En à peine 1 an et demi, le trio Pythies a connu une ascension pour le moins fulgurante dans le paysage du rock indé français. Cette prompte sortie de l’anonymat dans un milieu aussi cloisonné que saturé d’artistes émergents esquisse-t-elle le début d’une révolution dans l’industrie musicale pour les groupes exclusivement féminins ? On a demandé aux trois musiciennes.

Après avoir quitté Romance, le précédent groupe dans lequel elle officiait comme bassiste, Lise lance Pythies en janvier 2023. Deux mois plus tard, le trio rock 100% féminin donne son premier concert. S’ensuit une aventure qui semble se dessiner sous les meilleurs auspices avec une quarantaine de dates, principalement en France mais aussi au Royaume-Uni avec The Velvet Hands. Leur ferme détermination à donner le meilleur d’elles-mêmes pour ne pas se laisser broyer par une industrie musicale dépassée par ses déficiences séduit des tourneurs et un manageur outre-Manche. Sur scène, elles revendiquent et entretiennent fièrement une dimension provocatrice qui leur permet de clamer haut et fort que leurs corps n’appartiennent qu’à elles, autant que leurs aspirations musicales. 

Le 20 juin, le groupe qui définit son style comme « witchy grunge » sort Toy, son deuxième clip. Il y est question d’une misandrie assumée qui mène les trois musiciennes – la guitariste Thérèse la Garce présente dans le clip a depuis été remplacée par Alice Adjutor suite à son départ – à humilier et torturer un garçon BCBG incarnant l’orgueil masculin. Au visionnage, la première chose qui marque est certainement le retournement caricatural du type de situations que vivent de nombreuses femmes dans les lieux festifs.
D’ordinaire ce sont majoritairement et presque exclusivement les femmes qui sont en proie à ces comportements d’une sordide perversité qui visent à les droguer avant de les enlever afin d’en abuser. Que doit-on interpréter ? Ce clip relève-t-il de la provocation, d’une vengeance ou d’une réappropriation féminine de l’imaginaire du rock pour le détourner ? Pythies nous en dit plus sur ce scénario mais aussi sur les conditions que doivent éprouver les musiciennes pour assurer leur légitimité sur les scènes actuelles.

 

Pourquoi ce clip et comment résonne-t-il avec votre titre Toy ?

Lise : La chanson est inspirée d’une histoire que j’ai vécue avec un ami. Nous étions très proches mais je me suis rendue compte qu’il colportait à tout le monde que j’avais toujours voulu coucher avec lui et qu’on était amis uniquement parce qu’il le voulait bien. Remontée par cette situation, je l’ai transposée en chanson. J’ai ensuite rencontré le réalisateur Éric Parois au bar Le Désordre (dans le 11ème arrondissement de Paris, Ndr). Je lui ai parlé de la chanson, de notre désir de la mettre en image, et cela l’a inspiré. On est parties sur un scénario avec des influences orientées vers Tarantino, notamment Reservoir Dogs, et Une Nuit en Enfer de Robert Rodríguez. Nous voulions illustrer la chanson de manière sexy et un peu provocante. À partir de là, il a écrit un super scénario. Toy raconte l’histoire de trois meufs à la piscine – nous, les membres du groupe – et d’un mec qui se la pète – qui fait ainsi référence à cet ancien pote. Dans le clip, on le kidnappe et on le torture avant qu’il ne se réveille. À la fin, on ne sait pas vraiment s’il s’agissait d’un rêve ou non. On a aussi intégré l’imaginaire du vampire et une dimension BDSM qui fait écho à notre premier clip et qui contribue à l’image du groupe.

 

Anna : On voulait une esthétique davantage cinématographique avec des grands angles, une symétrie, des travellings, etc.

Lise : Ce clip peut se concevoir comme une sorte de vengeance.

Anna : L’acteur prend pour tous les autres hommes de ce genre. On avait peu de temps pour réaliser le clip et je le trouve très réussi. Par ailleurs, il est paru le jeudi 20 juin pour des raisons astrologiques. Il s’agissait d’un solstice, un soir de pleine lune et on changeait de signe. Ce choix appuie la dimension ésotérique de notre groupe.

Lise : C’était plus pour la symbolique mais je ne voulais pas qu’on le sorte le jour de la Fête de la musique. Notre premier EP sortira le 20 septembre, date également choisie pour une raison qui relève de l’astrologie. On est contente de l’esthétique qu’on a pu apporter avec ce clip parce que ça montre un autre aspect de Pythies.

