En France, on n’a toujours pas de pétrole mais on a des synthés. Parfois, même de bons musiciens pour passer derrière… Ne baissons plus le regard quand un indigène de la perfide Albion, nous rappelle, sourire condescendant aux lèvres, que la French Touch, c'était "vraiment quelque chose il y a 20 ans". Il faudra penser à regarder du bon côté de la Manche désormais. Flavien Berger, 28 ans nous invite 20 000 lieux sous les ondes avec "Léviathan", son nouvel album qui pourrait bien faire rougir le monstre du Loch Ness.

dflkfurlL’an passé, le parisien sortait deux EP remarqués : « Glitter Glaze » et « Mars Balnéaire », un carnet de vacances techno-poétique sur la planète rouge. Nous étions curieux d’en connaître la suite, voici donc ce premier album. Inclassable, il évoque aussi bien Kraftwerk, Alan Vega, la new wave de Mathématiques  Modernes, Plaid (Warp) ou François De Roubaix. On arrêtera là pour les listes – les parallèles ne décriront guère la singularité du disque pris dans son ensemble.  Manipulant les sons et les mots, il fait le grand écart entre froideur électronique et surréalisme débridé, entre humour et prophéties SF. On le sentait déjà, toute la force créative de Flavien Berger se révèle sur la distance : les morceaux les plus patients, les plus déstructurés donnent toutes leurs forces à l’electro contemplative du jeune musicien. A l’image du Leviathan, créature marine gigantesque et mythique, « monstre du chaos primitif », qui offre son nom à l’album, les compositions n’ont pas peur de faire le grand plongeon dans les abysses, de côtoyer l’inconnu. « Rester, c’est exister : mais voyager, c’est vivre », lançait le poète, Gustave Nadaud. C’est bien au voyage qu’on nous invite ici.

C’est à l’occasion d’une petite fête pour la sortie de l’album que nous nous retrouvons pour l’entretien. Verre de vodka/pastèque dans une main, clope dans l’autre, mon interlocuteur est particulièrement détendu et volubile. En off, il me dit avoir souhaité avec cet album : « atteindre la zone cachée sous l’aisselle, celle que tu ne peux pas voir ». Tendons-lui déjà la main et le micro.

Peux-tu revenir dans les grandes lignes sur tes débuts musicaux ?

Dans mon cas, il s’agit vraiment d’une approche générationnelle et ludique car c’est par le biais d’un jeu vidéo que j’ai débuté dans la musique. Au collège, j’ai découvert Music 2 000 sur ma PlayStation 2. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des instrumentaux. On pouvait sampler des disques, genre 10 secondes en 11 Hz, 5 secondes en 20 Hz et 2,5 secondes en 44 Hz…des sons de caisses claires, de trompettes en micro-boucles. C’était super pour un ado un peu créatif.

Pas de solfège avant ou après ?

Si, comme beaucoup d’enfants de couples bourgeois, on m’a inscrit au Conservatoire. Je me souviens précisément de la décoration : des coquillages en stuc dans des renfoncements moquettés et éclairés par le dessous. Mis à part ces réminiscences visuelles, il ne m’en reste pas grand-chose en fait. Mais j’étais trop petit, je n’ai pas accroché, c’est vraiment anecdotique comme période.

Toujours dans l’anecdote justement. Te souviens-tu du premier 45 tours ou CD marquant de ta jeunesse ?

Le premier disque acheté avec mon maigre argent de poche, ce fut les East 17. “Alright, alright, everything’s gonna be alright”… (Il chante volontairement en yaourt). Et celui que j’ai aimé en premier et qui me sert encore de disque de référence – découvert grâce à mon frère- c’est « Voodoo » de D’Angelo. 80% de mes premiers samples proviennent de cet album. C’est l’un des mieux produits de l’histoire de la musique américaine. Il reste toujours en haut de liste de mes disques préférés de tous les temps.

Pas trop de pression autour de ce premier album ?

Ce disque existe déjà depuis un bout de temps pour moi. Sa phase de création a pu me mettre la pression. Mais là, honnêtement, je suis dans une position où j’ai eu l’opportunité de sortir un disque grâce à Pan European Recording et je ne vis pas ça avec appréhension. Mon disque est pressé à peu d’exemplaires, nous sommes en indé, on ne vise pas de chiffres… c’est un peu la liberté totale du coup et cela évite de stresser pour rien.

Comment s’est faite cette rencontre avec Pan European Recording ?

