Plus important que de s'inventer une vie sur Facebook, accepter d'où on vient. C'est parfois dur à avaler mais c'est comme ça, et toutes les tentatives mêmes les plus inventives pour s'inventer son propre personnage n'y changeront rien. Quand on est « né quelque part ».. Sur ces entrefaites, je m'en suis donc allé mater des films dans un festival de cinoche rochelais bien bobo-riche. Retour au bled, mon frère.

Affiche festival

Parce qu’il n’y a pas que le rock dans la vie, et parce que j’en ai un peu marre d’avoir l’impression de voir tout le temps les mêmes gueules, et à plus forte raison le même « type  de personne » dans les soirées rock et « underground » (laissez-moi rire) parisiennes, un phénomène de communautarisme social qui au final m’ennuie pas mal, (mais je vous aime bien quand même) j’ai parfois envie de me paumer complet. Chez les gitans, chez les fous, chez les pauvres, chez les gens de droite racistes, chez les riches : chez des gens différents de moi, qui ne connaissent pas The Brian Jonestown Massacre et ne jurent pas que par le garage.. Bien décidé à partir à l’aventure en dehors des sentiers battus du jeunisme branché, je m’en suis donc allé voir ailleurs ce qu’il s’y passe. Ailleurs, c’est à dire vraiment ailleurs, dans un endroit peuplé de riches, de vieux et de gens bien sapés qui trinquent en souvenir du bon vieux temps, face à la mer, avec New-York comme seul vis-à-vis et des after(eight) privés sur les tours du Vieux Port. Ça y est, vous y êtes ?

Non pas encore ? Alors il s’agit d’un endroit où Ségolène Royal s’est planté en beauté, un endroit où Fabrice Luchini aime bien passer ses vacances, un endroit où on dépense tout son fric dans des restaurants chics en se goinfrant d’huîtres et de pain-beurre. Ça y est vous y êtes ? Vous avez de la chance, vous pouvez apercevoir le coucher de soleil sans bouger votre cul du centre-ville à cette époque de l’année.. Voici donc en exclusivité pour vous fans de rock et de bière pas chère un compte-rendu en 3 films de la 45e édition du Festival International du Film de La Rochelle. Garanti sans vomi, sans selfie « rebelle attitude » et sans résumé de pogo mais avec des huîtres, des litres vin blanc et du (très) grand cinéma. Oui, les riches aussi, à leur manière, savent s’amuser.

Tarkovski – la claque existentialiste 

L’histoire se déroule à une époque indéterminée, dans un espace indéterminé et concerne une famille indéterminée. J’aurais aimé vous en dire plus mais l’art de ce film est présentement de suggérer les choses plus que de les dire. La citation d’un homme indéterminé balancée d’entrée de jeu annonce la couleur : « les mots seront toujours bien insuffisants pour exprimer la complexité de l’émotion humaine ». Cette punchline définitive citée, je devrais m’arrêter là et me garder de toute exégèse puisque mes mots ne seront de toute façon pas à la hauteur des émotions ressentis face à ce chef-d’œuvre d’art moderne, mais ça serait sans compter mon goût prononcé pour les combats perdus d’avance.

Comme les meilleures interviews dont les questions les plus fortes naissent dans l’instant et renvoient illico à la poubelle les questions préparées à l’avance, Andrei Tarkovski fait virevolter son imagination débordante durant 2 heures avec un scénario et des fiches personnages qui ne dépassent à mon avis pas 3 pages. Le Miroir ne raconte pas une histoire classique, il raconte la vraie grande Histoire. Celle de l’Humanité, celle de la vie sur Terre. L’Histoire qui nous dépasse tous, toi, moi, Pivot et les grands philosophes. La seule histoire qui résistera toujours à tous les fact checkings, et c’est tant mieux.