Justement, dans ce clip vous vous mettez notamment en scène en train de le droguer avant de l’enlever et de le molester. Avez-vous souhaité inverser les rôles à travers ces séquences ?

Lise : C’est clairement de la provoc mais c’est aussi une dénonciation de ce que de nombreuses femmes risquent de subir au quotidien en sortant le soir. Il y a cependant cet aspect onirique, lorsqu’il se réveille le protagoniste ne sait pas où il se trouve et s’il a vraiment vécu cet enfer. Cela fait effectivement écho à ce que subissent les femmes quand des hommes mettent des substances dans leur verre.

Vous autoproclamez votre groupe « Witchy Grunge », pourquoi witchy ?

Lise : La figure de la sorcière est hyper féministe. On met un peu le côté provoc là-dessus mais je suis à fond dans l’ésotérisme et j’avais vraiment envie que le groupe s’oriente vers ce champ. Il y a eu des groupes féminins de grunge dans les 90’s mais il y avait rarement cette dimension occulte. L’ésotérisme est revenu dans la mode et le cinéma mais beaucoup moins dans la musique. Il y a aussi le côté trio, on se considère un peu comme un coven [clan de sorcières, NDLR]. 

Anna : Et puis tu tires les cartes aussi.

Lise : Je voulais surtout être avec deux autres nanas dans le même délire et c’est le cas d’Anna et Alice.

Alice : Je pense que le symbole le plus flagrant et le plus évident des velléités d’émancipation de la femme, c’est la sorcière. La sorcière c’est la femme libre, la femme célibataire, la femme qui n’a pas peur de sa propre puissance ni de ses propres fluides corporels et qui jette des sorts avec ses règles. C’est la femme à l’aise avec son animalité, son aspect sauvage et sa sexualité et a priori, n’a pas besoin de s’attacher à un homme.

Et sur le plan musical et scénique ?

Lise : Il y a autant de nos chansons qui traitent du féminisme que de l’astrologie. Scéniquement, je trouve que cela s’intègre à notre dimension provocante : c’est assumer sa sexualité et envoûter les gens. Je trouve extrêmement théâtrale d’avoir ce côté witchy incorporé dans le groupe. 

Faire un concert avec un groupe exclusivement féminin, ça amène plus de remarques déplacées, du genre : « Vous êtes bien pour un groupe de femmes ». On ne dirait certainement pas cela à des mecs.

Vous êtes un groupe exclusivement féminin qui a dernièrement vu le départ de votre guitariste. Impensable de la remplacer par un musicien masculin ?

Lise : J’ai fondé le groupe uniquement avec des femmes et le but c’est que cela reste ainsi. Je souhaitais fonder un groupe dans lequel, déjà, je peux aider d’autres femmes sur scène à se sentir bien. Je me sens beaucoup plus portée à titre personnel quand je suis entourée de femmes sur scène. D’autant plus que là, comme on change de membre à un moment stratégique, on a de nombreuses opportunités à proposer. Je savais que rejoindre notre groupe permettrait à quelqu’un de prendre l’aventure en marche, notamment sur le plan professionnel avec l’intermittence, et j’avais vraiment envie d’accorder cela à une femme et non à un mec. Et puis, avec le côté sorcière, il fallait que ce soit une femme. Ça n’a jamais été une question, je suis intransigeante là-dessus. Je peux jouer avec des hommes dans d’autres groupes, mais pas dans Pythies.

Anna : Oui, par contre notre entourage professionnel n’est pas uniquement composé de femmes. On tente au maximum de collaborer avec des femmes mais on travaille aussi avec des hommes.

Lise : On essaye quand même de mettre en avant les femmes le plus possible mais je ne pense pas qu’il faille se confiner dans une impasse non plus quand on est un groupe qui démarre. Il ne faut pas refuser des opportunités mais trouver le juste milieu pour ne pas renier nos convictions.

Dans le rock il y a peut-être un peu plus de groupes de nanas mais quand je regarde les programmations de festivals il y a toujours moins de femmes.

Rencontrez-vous des obstacles à votre pratique musicale en lien avec ce choix ?

