A Lyon il y a une péniche excentrée, le Sonic, qui se cache sous les artères des routes à quatre voies et des ponts où s’engoncent les automobilistes qui quittent la ville en fin de journée. Tapie dans le bruit et dans le gris, cette péniche reçoit et organise des concerts, loin des lumières du centre ville, loin des projecteurs des grands spectacles. Et quelle bonne idée qu'eut le Clacson d'organiser ce concert des Movie Star Junkies sur une péniche. Oui, car après tout, c'est dans un univers assez maritime qu'on avait découvert cette formation bluffante de talent avec l'album "Melville".

A l’époque, les Movie Star Junkies en avaient remis plus d’un à sa place avec un ton et une attitude garage poussif, à même de créer une atmosphère et des mélodies alambiquées. Comme des histoires qui vous collent à la peau. Puis il y avait eu « Poison Tree », pour nous confirmer la qualité de la prestation, et en 2012 enfin, « Son of The Dust », un album qui marque un virage très bien négocié vers un son clair et des chansons apaisées. Mais ne vous y trompez pas, les Movie Star Junkies jouent toujours avec cette même fièvre nocturne qui nous charme tant. Et c’est justement pour prendre la température avant ce concert le 26 Octobre, que la Casbah a fait cette interview du groupe qu’on aime intituler le meilleur groupe italien du monde. Émission consacrée intégralement à cette rencontre, interview écrite ci-dessous et playlist 100% Movie Star Junkies.

Pour commencer… dites-moi ce que vous cherchez à atteindre avec votre musique, quels sont vos objectifs?  

Vincenzo Marando : Euh, je pense qu’on n’a aucune idée de ce qu’on cherche à atteindre, on travaille de manière très spontanée, et nos influences ont changé depuis qu’on a commencé. Au début, notre musique était beaucoup plusieurs punks, et maintenant elle est plus apaisée, plus soul. Et on n’a pas vraiment d’objectif musicalement, peut-être que notre prochain album sera beaucoup plus énervé.

Et par rapport aux émotions, aux atmosphères, qu’est-ce que vous cherchez à transmettre?

Vincenzo Marando : Et ben par exemple avec cet album, c’est comme un roman, alors à l’intérieur, il y a plein d’atmosphères qui découlent les unes des autres, comme dans un film.

Comment s’explique ce passage d’un son plus garage à ce que vous faites maintenant?

Stefano Isaia: Je pense que c’est la vie qui fait ça. Tant qu’on ne s’ennuie pas, on peut continuer à faire les mêmes choses, mais non on s’emmerde généralement assez vite, c’est pour ça qu’on aime bien changer. Et puis aussi, quand on est jeune on a besoin de crier les choses, mais plus quand on est vieux et fatigué (rires), on a toujours la même énergie, mais elle est plus canalisée.

Est-ce que votre public évolue avec la musique, est-ce c’est quelque chose que vous avez remarqué ?

Stefano Isaia : Oui, en Italie surtout. Notre dernier album a été très bien reçu par le public, on a même cru que c’était notre premier album parfois, et on a pu jouer dans des plus grandes salles, et plus seulement dans des garages ou dans des caves. Je pense que c’est bien pour nous, le changement a du bon… On a même des petites jeunes dans le public maintenant… (rires)

J’ai découvert votre groupe grâce à Voodoo Rhythm. Est-ce que ça a été une étape importante de votre histoire d’être signés chez eux?

Vincenzo Marando : Ah oui, c’était énorme pour nous. On avait seulement sorti quelque 45 tours sur des petits labels, alors commencer à travailler avec le Reverend Beatman, c’était vraiment énorme. On avait déjà fait pas mal de tournées, donc on savait déjà comment ça se passait, mais ça a quand même beaucoup changé pour nous.

Est-ce que c’est vous qui avez contacté Voodoo Rhythm, ou est-ce que le Beatman est venu à vous?

Stefano Isaia : On lui a envoyé quelques trucs de nos débuts. Il a commencé par dire qu’il était trop pris pour nous signer, mais qu’il aimait bien la musique. Nous, on a pensé que c’était juste une réponse banale, de quelqu’un qui peut être aime bien ta musique, mais ne veut pas te signer. Puis on lui a envoyé les chansons de « Melville », et là il a répondu le lendemain : “Ca, je le sors, et vous signez un contrat pour deux ans avec moi.”

