Yeux rivés sur ses ongles peints d’un vernis bleu écaillé,  Kip Berman, chanteur des Pains, admet que son groupe, mis à part le producteur Flood, a peu en commun avec Nine Inch Nails. On ne lui avait pas posé la question. Peggy Wang, la petite brune qui fait des chœurs en sautillant derrière son clavier sur scène,  glousse un peu. Ils sont complices dans leurs rires nerveux et partagent la gratitude pour l’accueil réservé à leur premier album.Regain d’intérêt pour eux grâce à leur nouvel album, Belong, plus endurcis, toujours fidèles au DIY et à leurs émois adolescents.

Face à moi, les deux New-Yorkais se livrent d’une seule voix sur leur angoisse de la scène. Si Kip est fan d’Iggy Pop, lui n’est pas un vrai mec du rock’n’roll : ce qu’il fait c’est de l’indie pop, de Brooklyn qui plus est, et comme il le dit pour nous, ils reconnaît ne pas être une bête de scène. Ces concerts décevants m’avaient éloigné de leur premier album, alors que pendant plusieurs mois, leurs chansons me semblaient aussi inépuisables que celles des Pastels. Deux ans plus tard, on refait le match et les deux Américains en parlent à cœur ouvert, sans peine.

Vous entamez la promo de votre deuxième album Belong, l’état d’excitation dans lequel vous étiez au moment de la sortie du premier est-il intact ?

Kip : Bien sûr c’est différent maintenant, mais on passe notre vie à parler de musique avec nos amis, donc pour nous, que des gens viennent nous rencontrer pour faire la même chose c’est toujours agréable. Je suis même excité de parler du nouvel album car on en est très fiers.

Vous aviez une idée du son que vous vouliez obtenir en entrant en studio ?

Peggy : On voulait faire un album très bruyant, que les guitares soient très fortes et dures, pour obtenir un résultat à la fois étrange et mélodique.

Kip : Il fallait que ce soit plus immédiat [que notre premier album, NdlR], plus viscéral, on voulait rendre la rivière tranquille plus sinueuse. Ce qui est le plus important pour nous c’est d’avoir de bonnes chansons, je ne veux pas dire qu’on arrive à en faire, mais on aimerait bien. On voulait obtenir quelque chose de puissant mais doux à la fois, très américain, presque aussi exagéré qu’un dessin animé. Bien sûr on est toujours le même groupe, mais on a ajouté un peu d’intensité à tout cela, et le résultat me semble plutôt pas mal.

Ça vous permet de trouver un équilibre par rapport à l’apparente innocence des chansons ?

Kip: Le côté extrême du son va très bien avec l’adolescence. C’est pourquoi j’ai toujours aimé les Smashing Pumpkins au lycée : ils exprimaient le monde avec un côté hyper émotionnel. L’amour destructeur, l’obscurité totale, dans un langage purement affectif. Je ne sais pas si notre musique est vraiment innocente d’ailleurs, sur le premier album on a fait des titres sur le crack et l’héroïne et puis, This Love Is Fucking Right, un titre sur un étudiant qui couche avec sa prof… En fait on parlait surtout de sexe et de drogues sur ce disque.

Vu qu’on est entre fans des Pastels, je m’autorise à citer le leader Stephen Pastel, qui disait que sa musique devait être une overdose émotionnelle, ça vous ressemble pas mal ça, non ?

Kip: The Pastels ne sont pas non plus innocents d’ailleurs : ils expriment une vraie confusion. Ils ont des titres un peu sales et d’autres un peu sucrés.  « Overdose émotionnelle »… C’est vrai que c’est plutôt cool comme expression ! (rire nerveux) J’adore les Pastels.

Ils refusaient l’idée d’une vraie carrière musicale en pensant qu’une entrée  dans les charts ne pouvait que s’accompagner d’une baisse de qualité. Pour vous aussi, l’amateurisme revendiqué c’est essentiel ?

Kip : La scène de Glasgow a connu du succès grâce à des groupes DIY comme les Pastels mais il en existe aussi d’excellents comme les Teenage Fanclub qui sont, je crois, de vrais professionnels, et les Pastels les adoraient. Pareil pour les Jesus & Mary Chain. Mais tout ce que je sais c’est que j’aime faire de la musique, c’est ce que je préfère et je ne veux rien faire d’autre. Donc je préfèrerais à la limite être chiant mais continuer. Par contre je comprends ce qu’il veut dire par là, si tu essaies d’être hyper professionnel, tu perds un truc. Mais nous on n’est pas vraiment bons en fait. Donc je crois que même si on le voulait, on ne pourrait jamais être super pro. Même quand on essaie de l’être, au final on est toujours un peu mauvais. Nous on préfère passer du bon temps et faire la musique qu’on aime.

Quelles étaient vos attentes et vos craintes quand vous avez appris que vous travailleriez en studio avec Flood (Depeche Mode, U2, NIN) et Alan Moulder (Smashing Pumpkins, Jesus & Mary Chain) ?

Peggy: Je ne connaissais même pas le rôle d’un producteur.

Kip : Ils ont gardé tout ce qui faisait notre son, tout ce qu’il y avait d’immature en nous. Ils n’ont pas essayé de réparer ce qu’on faisait de travers. Par exemple, j’ai une pédale sur ma guitare qui, d’un point de vue technique, est assez horrible, mais je l’utilise tout le temps, je l’adore. Ils m’ont dit, bon c’est mauvais mais c’est vous, donc je ne vais pas vous interdire d’être vous-mêmes. C’était très encourageant.

Peggy: Flood a travaillé avec Nine Inch Nails et c’est incroyable qu’un titre sombre comme Closer soit passé à la radio. Mais nous on n’est pas Nine Inch Nails, et son but n’était pas de nous faire sonner comme lui en avait envie.