Lise : Oui, faire un concert avec un groupe exclusivement féminin nous amène plus de remarques déplacées que s’il y avait des hommes dedans. Ce n’est pas forcément des choses très graves mais les propos du type : « Vous êtes bien pour un groupe de femmes », on ne dirait certainement pas cela à des mecs. Malheureusement, c’est récurrent.

Anna : À un concert on m’a dit : « Je ne devrais pas te le dire comme ça mais tu tapes comme un homme à la batterie ». Ce sont des petites remarques mais est-ce qu’on dirait à un homme qu’il tape comme une femme ? Oui, mais ce serait plutôt insultant.

Lise : Aux balances on se permet de nous apostropher avec des remarques sur notre manière de jouer, de me dire comment tenir mon médiator où comment je devrais jouer de mon instrument. En plus, comme je n’ai que 23 ans, c’est encore pire parce que je suis une femme jeune donc ça suppose que je ne connais rien en la matière. On doit dix fois plus se justifier de tout en permanence alors qu’en général ce sont les techniciens qui font des erreurs et qui ne les reconnaissent qu’après coup. C’est quand même dingue ! 

Alice : J’étais dans SheWolf, un groupe exclusivement féminin, pendant près de neuf ans. C’était surtout un choix de la part de mes partenaires de groupe, je trouve que la non mixité est – entre guillemets – une mesure d’urgence. C’est-à-dire que c’est très très bien de créer des espaces que l’on appelle Safe Space où les femmes ou les personnes non-binaires peuvent se sentir à l’aise, être et vivre sans n’avoir jamais à craindre la remarque ou le regard de travers. Il faut que cela existe, c’est hyper important. Ensuite, à titre personnel, je ne trouve pas que la non mixité soit une fin en soit dans ma vie de femme. Là où j’en suis, je ne ressens pas un besoin particulier de non mixité mais au contraire de mixité consciente dans laquelle on essaye vraiment de s’équilibrer. La non mixité reste néanmoins nécessaire car, à un moment donné, c’est comme rentrer chez soi après une dure journée. Tu as besoin, en tant qu’être humain, d’un endroit où tu peux te poser, enlever tes pompes et ne rien craindre; ni prédateur ni intempérie, juste être bien.

On n’a pas beaucoup de modèles puisqu’on est en sous-représentation numéraire. Il y a moins de femmes instrumentistes que d’hommes.

En ce qui concerne les remarques, il m’est arrivé que l’ingénieur du son me dise en balance à la dernière seconde avant le concert : « Bon bah, j’dois quand même te dire que je vais avoir du mal à me concentrer sur le son là avec tes guiboles à l’air ». Donc ok… le show commence et toi tu sais que ton ingé son c’est ce gars-là et qu’il a tout pouvoir sur les Fenders s’il a envie de te faire chier. Mais c’est même plus profond et plus complexe que ça. C’est un processus inconscient depuis l’enfance. Le pire obstacle est celui que tu te mets à toi-même en tant que femme : de ne pas assez oser formuler des demandes claires et nettes, regarder autour de toi et demander à ton entourage : « j’ai besoin de ça, je voudrais solliciter tes services et je suis hyper légitime, je vais trier tes conseils, te payer et ça va s’arrêter-là ». On souhaite simplement ne pas se laisser marcher dessus et s’autoriser à poursuivre dans la voie dans laquelle on s’est lancée, même si on n’a pas beaucoup de modèles puisqu’on est en sous-représentation numéraire. Il y a moins de femmes instrumentistes que d’hommes. Il y a de multiples obstacles mais le plus pernicieux reste certainement l’autocensure.

Lise : Le gros obstacle surtout que l’on rencontre avec Pythies relève certainement de la sexualisation extrême de notre groupe. Alors oui, on est provoc et sexy mais on ne développe pas cela pour les hommes, mais pour nous. […] En tant que groupe, la sexualisation de l’image est très compliquée à gérer sur scène parce qu’on a envie d’être fières mais on se rend compte qu’il y a des mecs qui sont à la limite en train de se branler en te regardant. C’est horrible. 

(C) Apolline Grane

 

Doit-on considérer Pythies comme un groupe à dimension politique ?

