par une armée de violons et accessoirement, Jimmy Somerville ; oui, le même que sur le Smalltown boy de Bronski Beat, du temps où l’homophobie semblait être un sport de rue pour tous les ados.

 

D’une voix littéralement mal traitée, au sens captée dans la plupart des cas sans artifices, Oliver Sim, plutôt que de se faire l’étendard de causes sociales (il en aurait le droit, étant à la fois homosexuel et séropositif depuis ses 17 ans), joue la sincérité désarmante. Et il faudrait être le dernier des connards sourds pour ne pas reconnaitre dans cette ouverture le signe d’un grand album ; au moins un disque qui refusant la conformité préfère assumer toutes ses erreurs. Un grand et beau qui perd gagne, à la fois efficace et symbolique, évoquant en filigrane des combats qu’on pensait gagnés depuis l’arrivée d’internet.

La beauté des laids

Les Anglais et la théorie du miroir, depuis Dorian Gray, on sait faire. Ceux portés en musique par Oliver Sim, tout au long de « Hideous Bastard », déforment la bête, jouent l’enlaidissement fictif de Sim dans un but somme toute salvateur, puisqu’il est ici question de comprendre à l’auditeur (comme aux confrères musiciens acceptant connement le jeu de la perfection digitale) que l’affirmation des différences et du granuleux est parfois plus méritante qu’un énième mensonge sur la beauté factice ou l’illusion de l’hétérosexualité (cf le titre Fruit).

Loin de n’être qu’un album parallèle à la discographie officielle ou un strapontin vers le retour de The xx (dont plus personne n’a grand-chose à faire, soyons honnête), assez habile pour éviter tous les faux pas (dont l’évidence d’un featuring avec Romy, l’Anglaise qui chante comme si elle était encore au CE2 depuis 20 ans), « Hideous Bastard » est ce voyage en eaux troubles où tout se déforme sans jamais prendre l’eau, jamais trop plombant sans pour autant surjouer la catharsis à l’américaine. C’est ce sentiment de vérité inattendue qui, en 2022, permet d’affirmer qu’Oliver Sim est l’auteur d’un disque coming out, à la fois sublime dans sa complexité et universellement accessible de par le message véhiculé. Des titres comme Unreliable narrator et Saccharine se payant même le luxe d’agir comme des anti-singles rappelant au passage qu’il fut un temps où Martin Gore, lui aussi, arrivait à toucher le ciel en touchant le fond.

Avec plus d’élégance qu’un Eddy de Pretto et un peu plus de subtilité que les couineurs de petits pathos, Oliver Sim réussit donc son passage en classe supérieure. Et si l’on se doute que tel exploit sera difficilement reproduisible deux fois, n’en reste pas moins que « Hideous Bastard » est l’album qu’on adorera écouter aux funérailles de cette dame qu’on a tant aimé, qu’il s’agisse de l’Angleterre ou de cette vieille dame fripée avec laquelle on a tous un peu grandi.

Oliver Sim // Hideous Bastard // XL Recordings
https://oliversim.bandcamp.com/album/hideous-bastard

4 commentaires

  1. J’apprend que je suis le « dernier des connards sourds  »
    Ainsi qu’un gros sac à merde étant donné que je ne vais même pas essayer d’écouter ce chef d’oeuvre.
    Merci Bester

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