L’ancien leader des Silver Jews revient cette année avec un nouvel album sous le nom de Purple Mountains. Mais c’est comme s’il n’était jamais parti.

D’habitude, c’est ce qu’on reproche à tous les groupes : refaire inlassablement la même chose. Ne pas évoluer. Mais lorsqu’il s’agit de David Berman, on voit les choses différemment. Et cette phrase dans Les Inrocks résume si bien le personnage : « Pour moi, rien n’a changé, je suis toujours la même épave. »

Retour en arrière. Les Silver Jews, avec six albums aussi indispensables que moroses, ont véhiculé le sentiment que rien n’est jamais possible et que tout va mal dans ce monde. À sa tête, il y a un homme plutôt laconique qui, en très peu de mots, parvient à tout dire sans rien oublier. Il ne chante pas vraiment : c’est un poète, blasé, triste, dans son monde. Obsédé par l’écriture, il peut passer des mois sur une phrase. Mais cette obstination fait de lui l’un des meilleurs, si ce n’est LE meilleur songwriter de sa génération. La flamme laisse petit à petit place à la flemme, ce qui n’empêche pas aux albums de briller sans éblouir totalement. À peu de choses près, ses disques se ressemblent presque tous. Un rock inhibiteur et doux qui caresse l’oreille sans la froisser et des paroles parfois sans queue ni tête qui font à la fois rire et pleurer. Même si « American Water » sort du lot, tous les albums méritent leur place sur une étagère. David met fin à l’aventure en 2009 après « Lookout Mountain, Lookout Sea ». Il l’avait expliqué : « J’avais dit que nous arrêterions avant d’être mauvais et puis le rock à 42 ans, c’est dur de faire le tri entre le bon côté et le ridicule de la situation ». Une formule résumait tout : « Si je continue, je risque d’écrire sans m’en rendre compte la réponse à ‘‘Shiny Happy People’’ de R.E.M. » Que répondre à ça ?

De l’ombre à la lumière

Dix ans sans rien dire, ou presque. Coupé du monde, David va mal : tentative de suicide en 2003, addiction au crack et surtout, une relation difficile avec son père, un méchant lobbyiste qui défend les intérêts des géants du tabac et des marques de soda surnommé « Doctor Evil ». D’ailleurs, pour faire la nique à son paternel, il y a sur l’album un très bel hommage à sa mère (I Love Bein My Mother’s Son). Bref, en 2019, au lieu de se morfondre, il se lance dans un nouveau projet : ça s’appelle Purple Mountains, presque comme son blog où l’Américain poste ses idées, ses pensées, ses musiciens préférés et des photos. Oui, il blogue, comme en 2005, et ça en dit là aussi long sur le personnage. Il se met aussi à trainer avec Dan Auerbach des Black Keys et ensemble, ils écrivent quelques démos qui n’aboutiront pas (il est quand même crédité sur la chanson Maybe I’m the Only One for Me).

David finit par envoyer un email à Jeremy Earl du groupe Woods. Tout le monde se retrouve à Chicago et après trois jours de répétitions, ils enregistrent un disque en quatre jours. Une semaine de boulot en gros. Mais Berman bossait depuis plusieurs années sur ces chansons, et comme à son habitude, il avait des pages entières de paroles alternatives. Comme sur la majorité de ses disques, il débute la première chanson par une phrase dont il a le secret.

« I don’t really wanna die, I only wanna die in your eye » sur How To Rent A Room, « In 1984 I was hospitalized for approaching perfection » sur Random Rules, et là, sur ce disque, avec cette déclaration : « Well I don’t Like talking to myself ». Sur cette chanson, il poursuit : « You see the life I live is sickening / I spent a decade playing chicken with oblivion / Day to day I’m neck and neck with giving in / I’m the same old wreck I’ve always been. »

Ce ne sont plus des personnages auxquels il fait référence, mais bien à lui. À sa vie, plutôt misérable, à part si se couper du monde pour lire des bouquins et éviter les interactions humaines est votre dada. À cause de son attitude, il finira par divorcer après 20 ans de mariage (She’s Making Friends, I’m Turning Stranger). Depuis, il reste la plupart du temps dans son petit appartement à Chicago, au point de tourner la vidéo de son retour dedans.

Rien qu’en lisant les titres des chansons, on sait qu’il va nous faire le grand huit. La totale. All My Happiness is Gone, Margaritas At The Mall, Darkness and Cold ou encore Maybe I’m The Only One for Me. On aurait tous préférés que David nous fasse un disque en allant bien, marié, heureux, bien dans sa peau. Mais c’est ici tout le contraire. Il se bat (c’est une façon de parler) contre une dépression qui dure et semble voué à vivre une vie d’artiste où ses failles sont aussi ses forces. Pour les gérer, il s’en inspire pour écrire. Et même s’il l’a toujours fait, il les exprime plus frontalement, sans filtre.

La recette n’a absolument pas changé. Et c’est à la fois réconfortant et déprimant. On se doute que son retour n’a pas été motivé par l’idée de plaisir aux fans, mais bien parce que c’était la seule chose qui lui restait à faire. Ce disque, c’est comme retrouver son meilleur ami après 10 années sans se voir : rien n’a changé, malgré le temps, la distance et l’éloignement. Une complicité qui ne disparaîtra sûrement jamais. Et c’est très bien comme ça.

« Purple Mountains » // Drag City

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