Lise : Oui, déjà le féminisme relève de l’action politique. Ensuite, on s’engage. J’ai conscience que la musique n’a pas toujours un aspect obligatoirement politique mais le grunge comme le punk sont des mouvements qui en sont imprégnés, qui ont été développés dans une optique de rébellion. Nos paroles sont engagées, il y a aussi de la dénonciation, il ne s’agit pas seulement de chanter de petites chansons légères. J’ai envie de prouver aux femmes que c’est possible et de m’exprimer sur ce qui se passe sous nos yeux. En dehors du féminisme, nous sommes très engagées à gauche. Nous soutenons la Palestine et j’estime que plus nous aurons de visibilité plus on s’en servira pour véhiculer des messages. Pour le moment, on agit à notre échelle, on a encouragé les spectateurs et spectatrices à voter lors du More Women On Stage à la veille des élections européennes. Je pense qu’il faut se servir de cette fenêtre, on peut parler à un public alors il faut le faire. On ne peut plus se permettre de dire qu’on s’en fout de la politique à ce stade, surtout vu le contexte actuel.
J’en profite pour placer qu’il y a un Front des Musiques Indépendantes (FMI) en train de se former. C’est hyper important comme démarche. [Depuis que les propos ont été recueillis pour cette interview, le FMI, qui rassemble « plus de 400 acteurs du milieu des musiques indépendantes » a notamment publié une compilation pour récolter des fonds destinés à « soutenir les communautés qui sont les premières cibles de l’extrême droite »] 

Alice : J’ajouterai que l’engagement politique est même à l’intérieur de tout cela. Je tiens beaucoup à maintenir une diversité, une très grande ouverture et une énorme tolérance. La demi-tolérance n’existe pas. On a l’impression que c’est évident dans cette scène féministe, que tout le monde est ouvert, mais ce n’est même pas le cas. Il y a encore des chapelles. 

Constatez-vous une meilleure représentation des groupes féminins et des musiciennes sur les scènes indé depuis que des inégalités subsistantes ont été soulignées en ce qui concerne les programmations des salles de concert et festivals ?

Lise : Depuis 2018, la situation semble avoir un peu évolué, il y a notamment eu la création de More Women On Stage. Ce qui est bien, c’est qu’on peut dénoncer beaucoup plus facilement les inégalités et les injustices, c’est un vrai progrès. Il y a plus de femmes sur scène, oui, mais en même temps les problèmes que vivent les femmes ne se sont pas améliorés. Il y a plus de femmes sur scène mais c’est dans des milieux de niche. Dans le rock il y a peut-être un peu plus de groupes de nanas mais quand je regarde les programmations de festivals il y a toujours moins de femmes. Elles restent aussi moins présentes dans les articles et dans les livres consacrés à la musique rock.

Anna : Aujourd’hui, quand on remplit un dossier de subventions au CNM, on est obligé de noter combien il y a de femmes et d’hommes dans chaque formation, qui est le lead – est-il masculin ou féminin ?, etc. Cette démarche génère des statistiques. Pour le moment ce n’est pas rédhibitoire pour les subventions mais ça permet au programmateur de prendre conscience du pourcentage de femmes qu’il a dans sa programmation. C’est un cheminement sur le long terme qui amènera les programmateurs et programmatrices à être plus attentifs à ces critères.

Lise : L’inégalité est systémique, c’est quelque chose qui est profondément ancrée.

Alice : En sortie du conservatoire, il y avait environ 50% d’hommes et 50% de femmes dans les chiffres que j’avais consultés. C’est ensuite qu’on perd les femmes, lorsqu’elles commencent à entrer dans la vie active. On constate aussi qu’il n’y a que peu de techniciennes et que le pourcentage de femmes programmées dans les festivals reste insignifiant.

Lise : Je pense qu’en France on est un peu en retard sur ces questions. En Angleterre il y a beaucoup plus de collectifs, notamment Loud Women.

Avez-vous l’impression que les femmes ont aujourd’hui une plus grande confiance en leurs capacités musicales et craignent moins le jugement lorsqu’elles performent sur scène ?

Lise : Je pense que cela dépend des générations. Je vois très bien la différence entre ma génération, celle des années 2000, et les précédentes. Quand je parle avec d’autres femmes, j’ai l’impression qu’on est aujourd’hui beaucoup plus libres d’être nous-mêmes. On peut se sentir beaucoup plus libre avec notre corps qu’avant, en tout cas beaucoup plus facilement. Mais les hommes semblent ne pas évoluer de la même façon. S’ils continuent encore de penser comme il y a 30 ans, les avancées du côté des femmes demeureront fragiles.