Avec mon collectif _sin~ (formé à Bruxelles et dédié  à la culture graphique et à l’expérimentation musicale, ndlr), nous avions fait des installations dont le principe était d’envoyer du son dans des télévisions cathodiques afin de les faire vibrer. Cela a servi d’illustration pour une pochette de KFTP puis nous nous en sommes servis pour des live avec Turzi, tous deux signés sur le label. C’est par ce biais que j’ai rencontré Arthur Peschaud (cofondateur du label, ndlr), à qui j’ai donné la toute première démo de ma vie de musicien. J’étais comme un gosse présentant ses devoirs. Puis, cela s’est fait très vite, on a sorti un vinyle de ce qui allait devenir mon premier EP, « Glitter Glaze ».

https://www.youtube.com/watch?v=GbLCICDOOX4

Tu n’as pas changé ta manière de composer entre ce premier EP et « Leviathan » ?

Oui, c’est grosso modo le même processus. Je fais un peu de live, je travaille la texture avec des synthétiseurs et des pédales d’effets et le tout aboutit à mon ordinateur où je séquence les instruments, j’ajoute des mélodies… C’est de la superposition de recherches, de matières, de sons.

Cela t’a pris combien de temps de finaliser ce premier album ? 

Un mois entier, l’été passé. J’avais quand même pas mal d’ébauches que j’ai pris le temps d’enluminer et de peaufiner.

Depuis tes débuts, tu n’hésites pas à te lancer dans des morceaux dont la durée dépasse les dix minutes. Quelle est la part d’improvisation dans ta musique ?

Tout est écrit, je garde l’improvisation pour le live. Je suis assez piètre pianiste, tu ne trouveras pas de longs solos instrumentaux d’ailleurs. Je garde la structure de mes morceaux mais c’est plus au niveau du chant que je me laisse des libertés ; celles d’inventer des paroles, d’étirer les textes. Tous les morceaux que tu trouves sur le disque sont du « bois brûlé » (sic) pour les concerts durant lesquels je vais ajouter des informations poétiques par le biais de l’improvisation. J’aime beaucoup le live pour ça.

Koudlam, Buvette et toi – signés sur Pan European Recording. C’est une même famille musicale pour toi ?

Notre musique est différente mais, il est vrai, qu’on s’interroge tous les trois sur la notion d’Homme-Machine. Le musicien augmenté par ses instruments électroniques. Nous partageons peut-être aussi tous les trois, une approche créative très marquée par l’onirisme. Et tout ça sous couvert d’un petit label qui fonctionne comme une structure familiale !

« Homme-Machine », c’est très Kraftwerkien comme citation ? C’est une influence revendiquée ? 

En tous cas, je ne le cache pas. Après, je dois avouer que je ne suis pas un érudit sur le groupe. Il y a beaucoup de morceaux qui m’ont marqué mais je confonds les albums sur lesquels ils figurent. Je serais même incapable de t’en donner les dates de sorties. Mais il est certain que ce fut le sésame qui m’a permis d’entrer dans le grand palais de la musique électronique. Kraftwerk, tu t’y attardes toujours car cela reste fantastique.

Quels sont les albums qui t’ont accompagné durant la composition de « Leviathan » ? Ceux qui t’ont influencé du moins ? 

A part perdre une journée pendant l’enregistrement à rêvasser sur le « Live at Pompeii » de Pink Floyd (1972), je n’ai pas écouté beaucoup de musiques durant cette période. Nous laissions parfois tourner France Musique quand nous nous faisions à manger le soir. En fait, je me souviens plus de lectures liées à ce moment précis : un livre d’art sur les sculptures d’Henry Moore, une anthologie de René Char, un vieux livre animalier qui traînait chez ma copine et « Le Troisième Reich » de Roberto Bolaño. Ce dernier, dans sa construction en forme de journal intime m’a rappelé ce que je ce que j’essayais de raconter sur « Mars Balnéaire ».

Justement, tu parlais de « Mars Balnéaire », ton précédent EP, sur lequel on sentait une approche franchement coldwave ou synth wave. Tu as essayé de t’en démarquer sur cet album ?

Nous avons des outils en commun mais je ne fais pas cette musique là. Sincèrement, je ne me pose pas la question de savoir comment je positionne ma musique dans un genre. Je ne m’en rends pas vraiment compte. Le genre, c’est comme une couleur que je ne vois pas. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait le choix de me démarquer de mon disque d’avant, d’y ajouter volontairement du contraste. Je vois cet album comme une suite logique. Bon, j’affectionne effectivement ce style musical et ce qui se passe de vraiment sympa durant mes échanges avec la presse, c’est que j’écoute par la suite les groupes auxquels on me rattache. Je suis sérieux, il y a pas mal de références que je connaissais mal. Là, du coup, je me suis écouté intégralement Grauzone, Telex et Daho !

