La contre-culture française est pleine de surprises : cinq ans après avoir écrit le tube Rain and Tears pour Aphrodite's Child, le parolier Boris Bergman décide en 1973 d’accoucher d’un concept-album sur l’histoire mouvementée d’Israël et recrute la crème des musiciens de jazz-rock de l’époque auquel il adjoindra Michel Fugain et Nicole Croisille aux chœurs. Le résultat : délirant. Et le disque, réédité l’année dernière n’a, comme le conflit israélo-palestinien, pas pris une ride.

Ce qu’il y a bien avec les « concept-albums », c’est qu’on ne sait jamais par quel miracle synaptique ils naissent dans la tête de leurs auteurs. La messe psychédélique de William Sheller, « Lux æterna » en est un exemple, le « Melody Nelson » de Gainsbourg et son histoire de petite fille écrasée par une Rolls, un autre. Quant au projet « Israël Suite » initié par celui qui deviendra plus tard la plume tutélaire de Bashung, on continue de s’interroger ; la somme des journalistes à queue de cheval de Jazz Mag ne suffirait certainement pas pour expliquer tous ses mystères, ni cette longue introduction où une voix de stentor revient sur la création de l’Etat d’Israël en déclamant « qu’on ne choisit pas son Dieu, mais que c’est Dieu qui vous choisit ». Et la suite est à l’avenant : il y question du Jourdain, des nazis, d’un peuple maltraité par l’Histoire, on se dit que c’est parti pour un documentaire plombant diffusé ARTE et raconté par Serge Klarsfeld. Quand soudain. Les instruments entrent en action, portés par les chœurs de Michel Fugain et de Nicole Croisille, pourtant pas la cousine d’Herbie Hancock, pour un délire de 18 minutes qui comble à lui seul toute la face A. Peu importe les paroles qui frôlent rarement le vertige de l’humour (« C’était la fin de la grande peur / la fin des épines sans fleurs / quand on faisait les barbelés / Ils allaient tenter l’aventure / D’avoir enfin un quelque part »), ce qu’on entend descend, littéralement du ciel.

Le jazz-funk au pays du roi David

Pour aboutir à ce résultat à mi-chemin entre les grandes orchestrations funk blanc de Michel Colombier, les pianos de Petrucciani avant l’heure et le jazz fusion de Weather Report, Bergman, qui a grandi dans le quartier juif de Londres, commence par recruter Sylvain Krief, membre du Big Bazar, troupe-orchestre créée un an plus tôt par Michel Fugain. Du coup, on invite les amis : Fugain donc, mais aussi Croisille. Et, pour donner du groove à cet Ovni sioniste, Jean-François Jenny-Clark (repéré avant chez Don Cherry et Keith Jarrett) se colle à la basse, tandis que Georges Locatelli ramène sa guitare et Jean-Pierre Mas son piano. Ces noms ne vous disent peut-être rien, mais le super-groupe Rupture est au jazz ce que Dashiell Hedayat fut au rock français. Une excroissance et une anomalie  où l’auditeur tombant de sa chaise pourra entendre Fugain répéter des mantras hippies comme « Ami, a bientôt, ici la vie est bonne, Shalom » sans que l’exercice, jamais, ne vire au ridicule. La rythmique est tellement bien huilée, le groove tellement baba, que tout est instantanément pardonné.

Publié la même année que le « Innervisions » de Stevie Wonder par le label Futura, « Israël Suite » n’en aura pas. Sans dire qu’il s’agisse d’un four (sic), le disque ne vend pas tripettes et Bergman, ouvrant l’une des nombreuses portes de sa carrière, s’en ira composer pour l’Eurovision, Christophe puis finalement Bashung. Sur la pochette, on peut lire une citation d’Elie Wiesel, philosophe roumain déporté en 44 à Auschwitz-Birkenau : « Car il n’y aura bientôt plus personne pour s’en souvenir, personne pour en parler ». Si l’on se doute bien qu’il ne parlait du disque composé par ces Juifs montés sur ressort, n’en reste pas moins que Rupture méritait lui aussi mieux que l’oubli. Le disque a récemment été réédité par les Espagnols de Sommor [1], et deux ans plus tôt par Diggersdigest.

https://guerssenrecords.bandcamp.com/album/israel-suite-dominante-en-bleu

9 commentaires

  1. Franchement bravo Gonzai d’avoir parle de ce magnifique album dans le contexte actuel! Ayant Diggersdigest, cet album est une de mes plus belles decouverte de chasseur de galettes noires. Et encore bravo pour le projet Bernard Estardy, le vinyle a ete bien recu!

  2. les ‘meks’ qui se mouillent pas trop, achete salement les redits des mags ou de voleurs comme diggers…. les diggers snobs ont leur pissent dans la bouche & ont les fait avaler.

  3. narak le zoule je valide tes propos a milles pour cent ,je vomis les pseudos digger snobinard parisien mega hyper narcissiqque que sont julien achard de digger digest et SURTOUT victor kiswell et consorts, ses mecs la c’est les nouveaux néo colonialiste des années 2000 et 2010 ,des qu’un mecs me parle de pressage et de cote je sort mon colt et je lui tire une balle dans la carafe direct.Ses mecs la se servent de la musique comme d’un ascenseur sociale etc ,ou pour pecho des meufs etc ..Pour moi il faut etre au service de la musique et rendre a la musique tous ce qu’elle nous a donné

  4. une DESCENTE dans certains choppes serait adorable……. j’en parle chez les Black busters—–

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