A la sortie de la salle, la sœur d’un pote balance sans le savoir la punchline fondamentale qui résume tout : « j’ai rien compris ! ». Parce qu’en fait, il n’y a rien à comprendre, tu es foutu si tu cherches à comprendre quoi que ce soit : au mieux tu t’endors, au pire tu quitte la salle en jurant que le réal’ est un con prétentieux parce que tu n’as pas compris à temps qu’il ne fallait pas chercher à comprendre.

A la manière de Tree Of Life quarante ans avant Malick, Andrei Tarkovski prend la vie au sérieux et nous sert sur un plateau une fable existentialiste sur l’être humain doublée d’une réflexion métaphysique sur le temps. A peine quarantenaire, le réal’ soviétique (il n’aura jamais connu la Russie) n’attend pas et part déjà à la recherche de son temps perdu, comme il le formule si bien lui-même : « le spectateur qui va au cinéma part à la recherche du temps. Des instants perdus, des instants retrouvés et des instants à venir ». Inspirés de propre généalogie, les personnages évoluent indistinctement à des époques éloignées avec en miroir un élément de proximité non négligeable : le sang. Le destin d’une famille humaine à travers un siècle, mise en abyme de l’humanité toute entière. Comme vous et moi, ils n’ont pas choisi d’être ici et se débrouillent comme ils peuvent avec cette vie qu’on leur a donné : « tout ce que je veux, c’est être heureux », résume le fils sur son lit de mort dans l’un des rares dialogues du film. Tarkovski préfère le silence et l’image à l’excès de parole souvent futile, et dans notre société actuelle de sur-information et de sur-blabla on ne saurait que trop lui rendre grâce. Quand ses personnages ouvrent la bouche, c’est qu’ils ont vraiment quelque chose à dire.

D’ellipses en collages de grands événements contemporains, de grands sauts de génération en tableaux saisissants d’une nature immortelle, il dresse la grande saga philosophique de la condition humaine, Proust et Dostoievski dans le rétroviseur. Face à la grandeur du propos, on est aussitôt emporté dans une spirale intemporelle et panthéiste qui confine à l’extase. On perd le contrôle et on plonge la tête la première dans le grand trou noir de l’infini qu’est en vérité cette vie si mystérieuse, bien aidé par une BO fantastique (Bach, Purcell, Verdi) qui accentue la puissance lyrique des images en appuyant là où ça fait mal, aux bons instants, et par des poèmes de son père Arseni Tarkovski déclamés tout au long du film, dont voici un extrait :

« J’écoute, Je ne dors pas, tu m’appelles, Marina,
Tu chantes, Marina,
Comme la trompette de l’ange chante sur la ville.
Ainsi les proscrits prenaient la poussière
Des murs de Jérusalem, quand David chantait ses psaumes.
L’ennemi a dressé ses tentes sur Sion.
Ton appel retentit à mes oreilles, ton aile
Brille derrière un nuage noir,
Feu prophétique sur l’horizon sauvage. 
»

Le poète détenteur de la vérité profonde qui s’interroge et nous interroge sur les fondements de toute chose : « pourquoi ce corps ? Pourquoi cette existence ? ». Autant de questions sans réponses que Tarkovski prend bien soin de laisser en suspend, divaguant librement au gré de son inspiration et faisant par la même divaguer le spectateur qui accepte de se laisser envahir par cette enfilade de séquences qui n’ont de lien entre elles que la beauté terrible et extatique de leur instant vécu et envolé. A peine le temps de reprendre sa respiration que c’est déjà fini. Aussi fort qu’un ecsta, la descente en moins. On ressort plein d’une énergie nouvelle, avec l’envie de vivre, plus que jamais, chaque instant. Avant qu’il ne soit trop tard.