On nous a toujours montré que c’était rock’n’roll de baiser des filles à la pelle sans consentement explicite ou bien de les droguer et de les manipuler en toute impunité.

Lise : On évolue dans un milieu dans lequel il y a plein de mecs horribles. C’est hyper déprimant. Si une meuf veut se lancer dans la musique, il faut qu’elle y aille avec l’idée qu’il y a potentiellement de nombreux hommes qui vont vouloir lui faire du mal. Là, je parle des musiciens parce qu’il y a quand même un gros problème de violence parmi les musiciens hommes. Cela provient de l’imaginaire autour du rock, on nous a toujours montré que c’était rock’n’roll de baiser des filles à la pelle sans consentement explicite ou bien de les droguer et de les manipuler en toute impunité. Le problème c’est qu’il y a encore des gens qui pensent que c’est ça être rock’n’roll, une dimension qui est renforcée par le cinéma. Lorsqu’une femme raconte avoir été agressée, ça met longtemps avant qu’on ne la croit. Il faut qu’il y en ait plusieurs qui parlent du même mec pour qu’on commence à réaliser la véracité de ces accusations.

Faudrait-il selon vous multiplier les soirées dédiées à des plateaux exclusivement féminins ou du moins de groupes dans lesquels les musiciennes tiennent une place majeure ?

Anna : Oui, il faut encourager et aller chercher ces groupes.

Lise : Oui, au début, mais ce serait bien qu’à termes ça devienne automatique. Je pense que c’est absolument nécessaire de passer par cette étape. Je considère que les soirées en non-mixité sont indispensables. Je trouve que quand tu débutes, grâce aux soirées dans lesquelles sont uniquement présents des groupes de femmes, tu sais que tu peux faire des concerts super cool. Surtout, on se sent plus en sécurité. Avec More Women On Stage, à Petit Bain, il n’y avait que des techniciennes qui nous entouraient et tu te sens vraiment mieux. Cela permet de créer des espaces safe dans lesquels travailler sans craindre de poser la moindre question.

Anna : C’est reposant, ça enlève une charge mentale.

Alice : Il faut cependant faire attention. Évidemment, c’est bien mais un jour j’ai fait un concert avec inscrit sur mon tee-shirt « Women on stage is not a genre » parce que je commençais aussi à être un peu saoulée. On parle ensuite de « rock de meufs » comme d’un style de musique.

Vous semblez vous revendiquer de la scène Riot Grrrl ! En quoi les formations ayant émergées de ce mouvement musical vous inspirent-elles ?

Lise : Pythies, je trouve que c’est plus grunge que Riot Grrrl ! si on parle juste de musicalité même si dans les années 1990 ces deux scènes étaient un peu confondues. Il y a eu des groupes très emblématiques et très engagés. Si on ne parle pas de la musicalité mais plus de la politique, des thématiques de nos textes et des paroles, on est quand même hyper en raccord avec cela. J’ai l’impression que ce style n’est pas revenu depuis longtemps et qu’il faut le remettre en avant puisqu’on assiste à des boucles temporelles dans la musique. Surtout qu’en France on a moins été dedans qu’aux États-Unis ou en Angleterre, on a un peu oublié les groupes de ce mouvement. Il faut prendre cet héritage et en faire quelque chose. Je m’identifie un peu à ces femmes. Les L7 ont dû se battre pour jouer sur les scènes des festivals parce qu’elles sont des femmes. Elles ont ouvert la porte pour qu’on puisse se battre aujourd’hui dans le secteur musical. Je pense que c’est à notre génération de prendre la relève.

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Anna : Ce que j’aime bien dans le mouvement Riot Grrrl ! c’est tout ce qui relève de l’empowerment. Elles ont par exemple été pionnières dans l’apprentissage de l’ingénierie du son chez les femmes au travers d’ateliers dédiés. Le slogan « girls to the front », on l’utilise aussi beaucoup avec Pythies quand on voit comme une barrière d’hommes qui prennent des photos et que toutes nos potes qui font moins d’un mètre soixante ne voient rien à la performance. On leur demande de venir au premier rang pour qu’elles puissent mieux profiter du concert.

Lise : Elles font également partie des premières femmes à monter sur scène sans être la femme d’untel, contrairement aux 70s où beaucoup d’artistes étaient la conjointe d’une vedette, d’un manageur ou autre. Elles ont également ouvert la voie au traitement de certaines thématiques qui permettent aujourd’hui de parler de l’inceste ou des questions LGBTQIA+ autrement, plus librement.

