On récapitule brièvement pour ceux du fond : Aquaserge, c’est une excroissance d’Hyperclean qui éclabousse tout ce qui ressemble de près ou de loin à du rock progressif français. Leurs collaborations avec Burgalat, April March, Acid Mothers Temple, Forever Pavot et feu Stereolab sont inscrites au Panthéon de la pop plus ou moins expérimentale; et l’appartenance de chaque membre à un autre groupe n’est un secret pour personne (Julien Barbagallo chez Tame Impala, Benjamin Glibert chez Melody’s Echo Chamber, etc).
« Irrévérencieux », « surprenant » ou encore « audacieux » sont les mots compte triple de la presse musicale française (à grand tirage ou alternative) quand il s’agit d’enrober ce cher Serge avec des mots juteux. Certes, voilà des qualificatifs appropriés à la bouillonnante création sonore du quintet toulousain. Mais, à défaut de maîtriser la langue de Voltaire aussi bien que Voltaire himself, on est en droit de réclamer un peu plus d’inventivité dans la trouvaille et l’usage d’épithètes. Qu’au moins ceux-ci soient à la hauteur du génie loufoque des énergumènes dont il est ici question.
D’ailleurs voilà que je me retrouve moi aussi à court de mots lorsque, contaminée par le génie schizophrène de Serge, je suis draguée telle une huître bretonne sur les plages de la subconscience aquatique. Difficile de discerner quelque chose à travers ces épaisses volutes d’opium, mais je suis presque sûre d’apercevoir Lewis Carroll en train de prendre le thé avec Dali là-bas, à l’aise au milieu des algues et des coquilles saint-Jacques (Serge Singe). J’essaye de m’approcher mais la distance qui nous sépare semble infinie. Des montres à gousset volantes filent au dessus de mon corps d’huître tandis qu’une fanfare de singes savants déboule entre les rochers, ils ont des anémones de mer sur la tête et des slips de bain Hello Kitty (Sillage 1, 2 et 3). Merde, mais qu’est-ce qui se passe ? Soudain, je m’élève dans les airs, je plane, c’est Serge qui m’a pris par les tripes. Comme fous, nous sommes entraînés dans une course spatio-temporelle et, poursuivis par les cumulo et les nimbus, c’est à celui qui voguera le plus haut (Travelling). Par la barbe de Jules Verne, les freins ont lâché et je me fracasse contre les étoiles. J’ai gagné la course, mais Serge a disparu. Est-ce que je vais tomber ? Plouf ! La chute, inévitable après tout, me projette à une vitesse nucléaire dans les profondeurs abyssales. Il fait sombre, j’ai froid, et je discerne des trucs qui clignotent pas très loin sur la droite. C’est une bande de poissons-lanterne qui joue aux cartes avec des chimères (Ceci). Moi aussi j’aimerais bien jouer, mais je suis une huître : j’ai pas de bras. Mais où est Serge, putain ? Tout est trouble alors que je remonte à la surface. Sur la plage, les singes ont laissé la place à des nudistes qui déballent leurs cuivres en vue d’une imminente cérémonie nocturne. Mais quel être de lumière peut bien faire l’objet de leur adoration ? C’est Serge, bien sur.
Avec son aquatique particule, il incarne un album peut-être un peu moins psychédélique que les précédents, plus « structuré » (vous notez la présence des guillemets) autour des guitares et d’un amas de cuivres et de petits sons électroïdes. Peut être qu’on pourrait encore pousser un peu le bouchon si Julien Gasc réservait son filet de voix pour ses albums solo, laissant Aquaserge se démerder avec l’instrumentalité totale et la théâtralité.
Aquaserge // A l’Amitié // Chambre404 (Sony)
www.aquaserge.com