Hitchcock – Une daube et un bijou 

Après la fable philosophique implacable, place au maître du suspense tout aussi implacable. Enfin.. La rétrospective que le festival lui consacre me permet de constater que l’auteur de Psychose et Fenêtre sur Cour a aussi trouvé le temps de pondre quelques grosses merdes. L’homme qui en savait trop, dont le seul mérite est d’être son premier film (1934) est d’une lenteur infinie, avec un scénario incroyablement mauvais et des acteurs qui ne font même pas le minimum syndical en jouant la comédie comme des élèves de 1ère année du Cours Florent. Le clap de fin sonne comme une vraie libération. Le plus drôle dans cette histoire est que Hitchcock a retourné une seconde version du même film 22 ans après, du jamais vu dans l’histoire du cinéma, ce qui laisse à penser que lui-même s’est rendu compte de la faiblesse de son premier film.

L'homme qui en savait trop affiche

Un festival où l’on apprend aussi, et c’est un peu plus flatteur pour notre ami américain, que les classiques cités plus haut ne sont pas ses uniques faits-d’arme. La Corde (Rope en VO), sorti en 1948 et même pas référencé sur Wikipédia, s’avère être un pur bijou de noirceur. Dans un décor que n’aurait pas renié l’auteur de Gatsby Le Magnifique, Francis Scott Fitzgerald, on suit l’évolution dramatique d’un dîner mondain dans ce qui semble être à tous points de vue le New-York des années folles. Un huis-clos fantastique où les théories de Friedrich Nietzsche fusionnent admirablement avec l’art du suspense d’Alfred.

Fasciné par le philosophe allemand et sa théorie sur une classification de la société entre « individus supérieurs » et « individus inférieurs », Brandon, beau garçon narcissique et séducteur fraîchement diplômé d’une grande école américaine, décide donc tout bonnement et simplement d’éliminer David, un de ses anciens camarades de prep-school qu’il juge appartenir à la « race » inférieure. Après avoir sabré le champagne avec son bouche-trou, « célébrant l’art de tuer, qui s’apparente en réalité à un art comme les autres », il convie une ribambelle d’invités triés sur le volet à ce dîner mondain qu’il orchestre comme un véritable bal funeste. Il y a la les parents du défunt, ses amis proches, sa copine, l’ex-copain de sa copine.. Oui, tant qu’à faire, autant faire les choses jusqu’au bout.

Tout le monde est là donc, sauf David, le pauvre, qui gît dans un cercueil planté en plein milieu de la pièce pendant que sa famille et sa copine se goinfrent autour de sa sépulture. Histoire de pousser le vice au maximum’, il choisit de dresser le dîner.. sur la tombe de David : « pourquoi ne pas faire de ce crime un véritable chef-d’oeuvre ? », crie Brandon les yeux atteints par la folie, à la manière d’un Jack Nicholson avant l’heure. Ce scénario noir comme une nuit d’hiver en Sibérie posé, Hitchcock s’en donne à cœur joie, maniant l’art du suspense à la perfection: à quel moment les mecs vont-ils se rendre compte que David est là, mort, sous leur nez ? ; tout en portant l’humour noir à son sommet: «si on tuait les inférieurs, il n’y aurait plus la queue au théâtre, il y aurait toujours de la place dans les restaurants chics, il n’y aurait plus de problème de pauvreté« , pouffe l’ancien professeur de ces jeunes hommes, et il faut avoue qu’on s’étouffe avec lui, tant cette noirceur de la farce tranche avec la bien-pensance de notre société actuelle. Seulement, entre l’humour et le passage à l’acte, il y a un monde tout de même, et notre professeur de littérature comparée est bien loin de se douter que l’un de ses élèves a pris toute cette rhétorique un peu trop au sérieux. L’idée de cinéma est géniale, les dialogues cinglants et la morale très forte : Nietzsche a malheureusement bien raison sur le fond (ahahaha) mais il est absolument hors de question de tuer les êtres inférieurs, au contraire, il faut les aider. Je vous laisse deviner qui est-ce qui gagne à la fin, entre la raison et la folie.

