Taper sur des vieux est pénalement répréhensible. Mais taper sur des disques de vieux qui se teignent les cheveux en rose, est-ce autorisé ? Alors qu’est publié ce 20 janvier son dix-septième album studio écrit en réaction au bordel du monde (le mandat de Trump, le Covid-19, le réchauffement climatique, le Brexit…), voyons voir si ce « Mercy » permet à John Cale de trouver la sortie de l’EHPAD du rock.

Les statistiques le prouvent [1], taper méchamment sur un artiste en s’en donnant à cœur joie ramènera toujours plus de clics qu’une belle chronique sur laquelle on aura passé un temps inversement proportionnel au nombre de secondes que le lecteur aura passé dessus. Il va d’ailleurs de même pour les artistes morts, jamais autant écoutés par leurs « fans » que le jour où ils clamsent. C’est d’ailleurs à croire qu’Internet est devenu un immense bar PMU pour gens frustrés et nostalgiques – l’un expliquant souvent l’autre, on ne vous apprend rien.

Voilà presque pile 10 ans, Lou Reed mourrait. Ce « départ » entrainait alors une hausse de 3000% de l’écoute de ses titres sur Spotify, et c’était l’ouverture d’un bal morbide jamais vraiment terminée depuis ; comme en atteste chaque décès d’artiste (Bowie, Prince, Arno, Christophe… liste trop longue) qu’on s’amuse à redécouvrir dans ses enceintes temporairement transformées en funérarium.

Son acolyte John Cale, lui, n’a pas eu cette chance : il est toujours en vie. Autant dire que l’annonce de la sortie de « Mercy », ce premier album de chansons originales en 10 ans ne devrait pas bousculer les data analysts de chez Spotify, ni donner beaucoup de crédit géopolitique à toutes les (bonnes) raisons qui ont poussé le Gallois à sortir de son silence. L’écologie, le contrôle des pensées, la montée extrême-droitière dans tous les pays occidentaux ; autant de piqûres de rappel qui agiront comme des somnifères puisqu’après tout, qui attend encore VRAIMENT quelque chose de John Cale, en 2023 ? Ceci étant posée, la première écoute inattentive de cet album confirme un pressentiment : « Mercy » est tel un car de touristes, tout se ressemble.

De toute façon, et histoire d’alourdir la barque, l’histoire entre John Cale et le rock est réglée depuis ce concert au Café de la Danse (Paris), le 6 octobre 2005 : ce soir-là, l’ancien Velvet Underground joue devant une salle comble de jeunes fans et, sous la pression ou par envie, se laisse aller à une version de son Venus In Furs au violon… avant d’interrompre le morceau pour engueuler les plus jeunes fans ayant osé allumer une cigarette – oui, on pouvait encore fumer, et ça ne rajeunit personne. C’est sans doute ce soir-là que j’ai compris que vieillir dans le rock était une utopie. Alors pourquoi donc parler de ce nouvel album à la pochette non seulement aussi atroce que celle de « Wrong Way Up », mais aux effets similaires à une tisane ?

John Cale - MERCY (Download) | Domino Mart - Domino

Le syndrome du casting

 Avant de rentrer en profondeur dans « Mercy », glissons encore un peu sur l’aspect superficiel avec quelques notes extraites du communiqué de presse accompagnant l’album :

« Depuis près de 60 ans, ou du moins depuis que le jeune Gallois a déménagé à New York et a formé le Velvet Underground, John Cale a su réinventer sa musique avec une régularité éblouissante et inspirante ».

Comprendre : Au cas où vous n’auriez donc pas compris, la sortie d’un premier album depuis « Shifty Adventures in Nookie Wood » est un événement pour quiconque a écouté Sunday Morning un dimanche matin en se disant que c’est tout de même une belle chanson pour un dimanche matin. Attention, spoiler : « Mercy » ne sonne pas du tout comme « The Velvet Underground ».

« Son captivant album de 12 titres, Mercy, passe d’une électro sombre à des chansons d’amour vulnérables et à des considérations pleines d’espoir pour l’avenir ».

Comprendre : A-t-on vraiment envie d’entendre un homme aussi vieux que Joe Biden et Mick Jagger nous parler du futur ?

« Cale a eu 80 ans en mars, et il a assisté à la disparition de nombreux de ses pairs, en particulier au cours de la dernière décennie ».

Comprendre : Bon là, c’est clair. John Cale est le prochain sur la liste.

« Sur Mercy, Cale fait appel à certains des jeunes esprits les plus singuliers de la musique actuelle tels qu’Animal Collective, Sylvan Esso, Laurel Halo, Tei Shi ou encore Actress. Ces musiciens brillants se glissent dans la vision du monde de John Cale et l’aident à la refaçonner ».

Comprendre : comme d’autres avant lui, tellement d’autres qu’une simple énonciation ressemblerait à un cimetière d’étoiles, John Cale aurait donc succombé au piège de l’album collaboratif où la « nouvelle génération » se penche sur le chevet d’un vieux mec mourant en lui apportant des bouts de chansons cachées dans un paquet de Petit Beurre. A 80 ans, les dents sont plus fragiles et on n’a plus l’énergie de se refaire faire les chicos comme le Bowie sur-cocaïné de « Station to Station ».

