Difficile de trouver plus décevant que le titre de ce papier. Mais c’est que la pop sophistiquée d’Alice se mérite. Alors que sort son troisième album « Imposture », plein de merveilles, tentons de passer ensemble de l’autre côté du miroir.

Alice Lewis est la Dorian Gray du moment ; elle écrit des chansons de vieilles pour rester jeune. On dit « vieilles », on veut dire belles, chic mais exigeantes ; c’est pas les Brigitte. Ca fait huit ans que ça dure; et ce sentiment se confirme sur « Imposture », premier album en Français composé avec l’aide du milord Alexandre Chatelard, et qui donne tout du long l’impression que les deux ont réussi à faire rentrer le Château de Chambord entre les sillons d’un disque de 3 millimètres d’épaisseur. Rentrons dedans.

ALBUM-Alice-Lewis-WEB

Il était une fois

Il faudrait d’abord dire à quel point le disque « Politics » de Sébastien Tellier engendra des carrières. Deux, au moins. Celle de Chassol d’abord, missionné pour les arrangements du titre Broadway, tellement beau. Puis celle d’une jeune femme nommée Alice, aux chœurs. Paraît que Madonna a commencé pareil, sur un disque de Patrick Hernandez, à Mouscron en Belgique. Hasard de l’histoire ?

Quatorze ans après ces débuts dans l’ombre, on retrouve donc Alice en 2018, affamée, dans un troquet près de Gare de l’Est, pour parler de cet « Imposture » dont le sous-titre pourrait être « ni Dieu ni maitre ». La musicienne a fait du chemin – le sien – depuis ses débuts de second rôle et son premier album, en 2010. « No One knows we’re hère » portait, de ce point de vue, bien son nom. Peu l’ont remarqué. « Ca te dérange si je mange en répondant à tes questions ? ». Il est 15H00, Alice n’a pas arrêté de courir. Interview entrecôte et moulin à poivre.

 

Pas facile de remonter le fil de cette artiste-entrepreneuse, artiste devenue entrepreneuse, surtout, parce que personne ne voulait vraiment lui donner pleinement sa chance. « Naïve, qui m’a signé pour mon premier disque, avait mis pas mal d’argent sur le disque. Sauf que pas de bol, ils ont viré la moitié du personnel quand j’y suis arrivé. Personne ne répondait à mes coups de fil. Donc pour le deuxième album, j’ai profité de cette expérience pour tout faire à ma façon, en créant mon propre label, en choisissant les gens avec qui je voulais bosser ». Merde, Alice vient de tâcher son pull avec la béarnaise, c’est ballot. Pour « Your dreams are mine » (2015), Alice signera finalement une licence chez Kwaidan, le label de Marc Collin ; mais en vain. La sauce, au sens figuré, ne prend pas. « Le problème, c’est peut être que je rentre dans aucune case ». Peut-être parce qu’il lui en manque une.

Alice est folle

Quand la parisienne autodidacte a débarqué avec ses talons et sa science propre, la France n’a pas compris. Il faut l’avoir déjà rencontré pour comprendre, mais cette Alice ne tient pas en place, parle vite, compile les idées quand vous en êtes encore à lui dire bonjour, peut vous parler des gammes asiatiques comme enchainer avec une déclaration d’amour en Anglais dans le texte à Kate Bush et à son Running up that hill, qui l’a autant marqué que le O superman de Laurie Anderson. Elle en conservera le gout du beau bazar ; et qu’elle pousse aujourd’hui un cran plus loin en chantant dans sa langue natale. On n’en fera pas des tonnes, c’est sublime de pudeur, précieux même. Si la pochette de « Imposture » évoque presque un Syd Barrett reconverti médium, c’est plutôt du côté de la Renaissance fantasmée qu’il faut chercher pour les influences avec les Dessous Chics de Jane Birkin pour une sensiblerie qu’on aurait enroulé dans de grandes nappes synthétiques.

« Le Français moi j’ai toujours associé ça à quelque chose de poussiéreux, et lié à Ferré, Piaf, quelque chose de très réaliste ». La mutation d’Alice, donc, se fera sans emphase ni vibrato, après qu’elle ait rencontré Alexandre Chatelard, plombier de la pop capable de réparer presque n’importe quel tuyau vocal, comme voilà quelques années avec Calypso Valois – les deux monteront le projet Cinéma, depuis resté dans les cartons. Le fait est que passées en V.F., les chansons d’Alice prennent une autre dimension, gagnent une épaisseur romantique, une couche de graisse sensuelle, limite. Alice trempe sa viande dans la sauce béarnaise et parle la bouche pleine. Autre surréalisme.

« Mon but, c’est d’arriver à écrire un morceau qui te reste dans la tête ».

« Impostures », c’est donc la mise en musique d’un monde oublié ; un monde où les lapins de Lewis Carroll seraient remplacés par des joueurs de clavecins ayant ingurgité toutes les émissions de Top of The Pops et dans lequel la musicienne construirait des baldaquins mélodiques à double étages. L’objectif, après avoir peut-être trop voulu imposer la culture anglaise dans un pays fasciné par Louane et les jérémiades récompensées aux Victoires de la musique, c’est d’être reconnue par ses voisins de palier. Coup de bol : « Imposture » est plein de refrains qu’on peut retenir et chanter en passant l’aspirateur. Amour asymétrique ou Cabriolet sont de ce niveau.

« Un tube peut être chanté par n’importe quel chanteur confiait récemment Quincy Jones à propos du cas Taylor Swift ; en revanche le meilleur des chanteurs ne transformera jamais une daube en tube ». Alice acquiesce. A quoi pense-t-elle, elle, le matin en se rasant ? « Mon but, c’est d’arriver à écrire un morceau qui te reste dans la tête. Sauf qu’un tube, il arrive toujours par accident ; c’est toujours le fruit d’une défaillance quelque part dans la partition, d’un truc pas prévu ».

