Musique et politique, ça rime tellement bien que certains ont eu le courage d’écrire des hymnes parfois encore moins mémorables que le programme des candidats. Alors que la France traverse une crise sans précédent quant à son « foutur », on a replongé avec un brin de nostalgie dans ces hymnes de campagne d’une autre époque qu’on finirait presque par regretter.

Le plus funky : Jacques Chirac président – RPR 1981

Du premier album de Laurent Voulzy où il assurait les choeurs et jouait du clavier  à son propre groupe de rock The Dice en passant par des arrangements pour Renaud, Pascal Stive aurait pu cartonner. C’est ce qu’il a finalement fait malgré lui avec le tube Jacques Chirac maintenant, hymne disco-funk commandé par une agence de pub et devenu culte malgré lui. Le titre rapporterait encore une quarantaine d’euros par an au compositeur; pas vraiment ce qu’on appelle une grosse cagnotte de droite. Et comme ledit Stive n’était apparemment pas à un paradoxe près, on lui doit également l’hymne Mitterrand président, écrit la même année pour l’homme de gauche qui se présentait à la même élection présidentielle. Ou comment pratique l’art du « en même temps » 40 ans avant Macron…

Le plus fondateur : Changer la vie – PS 1977

Composé par Mikis Theodorakis et écrit par Herbert Pagani, le morceau est présenté au congrès de Nantes, dans un climat d’euphorie après un carton aux municipales. Et si une France socialiste, c’était possible ? C’est aussi l’hymne séminal de l’ère marketisée qui s’amorce. Ça ressemble encore un peu à un chant révolutionnaire ou aux Chœurs de l’armée rouge – en plus pop tout de même, les années 80 pointent le bout de leur nez ! Mais les paroles annoncent la couleur fade que la rose prendra plus tard. Elles actent le fait que la gauche doit désormais essayer de mettre les mains dans le cambouis : « Ne croyons plus aux lendemains qui chantent, changeons la vie ici et maintenant. » Fini le temps des cerises, l’Internationale et tout le tralala ! On va voir ce qu’on peut faire.

Théodorakis - Pagani - Changer La Vie | Releases | Discogs

Le plus improbable : Frexit reggae – François Asselineau 2017

Les militants de l’UPR ont-ils un peu trop forcé sur la ganja ? En 2017, personne n’écoute déjà plus de reggae en dehors de ceux qui en produisent ou de quelques rastas blancs bloqués sur la musique de leurs années lycée. Et ces deux catégories ont visiblement infiltré le parti du candidat François Asselineau, chantre du Brexit à la française : le Frexit. Sur un horrible riddim sautillant mais cool de supermarché, des militants exaltent leur propre motivation à coller des affiches et placent de manière entraînante les points essentiels de leur programme : sortir de l’Union européenne et de l’Otan. « Sortir par l’article 50, le choix d’être libre en France, sortir par l’article 50, le choix de la non-violence. » Yeah man.

Le plus insipide : Le changement c’est maintenant – François Hollande 2012

Ce morceau électro-pop aux paroles minimalistes (Le changement, c’est maintenant / Que nous avons une chance / Et qu’il faut la saisir) aurait pu tout aussi bien servir pour la vidéo promo d’un magasin de meubles à Laval. Vous savez, le genre de publicité qu’on ne voit qu’au cinéma, pour les commerçants du coin, avec des images fixes des produits et un vendeur souriant, le pouce levé ? Bon, bah voilà. On n’aurait pas vu la différence. D’ailleurs, on ne l’a pas vu non plus avec le mandat de François Hollande.

Le plus hypocrite : Avec Jean-Marie (je n’ai plus de peine) – Jean-Marie Le Pen 1997 et 2007

Interprété par la chanteuse malgache Isabella Imperatori, signée sur la Serp, le label de Jean-Marie, le morceau est d’abord utilisé pour les législatives de 1997. Puis, vu son succès auprès des militants, qui le scandent dans les meetings du parti, réutilisé pour la campagne présidentielle de 2007. Un zouk chaloupé aux sonorités noix de coco et steeldrum, qui pourrait servir d’exemple à des philosophes platoniciens pour expliquer le concept d’ironie.

Le plus vortex : Strauss-Kahn y va gagner – 2006

Quand on tape dans la parodie de parodie, on voit où ça mène. Pour la campagne des primaires internes du PS, l’entourage de DSK confie à K-Banes et Bambou la tâche de remanier la chanson de Sébastien Cauet, Zidane y va marquer, célébrant le retour du génie français en équipe de France de football pour la Coupe du monde 2006. Elle-même parodie du titre Madan de Salif Keita et de Martin Solveig. Le message, certes maladroit, est compréhensible : DSK sera le n°10 de la France qui gagne sur le terrain économique. Et tous les autres sont des tocards : « Sarko nous fait flipper, il joue les justiciers / Chichi est fatigué. » Mais Zidane sortira définitivement du jeu sur un carton rouge en finale, pour un très vilain coup de tête. Tout comme DSK, quelques années plus tard, pour un très vilain coup de…

Le plus mignon : Le Lièvre et la tortue – Raymond Barre 1988

En 1988, le soi-disant meilleur économiste de France, ancien Premier ministre de Giscard, tente sa chance face à Mitterrand. Mais surtout face à Chirac, son rival à droite pour le premier tour. Comparé à l’homme pressé de la mairie de Paris, Barre apparaît certes un peu soporifique, mais aussi rond et réconfortant. Une sorte de nounours politique qui va jouer la carte à fond, jusque dans son clip de campagne. « Rien ne sert de courir, il faut arriver à point… Il y a beaucoup de lièvres aujourd’hui, laissez-moi être la tortue… » explique-t-il en ouverture du clip, au moment où une image animée de tortue se réveille et se met en route, sur une musique à mi-chemin entre la bande-son d’un porno soft et le générique d’un dessin-animé. Défilent ensuite des photos de Barre avec des enfants… Le projet marketing est là : donner l’image du papy idéal, tranquille et solide. Mais la morale, c’est de la connerie : il finira troisième, à trois points de Jacques « Cinq-minutes-douche-comprise » Chirac.

Le plus maladroit : La Marseillaise – Bayrou 2012

Le troisième homme de l’élection de 2007 revient cinq ans plus tard, avec sous le bras ni plus ni moins qu’une nouvelle version de l’hymne national, revisité par un sympathisant du Modem. Et pourquoi pas, après tout ? Sur des notes de guitare sèche et quelques rythmes de djembé, Guito b Joseph expurge la Marseillaise de sa violence et de ses traits guerriers pour la rendre « bienveillante » dirait-on aujourd’hui : « Plus d’armes citoyens, rompez vos bataillons, marchons main dans la main, ensemble nous le pouvons. »
C’est un « plaidoyer en musique pour une France solidaire », vante l’équipe de campagne, emballée par le clip. Mais dans cette famille politique du centre-droit, on ne joue pas avec certains symboles. En moins d’une journée, la vidéo a dû être retirée du compte officiel. Et l’équipe contrainte de rectifier le tir : « Il n’y a qu’une seule “Marseillaise”. »

Papier extrait de notre numéro spécial musique et politique, toujours dispo en commande ici.

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