Le ROCK. Un mot devenu ridicule, une expression vidée de son sens. Dans le meilleur des cas, un cirque pour clown de MJC avec du pin’s « I’m with the band » collé sur le blazer froissé ; dans le pire, un défilé de marionnettes désarticulées et un peu grasses même plus foutues d’articuler trois mots d’anglais correctement. Ah ça pour sûr, on les voit battre le pavé tous les week-ends, la mèche en branle sur les trottoirs, l’air aussi pathétique que Tom Cruise derrière son avion de chasse et reflets du soleil correctement reflétés dans les Ray Ban. Une belle brochette de merlans frits, des destins de lézards séchés au soleil. Pour le reste, parlons d’Abberline si vous le voulez bien. Un groupe de Toulouse, born to…
… Partir un jour, sans retour, effacer notre amour, sans se retourner. Surtout ne pas regretter. NB : penser demain à recommencer. Qu’on le veuille ou non, il y a chez certains groupes français une part d’héroïsme qui parfois vole la vedette à la stupidité. Comme un indicible éclair de génie perdu au fond de l’iris un peu bovine. A ce stade, pas besoin de vous faire un croquis, enlevons les mitaines : les cinq affreux – je dis cela pour leur maquillage digne des pires séries Z – d’Abberline n’ont pas mis toutes les chances de leur côté, ce serait même plutôt le contraire. Et c’est justement leur plus grande force.
Sur leur premier EP, Loner Ranger – comment traduire cela : le ranger solitaire ? Ca commence bien – les cinq mousquetaires à têtes de crânes présentent une sorte de rock de cabaret à servir bien chaud dans un bas résille aux amateurs de Dave Gahan coincés entre une connexion 56K et la garde alternée des enfants une semaine sur deux. Pour traduire plus concrètement : du rock épique chanté sans les moyens, des idées d’arrangements ambitieux sans le carnet de chèque. Une Ferrari sans essence, bloquée sur un parking de Leader Price.
Un chant approximatif, un mélange d’électro salle des fêtes et de baroque hard discount qui reste un peu sur l’estomac avec les dents du fond qui baignent, inutile de préciser que chez Abberline, la blonde côté conducteur possède une valve et le sourire figé. Et pourtant c’est étrange, impossible de ne pas éprouver un peu de sympathie pour ces cinq comiques troupiers, dignes enfants de leur époque, perdus entre Starmania, Le plus grand cabaret du monde et Phantom of the Paradise. Quand la concurrence s’avère capable des pires atrocités qu’ait connu l’histoire du rock français – exemple n°1 : faire rentrer la batterie en 4/4, attendre 10 secondes, introduire la guitare en cling cling puis massacrer l’édifice avec un chanteur même pas diplômé du Wall Street Institute -, que l’autoproduction n’est plus qu’un lointain fantasme qu’on aurait aimé voir crever la gueule ouverte – note à l’attention des rockeurs : dites NON au CD gravé – la bande des cinq d’Abberline ne s’en sort finalement pas si mal.
A l’écoute de Loner Ranger, on pourrait même écrire que l’imprécision parfaite est une formule qui leur va bien au teint. Un étrange synthé placé comme une nappe à carreaux, un chanteur à veston qui serre les abdos pour crooner grave, un refrain imparable en dépit de ses maladresses, et d’étranges cors qui viennent faire la vaisselle pour laver plus blanc que blanc. Et ne parlons pas de Gravity s’il vous plaît, chanson parfaite pour toucher le cul de la mariée dans les banquets gothiques. Entre les productions de palais de Justice et la queue de Freddie Mercury coincée dans la porte, avouez que l’erreur est plutôt ambitieuse.
Comme les meilleures blagues, les bons articles sont souvent les plus courts. Abberline ne verra sans doute jamais Sunset Blvd et ses filles faciles, pas plus que les caméras de France 3 Sud-Ouest. A pasticher sans le savoir leurs idoles de carton-pâte – vas-y que je te mets un peu des claviers flippants de Jean-Charpentier ici, une pincée de rock stadium à la Hervé-Martin Gore là-bas -, les rockeurs d’Abberline réussissent malgré eux un petit exploit. Finir dans le fossé avec panache, c’est toujours plus digne que de rouler des mécaniques sans accident.
Abberline // EP Loner Ranger // Rock Machine
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