Le syndrome du casting, sur le papier, c’est cette tentation de l’industrie de fêter une dernière fois l’artiste avec un demi-pied dans la tombe en l’entourant de jeunes cerveaux sans idées et qui, en plus, auront peut-être le malheur d’allumer une clope en face du vieux. On a beaucoup de respect pour Sylvan Esso et Actress, mais on aurait appris que -M- et Jeanne Cherhal étaient confirmés sur le nouvel album d’Etienne Daho qu’on n’aurait guère été plus surpris. Oui, cette phrase est pleine de mauvaise foi, et alors ? 

« Mercy », mais non merci ?

Histoire de retarder encore un peu l’avis final sur « Mercy », un autre fait étonnant à propos de John Cale : savez-vous quel est son titre le plus écouté sur Spotify ? Paris 1919 ? Raté. C’est le très synthétique Spinning Away, extrait de l’album injustement décrié « Wrong Way Up », publié en 1990 en collaboration avec Brian Eno. Presque 2 millions d’écoutes.

Pas vraiment le Cale le plus sauvage ni le plus défoncé donc, encore moins le plus rock. Et il suffit d’écouter la version acoustique du magnifique Cordoba sur le live « Fragments of a rainy season », pour comprendre que Cale a toujours été plus subtil, si ce n’est plus moderne, qu’au hasard, Lou Reed. Est-ce la raison pour laquelle l’un des deux est encore en vie, et pas l’autre ? On ne s’avancera pas trop loin sur ce sentier, mais le fait est que « Mercy », sous son apparente tranquillité et ses airs de last goodbye avec la famille autour du grand-père en fin de vie, résonne comme un immense disque gazeux. Ce serait une planète, ce serait Saturne. La simple écoute du « single » Noise of you, avec ses nappes de claviers et son tempo plus lent que le gros Vangelis lancé dans un 100 mètres, fait lever l’oreille. Non seulement Cale, 80 balais au compteur, n’a rien perdu de son coffre. Mais les arrangements, comme l’hybridation des styles, aboutissent à un imbroglio dont les désormais habitués aux sonorités compressés en médium ne sortiront ni pleinement satisfaits ni totalement dégoûtés, juste deboussolés. Idem pour Story of Blood (feat Weyes Blood), et où le vieux emprunte une rythmique de rap west-coast pour plaquer cette voix de stentor, au point que deux ou trois écoutes un peu courageuses parviennent à faire oublier le nom des disques publiés par le Gallois au début des années 2000.

Illusion d’optique

Et c’est ainsi que le charme, comme avec cette célèbre marque de déodorant, finit par agir : oui, « Mercy » n’est pas un disque instantané ; non il n’est pas adressé à ceux qui ont adoré le Cale de la Factory ni à ceux qui vouent un culte à l’album co-écrit avec Terry Riley (« Church of Anthrax ») ; quant à la production précieuse de « Paris 1919 », vous pouvez vous la coller sous le bras et jouer au coussin péteur. L’erreur principale présentement, et celle qu’on sera nombreux à faire, ce serait de régler les pendules de « Mercy » sur un temps internet ; avec cette envie boulimique de tout comprendre en une écoute comme c’est désormais le cas avec la majorité des sorties. Le spectral Marylin Monroe’s legs, placé en deuxième piste, en est un bon exemple : 7 minutes de lente descente dans la plomberie qui rappellent à bien des égards le grand virage du Scott Walker de fin de carrière, sur son incompréhensible « Soused » co-écrit en 2014 avec Sunn O))). Avec « Mercy », on est loin du « disque-concept » de Reed avec Metallica, et l’ampleur de la recherche déployée en termes de production fait que ces jambes de Monroe ressemblent plus à du Elastic Man ; ça s’étire à l’infini en tant de directions simultanées qu’on s’excuse par avance pour celles et ceux qui tenteraient de vouloir trouver la sortie du labyrinthe à travers leurs AirPods.

A l’inverse d’un Iggy Pop tentant le rock viagra sur un nouvel album trop frontal (« Every Loser ») mais qui bande mou, le Cale cuvée 2023 s’avère donc plus vicieux et laissera sans doute un paquet de gens sur l’aire autoroute tant il est lent et sans vraies promesses autre que son casting. Ce même casting que, d’écoute en écoute, on finit par totalement oublier pour s’avouer qu’en refusant de jouer le disque grand public, l’aventurier Cale nous a quand même bien baisé. Soixante après ses débuts avec John Cage et le Dream syndicate, un mec de l’âge de votre grand-père enterré réussit à repousser encore une fois les limites de l’expérimentation. On ne serait d’ailleurs pas surpris que la génération ayant grandi avec les productions de Tyler, The Creator, Anderson .Paak ou même Drake accroche aux sonorités de titres comme Night Crawling ou Not the end of the world, mille fois plus contemporaines que n’importe quel track de ton rockeur préféré quatre fois plus vieux que XXXTentacion.

On en revient au titre putaclic de cet article : John Cale, 80 ans, cale-t-il vraiment ? C’est en fait tout l’inverse, et à l’image d’un disque anachronique réalisé par un vieux faisant de la musique de jeunes, et où tout se révèle dans les faux semblants. A 80 ans, John Cale, à lire comme une phrase sans point final

John Cale // Mercy // Sortie le 20 janvier chez Domino
https://www.dominomusic.com/releases/john-cale/mercy/exclusive-limited-double-lp

[1] Ne nous demandez pas de source pour cette information, on n’a pas de temps à perdre ; c’est comme ça, c’est tout.

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