C’est plutôt un bon point pour l’originalité si ton public ou les journalistes te sortent des références différentes…

Oui, on me dit souvent que ce que je fais est différent. Je préfère croire que c’est plutôt flatteur. J’aime aussi que mes amis puissent aimer des morceaux totalement différents sur l’album. Le positionnement des titres et leurs formes m’importent moins que l’histoire qui est racontée au final.

Il y a ces voix « rockab’ » sur ton single La Fête Noire. C’est encore un hommage à Suicide comme tu l’avais fait sur « Radio Rover » (Mars Balnéaire) ? J’ai cru un instant que Mustang se tapait l’incruste sur ton morceau…

Ah, Suicide, c’est génial ! La Fête Noire, c’est un morceau qui traînait pour un projet. C’est en tuant le temps pendant les répétitions que je me suis mis à chanter les paroles en yaourt. Inconsciemment les intonations rockab’ se sont imposées d’elles-mêmes.

De même, on retrouve cette approche rock électronique avec la rythmique lourde et minimaliste (qui rappelle le Girl de Suicide) de ton morceau Bleu sous marin

J’ai beaucoup écouté ce groupe, je m’en suis imprégné et cela reste logiquement en moi. Mais tu vas être déçu, j’ai fait cette rythmique tout jeunot sur Music 2000 alors que je en connaissais pas encore Alan Vega et Martin Rev. J’ai habillé le morceau des années plus tard avec ces breaks et la fin psyché pour arriver à ce résultat final. C’est vraiment un pur hasard.

Sur le morceau Leviathan qui clôt l’album, il y a une longue partie instrumentale tout en montée et dominée par des instruments à cordes. Ce passage m’évoque une fusion entre Wendy Carlos et le « Pruit Igoe » de Philip Glass sur « Koyaanisqatsi« . Comment s’est déroulé la composition de cette partie et son enregistrement ?

J’avais déjà une boucle sur cassette audio. J’ai calé mes textes puis j’ai cherché à donner une tessiture médiévale à ce morceau. Le mot Leviathan s’est imposé grâce aux illustrations de Gustave Doré dont je me suis souvenu. C’est devenu la chimère de mon album. Je cale ensuite les chœurs mais il me manquait toujours quelque chose. J’invite donc mon pote Caspar Claus (violoncelliste et fils du célèbre guitariste Pedro Sole) pour le laisser refermer l’album sur une touche classique. Après un paquet de recherches, nous avons enfin abouti sur l’idée d’un quatuor à cordes pour le final. Le violoncelle vrombit, le monstre est là et je quitte définitivement l’album.

As-tu été influencé par la musique répétitive et les compositeurs que sont La Monte Young, Terry Riley ou Philip Glass ?

Je fais une musique de boucles. Quand tu ajoutes des parties de violoncelles sur ces boucles, tu te retrouves rapidement avec ce côté musique minimaliste ou répétitive. On s’est rendu compte en l’écoutant que cela faisait Philip Glass mais pas sur le coup, nous voulions juste tenir la note le plus longtemps possible. Encore une fois, les références arrivent après coup.

Tu chantes beaucoup sur cet album. Avais-tu des chanteurs pour modèles durant l’enregistrement ? Vendredi évoque un Christophe electro. A d’autres moments, on pense à Tellier…

C’est vrai, ces dernières années les chanteurs français qui m’onT marqué étaient Sébastien Tellier, Philippe Katherine et Arthur H. Au final, mon modèle reste D’Angelo… si je pouvais être noir et avoir cette voix-là, je ferai clairement du D’Angelo. Oui, je ne m’en lasse pas !

Ton écriture est parfois romantique, parfois crue, d’autres fois, drôle et volontairement naïve. Tu as beaucoup travaillé l’écriture de tes textes ? Quelle sont tes influences littéraires ?

Ce n’est pas si travaillé que cela. Enfin, pas encore assez à mon goût ! C’est un collage, un « herbier de mots » (sic) que j’apprécie et qui font sens par rapport à mon histoire. On me parle souvent de naïveté assumée alors je dois vraiment l’être car ce n’est pas toujours calculé. En revanche, le roman de Michel Tournier, Vendredi ou les Limbes du Pacifique, fut une vraie influence  pendant l’écriture de certains titres. Le livre propose une variante sur le mythe de Robinson Crusoé et c’est de la bombe littéraire!

Avec cet album, on s’éloigne du thème SF de la vision poétique du futur qui était central sur l’EP « Mars Balnéaire ». Quelle est l’histoire que raconte Leviathan ?

