Depuis le début et en dépit des critiques (ici même, chez Gonzaï) j’adore Asyl. On s’est rencontré la première fois par hasard en 2005, dans une taverne à Prague où ils donnaient un concert avant d’enregistrer quelques mois plus tard leur premier album à Londres avec Andy Gill, guitariste charismatique des Gang Of Four. A cette période, c’était le seul groupe français de sa génération à posséder un son anglais et des textes en français : un mélange original et sexy, entre Taxi Girl, Joy Division et les Stinky Toys.

Depuis, le groupe a sorti un premier album très bien accueilli par la critique,  a réalisé aussi les premières parties des Stranglers, Killing Joke et the Warlocks… Ensuite les musiciens ont accompagné Daniel Darc sur sa dernière tournée. Enfin, le groupe a sorti en 2009 un deuxième album réussi, plus pop que le précédent, mais qui resta étrangement dans l’anonymat.

Depuis, je reste toujours en contact avec le leader de la formation de La Rochelle. Mathieu Lescop, auteur et chanteur du groupe, montant à Paris, me met au courant de son projet solo avec le duo français John & Jehn. J’écoute quelques démos… Et encore une fois, je prends une claque. Ca sonne anglais mais c’est en français… Pour vous encourager à découvrir ces démos, voici une interview réalisée lors des premières journées de beau temps à Paris, fin mars, à l’abri des oreilles et des regards dans une division isolée au cimetière du Père Lachaise.

Avant tout j’aimerais qu’on prenne des nouvelles d’Asyl. Le groupe a-t-il splitté ? Où en êtes-vous ?

C’est une pause… Mais est-ce qu’on ressentira un jour l’envie de se reformer ? Là, je ne sais pas… Mais ce qui était devenu évident, c’est qu’on n’avait plus une réelle envie de bosser ensemble comme avant, du moins c’est comme ça je l’ai ressenti.  Le groupe s’est formé il y a longtemps, en 1995. J’ai ressenti le besoin de vivre d’autres expériences, mais aussi de ne plus faire de compromis dans mon écriture et dans mes envies. Mais j’espère sincèrement que le groupe rejouera ensemble, ce sont des potes, c’est même plus que ça, c’est une famille.

Que font justement les autres membres d’Asyl ?

On reste tous créatifs, les frères Freidline ont un groupe qui s’appelle les Fantastic Nobody, ils ont d’ailleurs participé à la bande originale de Tout ce qui brille, Antoine a un projet musical avec sa copine (Lady Chevrotine), il bosse aussi sur l’album solo du chanteur des Brats, Niki Demiller.

Parlons de toi maintenant ; tu bosses sur un projet solo.

Il est effectivement présenté comme un projet solo mais je ne suis en vérité pas seul, puisque John & Jehn participent massivement au projet en produisant les titres. John avait joué sur le premier album d’Asyl, et Jehn était une amie d’enfance. Ils viennent, comme Asyl, de La Rochelle, et on partage depuis longtemps beaucoup d’influences. Un jour John m’a proposé de bosser avec eux, sans rien m’interdire… Ensuite les influences, les sons et la ligne artistique se sont imposés d’eux-mêmes.  L’unique consigne qu’on s’est donnée au départ était de bannir les accords de guitare barrés, on ne voulait surtout pas faire du rock français classique.

Justement, quelle image as-tu du rock français en général ?

Je suis rarement emballé, en même temps c’est assez cliché de dire ça, parce que tout le monde dit ça… Quand je vais à Londres pour enregistrer mes titres chez John & Jehn, là-bas les gens un minimum ouverts d’esprit te parlent de notre cinéma nouvelle vague, parfois de Gainsbourg, de Baudelaire, de Verlaine… Pour preuve, certains chanteurs anglo-saxons se font appeler Tom Verlaine, ou Mike Rimbaud… L’histoire culturelle française fait encore fantasmer, je pense. Mais je me trompe peut-être…  Elle est encore dans le folklore rock, et ce depuis longtemps. Les Anglo-saxons rêvent d’être français, alors pourquoi chercher à être anglais ?

Que penses-tu de cette phrase de John Lennon : « Le rock français c’est comme le vin anglais » ?

Je la trouve drôle, ça c’est sûr c’est de l’humour anglais ! Je n’ai jamais goûté de vin anglais mais je suis sûr qu’il doit avoir quelques choses d’intéressant… (rire)

Il y avait des titres en anglais sur le premier album d’Asyl ; y en aura-t-il sur ce disque solo ?

Non, pour moi c’est à bannir, tout comme les accords de guitare en barrés, pour moi le rock français n’a pas besoin de l’anglais, même si je dois avouer que j’adore quelques groupes français qui chantent en anglais – mais ils ne sont pas nombreux. Et puis j’ai l’impression que certains chantent en anglais parce qu’ils n’ont rien à dire ; quand tu chantes dans ta langue et dans ton pays, tu ne peux pas tricher car tout le monde va savoir si oui ou non t’as quelque chose à raconter. Quand Robert Johnson chantait, il y avait évidemment un vrai travail, mais ce qu’il racontait, il le vivait vraiment, alors qu’il ne savait pas écrire… Et puis j’ai l’impression qu’en France on ne se prend pas au sérieux, on fait ça pour déconner, comme si on était complexé d’être français, ou sous le poids de notre patrimoine qui est très ancien et très riche.