Vincenzo Marando : Et puis je crois aussi qu’il a signé… GG Allin (rires)

Un de vos albums s’apelle « Melville », et un autre est construit comme un roman… quels liens ou connexions faites-vous entre la littérature et la musique?

Stefano Isaia: Vinz et moi, on a tous les deux fait des études classiques. On a perdu beaucoup de temps à étudier de la merde…

Vincenzo Marando : Ou à étudier la Grèce Antique, et ça, c’est indispensable à notre vie de tous les jours ! (rires)

Stefano Isaia: Et c’est un peu un genre de révolution personnelle, pour nous, de découvrir ces auteurs qui ne sont pas vraiment étudiés dans les écoles. Et puis la littérature c’est aussi une passion, en plus de la musique. On a commencé avec « Melville », qui était un album concept, et on a continué à mettre des références littéraires dans tous nos albums.

Qu’est ce qui t’as plu dans les écrits de Melville?

Stefano Isaia: Oh, plein de choses, l’aspect religieux… Je me suis mis à lire ses livres moins connus (Omoo, Mardi) et j’ai vraiment accroché avec ce sentiment de tristesse et de solitude de l’homme, et cette culpabilité très forte qui est présente dans beaucoup de ses livres, et pas seulement dans Moby Dick.

Une de vos chansons s’apelle I’d rather not, comme l’expression dans Bartleby. Qu’est ce qui vous a plu dans cette histoire?

Stefano Isaia: Ah, en fait c’est juste parce que la chanson était instrumentale. Alors on a choisi de rendre hommage au roman. Le personnage principal est génial…

Dans l’album « Melville », il y a comme une atmosphère de chansons de marins. Est-ce que c’est voulu, parce que c’est un album concept, ou bien est-ce que c’est dû à certaines influences musicales?

Stefano Isaia: Je pense qu’on a voulu faire comme des chansons de marin, parce qu’on voulait transmettre cette d’impression d’un bateau qui coule, ce genre de truc. Pour ça, on a enregistré des bruits métalliques… Ouais, on l’a fait exprès quoi.

Quelle est la nouveauté par rapport au reste de votre discographie dans « Son of the Dust »?

Stefano Isaia: On l’a enregistré en live. On n’a pas fait ça pour nos autres albums, la plupart avaient toujours des chansons séparées, bien définies. Là, on voulait avoir un son live, un vrai son, avec une basse semi-acoustique, et on a joué toutes les chansons à la suite jusqu’à la bonne prise. On trouvait que le son était vraiment bien comme ça, très calme, presque acoustique, on ne voulait pas ajouter d’éléments trop bruyants, comme des hurlements, des cris, juste parce que c’était ce qu’on attendait de nous.

Vincenzo Marando : Je pense que ces derniers temps, on se sentait pas vraiment à notre place dans la scène garage, alors c’était un peu une réaction à ça. On a ralenti le rythme, et on a joué une musique aussi calme que possible. Mais ce n’est pas pour autant qu’on n’aime pas le rock bruyant, hein.

Stefano Isaia: En fait, les morceaux de « Son of the Dust » étaient bien plus puissants et bruyants en live que l’enregistrement. Mais l’album nous plaisait comme ça, alors on n’a pas voulu le changer juste parce qu’une partie de notre public s’attend à quelque chose. Je pense que c’est quand même vraiment dérangé, même si c’est moins bruyant. Peut-être même que cet album est encore plus cinglé que d’autres plus bruyants qu’on a pu faire.

Pourquoi n’étiez-vous pas à votre place dans la scène garage?

Vincenzo Marando : C’est peut-être parce qu’on écoute tellement de musique et qu’on voudrait refléter toutes ces influences différentes, ça peut nous rendre parfois moins cohérents dans notre style. Mais de toute façon, c’est un peu notre ligne de direction.

Stefano Isaia: Au début, nos influences, c’était surtout tous ces grands groupes de garages US: les Gories, les Oblivians, les Cheater Slicks, Chrome Cranks, The Gun Club… Alors certaines personnes ont cru qu’on allait faire ce genre de musique toute notre vie. Mais nous on aime Chrome Cranks, mais on adore Neil Young aussi ! Alors pourquoi on ne pourrait pas s’éclater avec ce genre de musique ?

