Est-ce le résultat d’un acharnement quasi névrotique du manager des Marquises à tenter de me convaincre par voies digitales du génie de ce groupe franco-américain, ou peut-être est-ce le quasi consensus des bloggeurs consanguins sur le premier album des franco-américains… à moins qu’il ne s’agisse des références – Robert Wyatt, Moondog, Shearwater – empilées sur leur comptes comme autant de copier-coller insipides… toujours est-il qu’il m’en aura fallu du temps pour les atteindre, ces Marquises.

J’aurais aussi pu écrire, pour le style, que cette abondance d’éloges sur Les Marquises m’avait un peu « perdu perdu perdu » sur le chemin qui mène à la bonne écoute ; de celles qui permettent de distinguer l’imposture des véritables anomalies. Le temps étant désormais – et plus que jamais – un luxe dont les twittos ne profitent hélas plus guère, plus de douze mois auront été nécessaires pour atteindre les récifs de ce disque isolé. Une petite surface – six titres à peine – mais avec de hauts reliefs, une île aux allures de continent où se seraient égarée une bande de musiciens fringués comme Vendredi qui, face au dénuement, auraient décidé de brûler les banjos pour lancer leurs signaux de détresse. Un disque de paumés, au sens littéral. Lost, saison 1.
A cette sémantique insulaire, on serait tenter de rajouter que « Lost Lost Lost » n’est pas à proprement parler le disque à offrir en période de fêtes, encore moins une musique festive à faire valser les culottes du voisinage ou l’un de ces attrape-nigauds auditifs capables de vous faire croire, le temps d’un braillement, qu’un meilleur monde est possible ensemble. Empathie, année zéro. Les Marquises prônent l’isolement comme seul refuge. Car l’enfer c’est les autres. Et qu’un groupe ayant choisi son nom en hommage au dernier album de Jacques Brel – vous savez, celui où le belge à dent de cheval mange son crabe en silence – ne peut, par définition, pas être autre chose qu’un groupe de pestiférés.

Rangez les cotillons, cyanure et démaquillant pour tout le monde. Si « Lost Lost Lost » n’est pas vraiment le chef d’œuvre annoncé, il faudra tout de même lui reconnaître certains effets thérapeutiques. Un disque de relaxation ? Pas vraiment. Non pas que La terra trema n’inspire pas la contemplation du marin face à l’océan, ou que This carnival of lights n’ait pas dans son ADN quelque chose du King Crimson des mauvais jours ; simplement les ambiances tissées par Jean-Sébastien Nouveau sentent davantage le naufrage que le barbotage dans le petit bassin. On pourrait ici s’amuser à tresser des parallèles avec le dernier album de Shearwater[1] (« The Golden Archipelago », 2010) pour ses ambiances et ses plages désertées, on pourrait souligner à l’eye-liner les points communs avec le prog’récit de Robert Wyatt sur « Rock Bottom » – mais franchement quel intérêt à remettre le paraplégique barbu à toutes les sauces contemporaines – et l’on pourrait pour résumer s’user le poignet en 1001 tournures que « Lost Lost Lost » n’en resterait pas moins ce disque ovale comme un ballon de volley. Oui, le même que Wilson dans Seul au monde. Encore une histoire d’île et de naufragés qui, eux, ne tournent pas en rond.

Troublant de remarquer, du reste, comme certains disques peinent à arriver à bon port. Alors que s’entassent jour après jour les bouteilles à la mer rédigées par des musiciens amateurs plus proches du candidat pour un CDI sommaire que d’une vraie révélation artistique à l’avenir ô combien précaire, l’album des Marquises gagne à être (re)découvert comme un bon vin, un trésor repêché du fin fond des abysses, loin du suivisme généralisé qui en empêche tant de trouver la sérénité loin des urgences. Ramené vers le rivage grâce à une réédition vinyle comprenant plusieurs remixes intelligents – notamment ceux de Volcano the bear et Karaocake – « Lost Lost Lost » livre enfin sa vraie trajectoire, hasardeuse et chaotique. Quelque chose d’anguleux qui ressemblerait à un bout de caillou en perpétuelle évolution, contre lequel l’auditeur viendrait se cogner au gré des marées. Quelque chose qui nous ressemblerait. Peut-être, au bout du compte, somme-nous tous des iles flottantes.

Les Marquises // Lost Lost Lost // A quick one records (Differ-ant)
Réédition vinyle avec remixes par Acetate Zero, Angil, Gareth S. Brown, Olivier Mellano, etc.

http://www.myspace.com/lesmarquises


[1]  Pas une hérésie en soi, puisque l’américain Jordan Geiger, partenaire éphémère du groupe de Jonathan Meiburg, chante sur « Lost Lost Lost ».

3 commentaires

  1. Ah ah, oui ça m’arrive aussi des fois (même a jeun), il y a des mystères techniques sur ce nouveau site, je confirme et pas que sur cette chronique.

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