Mais c’est aussi le cas en Angleterre, le patrimoine anglais est également très riche…

Oui, mais les Anglais sont très influencés par les Américains qui ont également un patrimoine aujourd’hui très riche mais beaucoup plus récent. Il y a des choses en anglais qu’on ne peut pas traduire en français comme par exemple « Be Bop a lula ».

Pourrais-tu nous citer quelques bons groupes français francophones ayant une démarche originale ?

J’ai bien craqué sur deux titres de La Femme, c’est très frais et maladroit, leur démarche est super touchante et assumée. J’adore également Mustang, j’ai d’ailleurs écrit avec Jean, le chanteur, qui est à mon avis une grosse pointure. J’apprécie aussi ce que fait Antoine [de Asyl, NdA] avec Lady Chevrotine, j’aime aussi Young Michelin, Automelodi et puis… (long silence) Ça me fait chier d’en citer si peu, parce que je déteste les gens qui disent « de toute façon maintenant il n’y a plus rien ». Après j’aime bien Alister et Bertrand Belin, je suis aussi assez fan de quelques rappeurs français comme Booba, Despo Rutti et La Rumeur. A un moment je n’ai écouté que ça, du rap français, parce que j’étais obsédé par l’idée de punchline, ce procédé qui consiste à écrire quelque chose de puissant, une phrase qui donne des frissons à l’auditeur, parfois c’est choquant, violent, c’est « frime » mais ça cogne, ils sont obsédés par ça ! Pour un rappeur, si tu n’as pas de punchline tu peux aller te rhabiller et fermer ta gueule, j’aime beaucoup cette idée. Un jour il faudra qu’on fasse une interview uniquement là-dessus ! Mais désolé de pas citer plus de groupes français, je suis sûr qu’il y en a d’autres…

Je vais arrêter de t’embêter sur le débat du rock français ; j’aimerais que tu nous décrives chacune des démos que tu as mises en ligne sur ta page Noomiz.

Marlène parle de l’exil de Marlène Dietrich. Je voulais faire une chanson sur ce personnage qui a été banni par son propre pays, parce qu’elle faisait sa carrière au États Unis. Elle a même chanté pour les GI’s pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’elle était allemande. J’ai essayé dans cette chanson de me mettre à sa place, ça doit faire bizarre quand même de chanter contre son propre pays, même si au final je pense qu’elle chantait contre les nazis et pas contre les Allemands. Et puis son côté Ilsa, la louve des SS, me plaît beaucoup. J’aime les femmes venimeuses.

La foret. C’est un conte cruel : une fille qui donne rendez-vous à son copain dans la forêt pour se venger de tout ce qu’il lui a fait. Comme j’écris souvent des choses cruelles sur les filles, j’ai trouvé que c’était bien de faire un peu l’inverse pour une fois.

Je danse. Le but était de réaliser une chanson dansante la plus lente possible, c’est un titre disco hors du tempo, le texte ne raconte rien de spécial, c’est vraiment pour le coup très graphique…

Tokyo la nuit. Alors tout d’abord ça a été écrit bien avant que tout parte en vrille au Japon…(rire) Le texte a été co-écrit par le chanteur AV, ça parle de Yukio  Mishima et de son roman Confession d’un masque, c’est un auteur qui a beaucoup fréquenté le milieu gay à Tokyo dans les années 50, et puis le Japon me fascine beaucoup par son histoire un peu folle : les samouraïs, les ninjas, les Yakuzas, les kamikazes, le cinéma, les mangas, les nouvelles technologies, et son attachement au passé…

Tu m’écrivais souvent. Ah… ça c’est un secret, je ne dirai rien !

Quand voudrais-tu que sorte ce prochain disque solo ?

A la rentrée j’aimerais sortir un maxi, et puis je prépare la scène en ce moment avec Gael Etienne, l’ex-guitariste de Koko Von Napoo, qui a également travaillé sur mes titres. J’ai hâte de remonter sur scène, j’espère que les choses vont aller vite…

www.noomiz.com/lescop

6 commentaires

  1. J’ai comme une curieuse impression d’entendre du Basho ou du Dashung mais l’interview et le petit bout de son m’ont bien donné envie d’en écouter encore plus. Merci !

  2. Un frisson m’a parcouru l’échine en écoutant ces 5 morceaux. C’est froid et ça fait suffisamment peur pour t’entrainer irrésistiblement vers une course lente et sans fin.
    J’ai hâte de le voir sur scène.

  3. ce mec est intéressant! j’aimais bien aussi Asyl même si les disques étaient assez inégaux, en tout cas je suis content de voir qu’il y a une suite à ce groupe, faut que j’aille écouter ça
    et bien joué d’avoir placer La Femme Young Michelin et Mustang

  4. ‘du Basho ou du Dashung’ ah ah ah!
    C’est vrai que le teasing donne envie d’écouter; il est bien.
    Et j’aime bien l’explication des chansons dans les itw; quand les musiciens sont connus, il ne font plus ça (ou on ne leur demande plus?)
    Mention spéciale à lui pour ‘pour moi c’est à bannir, tout comme les accords de guitare en barrés’. Une vérité (qui m’arrange)
    Mais chouette papier/ itw.

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