Vincenzo Marando : Et parfois on a envie de prouver qu’on est tout aussi capables d’écrire de super chansons, juste avec une guitare et du chant.

Vous n’avez pas sorti cet album sur Voodoo Rhythm, c’est un choix?

Stefano Isaia: Oui. Le contrat qu’on a signé avec Voodoo Rhythm Records était pour deux albums. Et au troisième, on s’est posé la question. Au final, ces deux premiers albums appartiennent toujours à Voodoo Rhythm. Mais notre bassiste avait créé un label avec un gars des Mojomatics, qui était aussi en lien avec le studio. Alors on s’est dit que ce serait bien d’essayer de le faire nous-mêmes, trouver les contacts nous-mêmes, avancer par nous-mêmes quoi. Ce n’est pas que ce soit vraiment plus simple, mais on a plus de libertés.

Et les studios alors, il paraît qu’ils sont vraiment super, entièrement analogique, tout ça… ?

Stefano Isaia: Oui, ils sont vraiment pas mal. Il y a beaucoup de groupes garages et rock indie qui ont enregistré là-bas, les Black Lips, Khing Kan, BBQ, tous ces groupes… et aussi du jazz, il y a de tout, c’est vraiment un bon studio analogique, près de Venise.

C’est quoi l’histoire de « Son of the Dust »?

Stefano Isaia: Hier pendant une interview, j’ai été incapable de l’expliquer en Anglais… (rires) Le plus important c’est de savoir qu’à la fin il y a un prêtre qui meurt. (re-rires) C’est l’histoire d’un village, où il n’a pas plu depuis très longtemps, quand un inconnu arrive et déclare qu’il a la solution à ce problème. La solution, c’est de mettre la statue d’un Saint au fond du puits. Mais le prêtre ne veut pas, il dit que c’est blasphématoire, alors un fermier décidé de tuer le prêtre et de mettre la statue au fond du puits. La pluie arrive, mais il pleut pendant des jours, des mois, et la femme du fermier meurt, emportée quand la rivière déborde.

Vous avez sorti des albums sur pas mal de labels différents. Est-ce que c’est nécessaire pour un groupe, pour pouvoir sortir des disques et continuer à tourner ?

Stefano Isaia: Pour nos deux premiers 45 tours ont dû chercher des labels qui voulaient bien les sortir. Mais à partir du troisième, il y avait plein de labels qui nous demandaient de sortir des chansons. Et c’était toujours des gens qu’on avait rencontrés à des concerts, des gens bien, alors on a juste suivi le mouvement et on s’est dit qu’on n’avait qu’à faire tout ce qui se proposait. Au début, on était plus jeunes et on avait plus de temps pour enregistrer, on avait plein de chansons, alors c’était facile quand de petits labels nous demandaient “est-ce que vous avez une chanson pour un 7”, “oui, oui !”. Mais maintenant qu’on travaille tous et que chacun a sa vie, on se retrouve seulement pour écrire des albums, on n’a pas vraiment le temps pour autre chose.

Vincenzo Marando : C’est ça, on n’a pas le temps de sortir des singles, mais on en sort quand même deux fois plus que plein d’autres groupes! (rires)

Tout le monde parle de la crise de l’industrie du disque, mais quand on voit tous ces labels indépendants qui n’ont jamais sorti autant de disques, diriez-vous au contraire que c’est faux et que l’industrie est en fait profitable pour des groupes comme le vôtre ?

Vincenzo Marando : Je pense que ça change beaucoup de choses. Si on avait fait la même chose dix ans plus tôt, on aurait gagné cinq fois plus! Le seul problème c’est qu’on n’aurait eu pas la possibilité de faire de très grosses productions, ça c’est réservé aux productions très mainstream. Ce n’est pas toujours facile, mais d’un autre côté c’est plus ouvert, les petits groupes sont complètement libres de faire ce qu’ils veulent. Il y a des bons et mauvais côtés….

Interview : Benjamin Kohler pour Rock à la casbah
Traduction : Mathile Ekel

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