Kip : Il faut dire qu’on est un groupe assez différent de Nine Inch Nails quand même, non ?

Peggy : J’aimerais bien nous voir dans Nine Inch Nails, ça donnerait un truc intéressant.

Vous vous situez où dans la scène de Brooklyn, par rapport à tous ces groupes très chilled out qui donnent l’impression que vous vivez tous dans un cocon ?

Kip : Il y a beaucoup de groupes différents à Brooklyn, on aime Beach Fossils, Dream Diaries, Vivian Girls, Crystal Stilts… Mais je crois qu’on n’a pas tous envie d’être associés les uns aux autres.

Vous aimeriez quand même collaborer avec l’un d’entre eux ?

Peggy : Hé bien j’ai un genre de projet eurodance avec quelqu’un… Mais c’est secret !

Tiens, vu que tu parles d’eurodance, les gens aiment assez deviner vos goûts musicaux, mais est-ce qu’il y a des choses que vous écoutez et dont personne ne pourrait se douter ?

Kip : J’aime bien Iggy Pop, le garage, Marc Bolan, David Bowie, mais pas le rock’n’roll super viril. Mais en même temps je crois que tout le monde aime T-Rex, donc ce ne doit pas être une vraie surprise.

Non, effectivement. Tu n’écoutes pas de rap ?

Kip : Non. Par contre j’adore Tori Amos, son premier album est génial.

Peggy : Moi j’aime George Michael !

Et sinon, maintenant que vous avez pas mal tourné, vous sentez-vous plus à l’aise sur scène ?

Kip & Peggy : Non !

Kip : J’essaie juste de ne pas me foirer. Je ne me sens pas très à l’aise avec l’idée d’être le mec sur le devant de la scène. Je ne me suis jamais dit, gamin, que quand je serais grand, je deviendrais une rock star. J’aime juste faire des chansons, être avec le groupe, mais je ne comprends pas le rôle de ces mecs qui vont sur scène et font «Hé les mecs vous vous éclatez ? Vous allez voir on va trop s’éclater wow !». Je ne sais juste pas quoi dire. J’aime jouer des titres, mais je ne sais pas quoi dire, vraiment.

Ouais, t’es pas George Michael…

Kip : Non, je ne suis pas George Michael. Du moins pas encore… Mais l’indie pop c’est quand même une scène qui accepte ça. Je me vois pas dire « hé vous allez voir mes couilles ce soir ». Mais je ne pleure pas de peur avant d’aller sur scène. J’ai juste envie qu’on fasse de bons concerts. Et certains sont bons, d’autres sont mauvais. Ça garde le truc intéressant et réel. Mais on ne se dit pas « demain soir, on va mettre le feu à la salle ! »

Peggy : Si tous nos lives étaient au top, ça enlèverait le côté spécial de nos bons concerts.

Kip : Alors que quand on réussit un concert on se dit : « wahou on peut y arriver finalement, on en est capables ! » Donc on fait de notre mieux, on a du respect pour les gens qui viennent nous voir mais on n’est pas des bêtes de scènes, pas encore.

Et quel est le meilleur groupe live actuel selon vous ?

Peggy : Je dirais que c’est Lightning Bolt. Un groupe noisy, qui se place au milieu de la salle, basse et batterie seulement, mais c’est très très bruyant.

Kip : Pour moi c’est Titus Andronicus, c’est toujours une expérience unique de les voir. Ils ont développé une vraie connexion avec le public. Ce que je n’essaie pas vraiment de faire, en fait.
C’est important de ne pas faire toujours la même chose ou de juste rejouer l’album, sinon quand tu es dans le public tu te dis seulement : « oh tiens, ce disque est ivre » [Par « ce disque est ivre », comprendre que le spectateur aurait l’impression d’entendre l’album, mais en moins bien joué, NdlR]. Sinon, on devrait revenir en concert en France bientôt, pas seulement à Paris mais à Poitiers, aux Eurockéennes, à Toulouse et Montpellier aussi.

Donc votre public français doit venir vous voir sur toutes ces dates parce que sur l’une d’entre elles, vous serez peut-être meilleurs ?

Kip: Voilà, en gros tu dois acheter trois billets pour être sûr de voir au moins un bon live (rires).
Tu as entendu parler des problèmes de l’industrie du disque ? Voilà notre solution financière. En tous cas on a hâte de découvrir des villes de province. Même si on vient de New York, on commence à découvrir qu’il existe des gens cool partout. D’ailleurs, beaucoup pensent qu’on vient de Brooklyn, mais en fait on a juste déménagé là-bas – et c’est le cas pour la plupart des soi-disant groupes de Brooklyn, c’est surement pareil à Paris ou Berlin. On essaie juste de se retrouver avec des gens qui partagent nos goûts.

Peggy On nous parle toujours des mêmes groupes : Crystal Stilts etc… Mais on ne nous pose jamais de questions sur Beyoncé et Jay Z.

Bon OK, on peut élargir un peu si vous voulez, elle n’habite pas à Brooklyn mais aujourd’hui le clip de Britney Spears est sorti. Il vous a plu ?

Peggy : Oh vraiment ? On n’a pas eu accès à internet, il est comment ?

C’est une pub géante pour Sony…

Kip : Bizarrement, aucune marque ne veut nous sponsoriser. Mais je suis sûr que Britney a de bonnes chansons et pour le coup, c’est une vraie pro. En fait l’album de Britney va sortir le même jour que le notre aux USA, donc quelque chose me dit qu’on va perdre cette bataille…

The Pains of Being Pure at Heart // Belong // PIAS

 

 

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