Mendoza – Accepter la mort (quand on est vieux) 

 Si Hitchcock nous rappelle qu’il n’est pas souhaitable de tuer l’un de ses congénères, malgré tout le mal qu’on peut penser de certains et même si ça nous a tous déjà effleuré l’esprit dans les moments les plus compliqués ; il est par contre tout à fait possible de choisir sa propre mort. C’est le propos du jeune auteur argentin Mendoza dans La Tierra En la Llengua, une réflexion tordante et réaliste sur la mort tout à fait en phase avec l’absurde de notre société post-moderne qui prolonge la vie quitte à finir dans des états lamentables. Ce matin, encore, je voyais mon voisin qui mettait mille ans à traverser la route pour acheter sa baguette.. Arrivé à un moment, il faut savoir dire STOP.

Personnage central du dit film, « Don Silvio » l’a très bien compris. Homme fort respecté par son entourage et craint par les autres, notre homme n’ayant ni sa langue dans sa poche ni son revolver dans son slip, Silvio est comme qui dirait un être charismatique. Un bon vivant, qui aime jurer, qui aimer baiser, qui aime boire, qui aime un peu la violence mais aussi la nature, la poésie, sorte d’incarnation sud-américaine de l’écrivain américain Jim Harrison, mort récemment d’ailleurs. Son petit-enfant moitié hippie qu’il aime à vanner parce qu’il ne sait pas faire des « trucs de vrai mec » invente une chanson en son honneur qu’il chante devant une assemblée de truands et qui résume bien comment est fait le bonhomme: « j’aime te baiser, j’aime lécher ta chatte, j’aime te pénétrer au clair de lune, j’aime me mettre des races pas possibles », en référence donc à son papy amateur de femmes, qui n’applaudit pas des deux mains mais presque: « enfin tu parles de femmes, c’est bien ». Sauf que tout ça, c’est fini, il ne peut plus, il a tellement bien vécu qu’il a le foie explosé et la prostate qui le cloue au plancher. Bien décidé à ne pas finir comme une épave, le vieux annonce qu’il veut mourir. Mais pas un suicide : « ce truc de pédales ». Non, il veut une belle mort, la mort d’un homme heureux. Le vieux poète veut que ça soit l’un des siens qui mette fin à ses jours, et il veut que son corps descende tel une pirogue le cours de son fleuve fétiche.

Ses petits-enfants ne passant pas à l’action, parce que même si c’est sa volonté c’est quand même un peu dur de tuer son grand-papy, Don Silvio finit par se tuer lui-même, à la sauvage au couteau, fidèle à lui-même. La morale de cette histoire : enfin un vieux qui a compris qu’il fallait laisser la place aux jeunes. La morale de cet article : savoir vivre, mais aussi savoir mourir. Je vous laisse en compagnie de la fantastique BO du Miroir de Tarkovski.

Festival International du Film de La Rochelle (c’était du 30 juin au 9 juillet 2017 mais maintenant c’est fini) à La Rochelle

5 commentaires

  1. Très bon article , bravo Mitt Homann, dommage que Tarkovski soit hors du temps aujourd’hui, il aurait apprécié ! J’aime beaucoup cette phrase de l’article :  » Autant de questions sans réponse que Tarkovski prend bien soin de laisser en suspend*, divaguant librement au gré de son inspiration et faisant par la même divaguer le spectateur qui accepte de se laisser envahir par cette enfilade de séquences qui n’ont de lien entre elles que la beauté terrible et extatique de leur instant vécu et envolé ». * En suspend , comme le personnage de ce film qui a inspiré le dessinateur de l’affiche du festival de cette année !

  2. Bonjour,
    Pour information, L’homme qui en savait trop est le 7ème film parlant du Sir Alfred, et son 16ème long métrage (quand on compte sa période Anglaise dans le muet). Je vous conseil Blackmail, son premier film parlant et le premier film parlant Anglais aussi, qui est très malin et qui annonce sa technique pince-sans-rire.

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