Oui, c’est différent mais cela s’inscrit toujours dans le domaine du fantastique. Il s’agit de « romances de fonds marins », d’un voyage à plusieurs temps et d’une quête sentimentale jusqu’au fond des abysses. C’est l’ailleurs temporel et géographique qui m’intéresse dans la science-fiction comme dans la musique. C’est un bon moyen de poser des questions qui dépassent la réalité.

L’album rappelle un certain héritage français des 70’s, des pionniers de l’électro tels que Bernard Fèvre, Frédéric Mercier, Didier Marouani. Des musiciens que la compilation « Cosmic Machine » ont remis en lumière récemment. Tu te reconnais dans cette filiation ?

Beaucoup. Je suis très inspiré par cette frange-là de la musique électronique française. Tu vois la pochette à l’aérographe de « Temps X » de Marouani ? Bien, mon premier Ep, « Glitter Glaze », lui rend directement hommage en reprenant ses codes couleurs.

Cela me donne envie de te demander quelle est ta B.O de SF favorite ?

Le Jour où la Terre s’arrêta (The Day the Earth Stood Still) de Bernard Hermann avec ses thérémines démentiels qui ont défini le son de référence de l’ovni pour les 60 années à venir. Il y aurait celle d’Assault de Carpenter également.

C’est une bonne chose d’être français quand on fait de l’électro ou de la pop expérimentale en ce moment ? On remarque l’émergence d’une pléthore de groupes intéressants.

Chanter en Français, c’est un faux revival. Cela a toujours existé même si l’anglais a pris le dessus pendant un long moment. Je n’ai pas l’impression d’avoir un parti pris en faisant de l’électro en français. C’est naturel, ce sont les outils de notre époque dont on s’empare. Tout ce recul qu’on me demande d’avoir en tant que musicien par rapport à une scène française, je ne l’ai pas, tout simplement car je ne me suis jamais vraiment posé la question auparavant. Au final, tant mieux, si tu me dis qu’il se passe plein de bonnes choses en France.

Tu es professeur d’art à l’Atelier de Sèvres (une école préparatoire aux écoles supérieures d’art nationales et internationales) et plasticien. Quelle influence cela a sur ton travail de musicien ?

Je découvre toujours de nouveaux artistes fascinants comme Miet Warlop ou Richard Linklater qui m’apprennent ce que c’est que de savoir se renouveler dans un univers pourtant très personnel. Sinon, en tant que prof, l’avantage c’est que je continue à découvrir plein de nouveautés musicales grâce à mes élèves.

Ton projet de diplôme à l’ENSCI (école Nationale de Création Industrielle à Paris) était une Machine à musique : des boîtes où l’auditeur avait la possibilité « d’augmenter » le morceau, de le modifier (…) où l’artiste choisit en fonction de sa composition l’effet dont l’auditeur peut jouer. Tu continues à fabriquer ces « Machines à musique » ?

Il s’agissait de créer un écrin pour un seul morceau de musique – une boîte anachronique et artistique – l’inverse des smartphones qui accumulent les mp3. Je vais devoir reprendre ça un de ces quatre mais après 7 années d’études, il fallait que je me concentre sur ma propre musique. J’ai mis de côté ma pratique plastique pour l’instant.

Tu m’as dit aimer le live et l’improvisation. Tu n’as jamais connu de galères en tournée ou en concert jusqu’à présent ?

Ah si, la vache ! Nous étions au festival Bar en Trans à Rennes avec mon  pote Cédric Streuli (alias Buvette), je devais intervenir sur son set, paré de mon plus beau chapeau de Zorro. Je pose ma bière pour monter sur la scène et en me relevant, lui mets une pichenette malencontreuse. Je visualise encore la scène au ralenti quand la canette tombe sur les multiprises. Black-out total dans la salle ! Je me suis senti tout penaud avec mon chapeau à la con. Heureusement, cela a redémarré dans les 10 minutes et la salle était surchauffée pour le coup. C’est plutôt une bonne chose les black-out en fait…

Tu prépares déjà une suite à « Léviathan ». Quels sont tes prochains projets ?

En fait, j’ai déjà un autre album pratiquement prêt. Nous avons évoqué le fait de le sortir dans la foulée avec le label. Cela aurait pu être un bon moyen de se mettre en danger. Après réflexion, on a voulu laisser le temps aux gens de s’approprier ce premier disque sur le long terme. Sinon, je viens de faire la musique d’un court-métrage d’animation de Céline Devaux, Le repas Dominical. Il vient d’être sélectionné officiellement à Cannes et je lui souhaite tout le meilleur. La musique de films, c’est un grand fantasme pour moi !

Flavien Berger // Léviathan //Pan European Recording
En concert au Point Éphémère le 26 mai, au We Love Green le 31 mai, à La Route du Rock le 15 août.

https://soundcloud.com/flavienberger

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