La première fois que j’ai croisé Alex Rossi, il avait l’haleine mouillée et les cheveux parfumés à l’alcool, le genre de souvenirs qu’on oublie difficilement les lendemains de cuites. Bien avant, il avait été l’un des premiers, avec Dondolo et quelques autres, à peupler la tribu des Myspace. Son visage, ses mots et son regard imbibé de sentiments trahissaient déjà un bel élan du cœur ; on était en 2007 et Rossi n’avait déjà plus l’avenir devant lui.

Trois ans plus tard, après avoir côtoyé ces soirées où la loose se porte souvent en étendard, sûrement fatigué de susurrer à l’oreille de son audience que le prochain album ne sortirait pas avant bientôt, Alex Rossi revint parmi les siens. Comme remis en selle par Saint Emilion et les muses du rock’n’roll. Une surprise complexe qui, je dois bien lui confesser, a des allures de petit miracle. Flashforward.

La presque quarantaine, celle qu’on espère tous atteindre avec un regard de défiance au bout du viseur, un passé lourd à porter comme un boulet (il a aussi écrit pour Dick Rivers), une paire de chansons dont on est fier mais qui ne paye pas les factures (Viens par ici et son superbe refrain de variété pour la Nationale 7) et des origines qui sentent plus le cuir vachette que les perfectos (Le Gers), Alex Rossi n’avait au départ pas toutes les chances de son coté. C’est même, du point de vue de fan, sa plus grande qualité. Pour autant, résumer Rossi à l’un des perdants magnifiques du Paris des années 2000 serait aussi réducteur que very Dick, pour paraphraser. Qu’on soit auteur ou prisonnier, il est des ombres qu’on peine à effacer, des pistes qu’on tarde à recouvrir. Celles d’Alex Rossi me ramenaient souvent à ce parfum de comptoir, quelque part entre Menilmontant et Too Loose. L’accent du sud-ouest, peut-être.

My life is a fucking demo. Prononcée par d’autres, la phrase aurait de quoi faire sourire, couleur jaune sans filtre. Parce que jouer aux poètes maudits, troubadour d’un Paris sous le sou avec Bukowski en livre de chevet, tout cela reste finalement à la portée de tout le monde, lorsqu’on est dénué de talents. Alex Rossi, auteur à qui le temps ne fait plus de cadeau, échappe à la règle des défaitistes ; ce nouvel EP digital en est sûrement la meilleure preuve, testament d’un artiste qui joue le tapis pour éviter de se prendre les pieds dedans. D’un tel chanteur, connaissant son histoire, on aurait attendu de belles roucoulades et des bons mots, un peu de poésie pour la ménagère en string à dentelles de chez Auchan. Et pour autant, la piste d’ouverture Chair et canon marque le renouveau, toute en guitare, mélange de Daniel Darc et d’Alister, le nouvel ami aquoiboniste des sept heures du matin. On prend les mêmes et on recommence, c’est à la fois pareil et pas vraiment la même chose, comme si Alex Rossi avait définitivement décidé de faire tabula rasa des espoirs de grande consommation, bien décidé à enfin avaler son rock’n’roll par tous les trous.
Prolongement des espoirs sur Dans la peau de John Kennedy Toole, ôde velvetienne en hommage à l’auteur suicidé par peur de rester méconnu. Cristallisation d’une angoisse personnelle pour certains, grande chanson pour les autres, champagne et caviar pour tout le monde. Du name dropping pour les amis du Paris desargenté (Cheval Blanc, Thierry Théolier, etc), un riff qui rentre en profondeur dans l’âme sans mercurochrome, des mots scandés plus que chantés, un Alex Rossi métamorphosé en Alain Kan des salles des fêtes, caméléon qui aura appris à lire entre les lignes blanches avant de déverser sa rage à bon escient.

Son physique de rockeur ayant survécu aux OD n’explique pas l’amour de Rossi pour les mélodies sentimentales. Sur son duo avec Graziella de Michele (Ex star des 80’s reconvertie célébrité de l’underground, NDR), Rossi et sa douce s’expliquent qu’ils veulent bien mourir un jour, sans qu’on doute un seul instant que l’ombre de Frédéric Lo et Luccio Battisti ne planent au dessus des deux compères, amoureux le temps d’une chanson. Suit, en cortège, Je t’aime à fond, chanson aux paroles faciles, naïves. Berceuse à poil à écouter en tango ou pédalo, selon qu’on aime pédaler dans la semoule ou se noyer dans la vase. Brillant comme un verre vide, splendeur du zénith parade.

Enfant d’une génération où les bouts de ficelle pouvaient encore s’entremêler dans le cerveau des amateurs de chansons bricolées, Alex Rossi vit donc sa vie comme une putain de démo. Digital par obligation moderne, son nouvel EP ressemble pourtant plus à ces cassettes repiquées des années 80, celles qu’on aurait écouté en voiture pour oublier les kilomètres, un œil sur le compteur, l’autre sur le ciel. Paradoxe d’un art où les chanteurs français sont raillés dès qu’ils sont célèbres mais oubliés quand ils biturent dans l’underground, Alex Rossi incarne désormais tout et son contraire. Célébrité anonyme embrassant son destin avec l’entrain de ceux qui savent qu’il ne reste qu’un seul chemin, quand on a refusé les raccourcis.

Alex Rossi // My life is a fucking demo // Zimbalam
http://www.myspace.com/alexrossi

14 commentaires

  1. on dirait sur uNDER_Velvet_U ah mais oui les djeun’z ont déjà oublié, tentons de faire passer ça pour du neuf & bientôt nous singerons les 13th floor elevator.

  2. Je n’ai pas dit que cela sonnait comme du Lou Reed, encore moins du John Cale. Il est simplement plus facile de résumer certaines mélodies par des images d’Epinal que par de longues phrases. Réfléchissons trente secondes… Comment résumer un riff sale, gras et malade avec une référence française… Little Bob, les Dogs, Au bonheur des Dames? Allons, soyons sérieux.

  3. Forza Italia !! Bien mieux quand ils chantent que quand ils jouent au foot…Ce disque est super et le mec qui chante l’est tout autant.
    All the best Alex

  4. Si la vie de Mr Rossi est une « putain de demo », cela veut donc dire qu’à un moment ou un autre, il y aura un studio, un enregistrement. Forcément, une démo, ce n’est qu’un premier pas, hein ? Donc, c’est un titre optimiste. Non ?

  5. CHAIR ET CANON le 12 août dans:

    QU’EST-CE QUI SE PASSE?
    animé par Henri Cording

    Qu’est ce qui se passe? (What is happening? pour nos auditeurs anglophones) est le nouveau projet d’Henri Cording. L’émission se présente sous la forme de mini-mix conceptuels de 15 min durant lesquels il tente de raconter une histoire. Un aspect de l’histoire québécoise, la mise en cause de notre société de consommation ou le plaisir que prennent certaines personnes à chanter faux dans leur auto. Bref, des thématiques qui ne se prennent pas au sérieux et qui sont un prétexte à entendre des dialogues savoureux, drôles ou absurdes nous renvoyant à notre condition humaine.
    http://www.cism.umontreal.ca/show_details.php?sID=256

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