Des Beaux-Arts au bizarre

Pas prévu non plus, sa carrière de musicienne. Tout comme Roxy Music et tant d’autres, Alice a commencé par étudié aux Beaux-Arts. Elle y passera son temps à chanter dans les couloirs de l’école. Une professeur, passant par là, prophétise alors : « toi, tu seras chanteuse ». Le premier texte que l’étudiante écrira lui sera alors inspiré par un texte de Lewis Carroll. La jubilation est si forte qu’Alice vire à bâbord, direction la musique. « Petit à petit je suis passé de la sculpture, un objet par définition fixe dans la temps, à la construction d’une durée musicale ». En dehors de l’école, Alice fréquente quelques infréquentables, la bande de Poni Hoax (Laurent Bardainne notamment), avec qui elle fraye en douce dans un club de jazz de Barbès ouvert aux non professionnels. « Le jour où j’ai vu les 30 ans du Art Ensemble of Chicago au New Morning, j’ai su que je voulais être sur scène ». Avouez que ça change des gamines qui se rêvent Lady Gaga en lisant Melty.

Hard working girl

De son adolescence en Angleterre, où elle a passé 4 ans, Alice a conservé un accent nickel et surtout la haine du lisse ; ce qui fait d’elle, encore aujourd’hui, un freak. Mêmes chantées en Français, ses comptines ne rentrent dans aucun cadre. « Ado, je voulais pas être une fille » explique-t-elle. Elle voudrait être autre chose ; plus qu’une femme désirable s’entend ; un artiste. Après deux albums plus subis que réellement dirigés, « Imposture » sonne aussi l’heure du choix : la Madonna du 7-5 a fondé son label, et cette fois, plus question de laisser d’autres têtes pensantes s’occuper de ses rêves mélodies, ni de faire les choses à moitié : « Si on m’a appris un truc dans la vie, c’est qu’il faut toujours finir ce qu’on a commencé. C’est une professeure des Beaux-Arts qui m’a enseigné ce principe : si je ne terminais pas une pièce, il était impossible d’en débuter une autre. Ca m’a servi ».

Il en résulte un disque schizophrénique, à la fois naïf et éloigné du quotidien, mais pourtant conçu par une musicienne qui sait ce qu’elle veut : « Moi je pense que les gens devraient savoir comment ça se passe : qu’ils sachent que c’est hyper dur de sortir un disque, que le streaming ne rapporte pas d’argent et que tu mets deux ou trois ans de ta vie à un truc que plus personne n’achète ». Le plus dur? Continuer après ça. Savoir se relever, sans rien perdre de ses rêves ni de ces illusions qui tracent une ligne claire entre le commun des mortels et ceux qui savent oublier le réel. Etre musicien en 2018, à quoi bon ? « Parce que j’ai envie d’écrire de la musique ; il n’y a que ça qui fasse sens. C’est pour cela que le disque s’appelle ‘’Imposture’’ : la musique, comme la littérature, est l’une de ces rares choses dans l’époque qui puisse faire sens sans avoir aucune valeur commerciale. C’est pas pour rien qu’une suite d’accords s’appelle l’harmonie ; c’est une convergence de choses qui te rend heureux. La musique, c’est magique ! »

Et c’est vrai que ça l’est. Il y a du Coryn Charby chez Alice. Et c’est comme une bombe : difficile de savoir où cette belle boule de flipper finira par tomber.

Alice Lewis // Imposture // Bellbuoy Records
https://www.facebook.com/alicelewisofficial/

17 commentaires

  1. au menu du jour du buffet de la gare de l’est ,imposture copinage et chronique de connivence et de complaisance ,Bester pris en flagrant délit par la patrouille , je m’abstiens de trop enfoncé « l’artiste » je dirais juste que sa musique est insipide et lyophilisé sa glisse sur moi et cela ne me touche pas

    1. Cher Nesta12, heureusement que vous êtes là pour garantir la neutralité des journalistes (qui ne peuvent être amis avec quiconque), vous êtes là pour ramener encore un peu de solitude et de choix tranchés, continuez comme ça, le silence n’est plus très loin.

      1. Bernard Lenoir n’a jamais beaucoup frayé avec le milieu du showbiz et de l’industrie du disque, n’a jamais cherché à être ami avec les artistes qu’il programmait. C’est ce que j’apprécie aussi chez lui. Seule la musique et les disques importent, pour le plaisir et l’émotion qu’ils lui procurent.hugo cassavetti
        JE VALIDE A 1000 POUR CENT les propos de cassavetti ,idem pour moi seul la qualité de la musique compte et du silence et de la solitude je n’en ai cure

  2. IL Y A PIRE QU’ALICE LEWIS : j’ai écouté l’album « Je suis une île »
    de Halo Maud et punaise j’ai choppé la chiasse tellement c’est mauvais.Encore une pistonnée sans talent et de surcroît signé chez Heavenly un bon label UK.Les bras m’en tombent

    1. Qu’est-ce que vous avez encore avec vos bras? Catastrophe, Alice Lewis, Halo Maud, vous avez vraiment le chic pour vous acharner sur ce qu’il y a de moins fabriqué, à dénoncer des complots inexistants tout en idéalisant une époque pas si reluisante et des gens bien paresseux.
      J’aime beaucoup vous lire car vous reprenez toutes les conneries proférées (entre deux voyages de presse) depuis 25 ans au bar de la Cigale.

      1. robi ,melody echo chambers ,Catastrophe, Alice Lewis, Halo Maud, et consorts c’est visceral ,toute des pistonné sans talent et mon devoir c’est de combattre toute cette soupe bolino.

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