Il arrive que l’écoute d’un album prenne l’apparence d’un album photo, que chaque piste comme un cliché de vie perso. Quand Phil Collins serre la main à Zero 7, qu’Emerson Lake & Palmer joue à touche-pipi avec Thom York et qu’un vendeur du câble se terre en embuscade, ca donne Institute of Joy, un disque de mélasse prog’ avec des grumeaux de photos sépias à l’intérieur. Ne reste plus qu’à touiller.
Toc toc toc.
– « Qui c’est ? »
– « Salut petit, ta maman est là ? »
– « Je suis toute nue, désolé, je peux pas vous ouvrir ».
– « Ah mais… c’est pas un problème ça… je peux attendre… »
J’avoue que j’avais bien rigolé ce jour là, en me faisant passer pour une femme nue sous son peignoir, en imaginant la tête du VRP bandant derrière ses calendriers, de l’autre coté de la porte. J’avais à peine dix ans (déjà un peu vicieux, j’en conviens) et le concept de l’arnaque ne m’était déjà plus inconnu. Quelques mois plus tard, c’était un opérateur du câble qui avait tenté de nous fourguer une antenne satellite à prix coutant, quinze ans avant la TNT, parce que « dans 6 mois ce serait la norme européenne ». On avait signé avec ma mère, parce qu’il était vachement fort en argumentaire le VRP, et puis on l’avait rattrapé sur le pas de la porte, pour annuler le contrat. Il avait les boules le VRP, c’était un contrat de moins et une antenne de plus sous le bras. Cinq ans plus tard, je découvrais le premier album de King Crimson, ses envolées lyriques, sa flute dévastatrice sur I talk to the wind, la beauté du papier peint Auchan revisité par Robert Fripp et des bouts de mélodies qui s’étiraient plus longues que les popsongs des Beatles. Plus tard, il y aurait Ok Computer et l’impression confirmée qu’on pouvait transpirer plus de cinq minutes sur un seul et même morceau en ayant pourtant l’air très triste ; la musique progressive.
Mais, amis lecteurs, quel est donc le point commun entre notre arnaqueur satellite, King Crimson et A mountain of one ?
Il y a tout d’abord Bones, le single de Institute of Joy, 4.13 de candeur filtrée sur l’équation NASA+DARK SIDE OF THE MOON avec un zest de modernité en plus. Une épice marketing qui donne tout son charme au titre qui fera surement dire à Rough Trade que l’album d’A mountain of one c’est comme « Fleetwood Mac sous acides, une touche de Pink Floyd, le meilleur du Santana des années 70, un peu du Moon Safari de Air, JJ Cale errant à Glastonbury vers cinq heures du matin, Talk Talk, Madchester, le spleen nordique de The Verve ». Une fois dépassé ces poncifs – et le super single, il faut bien l’avouer-, en analysant le boulot des deux requins de studio (Mo Morris et Zeben Jameson) du groupe anglais , reste un gros point d’interrogation sur ces deux bonshommes : n’auraient-ils pas été excellent dans l’art du porte-à-porte ?
Plus prog’ que ressif’, plus bling bling que bam bam, plus cheap que hype, le deuxième album de A mountain of one s’écoute comme un trompe-l’œil, d’abord sublimé par les mélodies psyche-synthe d’un groupe qui ose tout (les voix de chaman mixés à du synthé 1973, les notes de pianos en réverb très Michael Oldfield sur Highs of the sun) puis l’impression qu’on tente de vous vendre un objet sexy dont vous auriez parfaitement pu vous passer. A sa façon, à force de réécoute, Institute of Joy marque le déclin de l’album, en tant qu’objet : trois titres écoutables et une grosse tonalité pipeau sur le reste d’un disque avec des instruments à vent. I talk to the wind, on y revient ; réfléchissez à deux fois avant d’ouvrir votre porte aux VRP mal fagotés.
A mountain of one // Institute of Joy // 10 worlds