À quelques jours de la sortie – enfin ! – de son premier album chez Pan European, Gonzaï vous livre une chronique subjective et une écoute intégrale de "Isle of You'. Pour une entrée dans l'univers d'Alice au pays du vermeil, c'est juste en dessous.

Si elle s’était appelée Lady Alice, jamais son disque n’aurait atterri sur ma platine. Mais les femmes qui font de la musique — j’entends par là des femmes qui font vraiment de la musique, pas des divas ni des égéries ni des Lou Doillon : des dames qui savent se servir d’une table de mix, jouer d’un instrument, composer un morceau, l’arranger, bref, qui considèrent que s’autoproclamer chanteuse et tenter de séduire la partie masculine de l’auditoire en jouant soit la pute, soit l’ingénue, n’est pas une démarche très intéressante —, ces femmes-là sont si rares que je ne pouvais pas ne pas éprouver de curiosité à l’égard de Sir Alice. Punk à 14 ans, diplômée en sciences cognitives, chercheuse à l’IRCAM (institut de recherche et coordination acoustique/musique), admiratrice de Schoenberg et de Courtney Love, artiste contemporaine, performeuse et vidéaste ayant collaboré à moult projets musicaux (notamment Nouvelle Vague), signée d’abord chez Tigersushi puis sur Pan European, auteure de quatre albums… et, en plus, sympa et drôle, comme le montre l’interview réalisée en juin dernier par le collègue Rosario.

Bon sang mais ce CV quoi.

Mais après l’avoir entrevue sur la scène de la Java avec Viva & the Diva lors d’une soirée Gonzaï, j’avais été un peu déçue. Il faut dire que la salle, en forme de couloir avec la scène au fond, ne permet pas de voir le concert dès que l’assistance compte plus de trente personnes, et que donc je n’avais qu’aperçu de temps à autre un bras ou une mèche de cheveux blonds appartenant à Sir Alice. De plus, le bar à sulfites ne servant que des verres d’un Château-Vinaigre tiré du cubi, j’avais eu droit en guise d’after à une paracétamol party des plus mémorables, qui n’avait pas contribué à me laisser un bon souvenir de ce concert.

« Isle of You », alors ? À la première écoute, difficile de dire si la surprise est bonne ou mauvaise. C’est moins électro que prévu, une pop délicate nimbée de folk, finement arrangée, évoquant sur les meilleurs titres (notamment Faith Box) le Brian Eno de « Another Green World » ou le Bowie période berlinoise, Sonic Youth (The First Stone) ou même le folkeux Donovan (Jesus Made in Taïwan), donc bonne surprise.

Sauf que.

Car forcément il y a un « mais ». La musique semble manquer singulièrement de caractère. Venant d’une telle fille, on s’attendait à plus de fantaisie, plus de bizarreries, plus de dynamique, et à une voix plus affirmée. Cette impression de platitude s’estompe un peu au fil des écoutes et à mesure qu’on monte le volume, mais ne s’en va jamais totalement. Comme si la dame, malgré la force que l’on devine dans ses inflexions de voix, se retenait. La production, lisse et léchée, manque de relief ; les moments de déferlements électriques, où guitares saturées, synthés et boîtes à rythme se déchaînent et où Alice se lâche enfin, étant placés au même niveau sonore que les passages apaisés (piano-voix, par exemple), l’intensité n’y est pas.

C’est dommage, car le disque révèle des qualités mélodiques rares (la suite d’accords belle et bizarre de The First Stone), un vrai talent de composition et d’arrangement, et, chose extrêmement rare, l’art d’instaurer des ambiances qu’on n’a pas déjà entendues 1000 fois. On regrette aussi les featurings, qui au mieux n’apportent rien au schmilblick (Nicolas Ker, Lydia Lunch) et au pire le flinguent (Colin Ledoux sur le seul morceau vraiment raté de l’album, Il Ragno).

Un disque « peut mieux faire », qui donne un peu trop l’impression que son auteure a voulu plaire à tout le monde.

Sir Alice // « Isle of You » // Pan European

Sir Alice : « Isles of You » by Gonzai

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