Alice : Ce qui a changé aussi c’est la sororité. À l’époque, par exemple, PJ Harvey ne voulait rien avoir affaire avec ce mouvement parce qu’elle souhaitait être considérée comme une « vraie musicienne ». Courtney Love était un peu entre les deux. Aujourd’hui, je pense que la situation a un peu changé et je ne crois pas qu’on trouve des filles qui disent qu’elles ne se sentent pas concernées.

Rid Of Me

Comment concevez-vous l’égalité femmes-hommes dans l’industrie musicale ?

Lise : Il faut avant tout que les hommes mettent leur égo de côté. Quand on parle avec des musiciens, il y en a quand même beaucoup qui ont du mal. Déjà, il y en a qui se prétendent féministes uniquement pour baiser maintenant que c’est à la mode. Ils surfent sur la relation libre et le polyamour pour faire n’importe quoi avec n’importe qui. C’est dur parce qu’il faut accepter d’être partie prenante du problème pour se déconstruire. C’est exactement comme le racisme, je suis blanche je fais partie du problème de racisme, j’ai forcément eu une attitude raciste dans ma vie. Il faut se dire qu’on fait partie d’un système pour le déconstruire mais c’est très dur. Il faut aussi parfois que les mecs sachent se mettre de côté pour mettre plus en avant les femmes. Mais tous ne sont pas prêts.

Anna : J’ai personnellement l’impression que ça va aller de mieux en mieux parce qu’on évoque beaucoup plus de sujets dont on ne parlait pas avant, à l’instar des violences et du harcèlement sexistes et sexuelles (VHSS). Maintenant, des formations ont vu le jour dans lesquelles on apprend que ce n’est pas sympa de siffler une femme dans la rue. On passe un peu du « on ne peut plus rien dire ! » à « bon ok, on l’a dit mais faudrait peut-être faire un peu plus attention désormais ».   

Lise : Pour ce qui est du privé, il y a aussi un problème avec les tourneurs des gros groupes qui ne font pas d’effort en ce sens. Je parle des grosses boîtes. Ce sont elles qui choisissent en général les premières parties des vedettes. Je pense que pour un groupe de mec, tu programmes au moins un groupe avec une femme en première partie pour un question d’équilibre. Déjà, il y a des tourneurs qui n’ont aucune femme artiste dans leur roster, notamment dans la scène punk et metal où c’est un énorme problème. C’est ridicule. Sinon, si la tête d’affiche est un groupe de nanas un peu féministe et engagé, tu programmes en première partie un groupe dans la même sensibilité. Ce n’est pas de la faute des artistes programmés mais pour le concert à Paris de L7, par exemple, c’était un groupe de mecs en première partie et je ne trouve pas cela normal. Les groupes de femmes ne sont pas du tout assez mis en avant. Je ne sais pas s’il faut l’exiger, il faudrait peut-être plus sensibiliser. Je n’ai malheureusement pas la solution mais peut-être que les gros artistes devraient en parler avec leur tourneur. Si les groupes s’entraidaient davantage, qu’on lançait des mouvements, ça marcherait peut-être. Il faut aussi savoir s’engager en tant qu’artiste et savoir dire à son tourneur ou manageur qu’on n’est pas d’accord avec leurs choix. Peut-être qu’un groupe de mecs peut aussi laisser sa place à un groupe de meufs par solidarité, de temps en temps.

Alice : C’est comme un syndicat en fait. Il faut dire que dans les conditions actuelles notamment imposées par les majors, les femmes peinent à vivre de leur travail artistique.

Lise : L’union est importante et malheureusement on n’est pas assez alliés entre groupes dans la scène rock indé parisienne. Franchement, c’est une catastrophe, il y a trop de concurrence et de jalousie. Là, c’est néanmoins ce qui se passe un peu avec le Front des Musiques Indépendantes en raison des élections législatives. Mais ce serait bien que la mobilisation ne s’effectue pas uniquement en cas de crise.

Alice : Allons au fond du sujet, il faut demander pourquoi les groupes de meufs sont moins programmés. Est-ce que vous pensez vraiment que les groupes de femmes sont globalement de moindre qualité dans leur proposition artistique, dans la qualité de leur songwriting ou de leur jeu que les hommes ?

https://pythiesband.bandcamp.com/

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