La blonde est parisienne, la brune est mulhousienne. La première fait de la disco tandis que la seconde évoque une variété alternative. Corine de « Corine » et Audrey de « Mouse DTC » sont toutes les deux prêtes à bouffer de l’interview pour qu’enfin se fissure le plafond de verre. Mais est-ce suffisant pour réussir dans la musique quand on est une femme ? En 2500 mots, approximativement.

Au début, on imagine toujours que l’on vit un peu dans ce monde ancien où le droit de cuissage est forcément posé en option, au cas où. Après tout, Denis Baupin a-t-il été condamné ? Pas du tout. Et si l’Assemblée Nationale du super gouvernement Philippe est également représentée par des femmes, c’est justement parce que celle-ci ne sert plus à rien tant elle est composée d’amateurs et de néophytes incapables de débattre. Grisaille du droit de cuissage… Et d’ailleurs, pour ceux qui recherchent l’étincelle musicale, il faut vraiment se lever tôt pour tomber sur une Pamela Popo façon Gainsbourg ou un genre de fille qui se lance alors qu’elle est, non pas « encore », mais « toujours » vierge (ça m’est arrivé une fois : en interview avec Flo Morrissey dans le hall de la Gaîté Lyrique, j’ai cru qu’elle allait me demander en mariage). Du coup, les entreprises de buzz autour du féminin qui dépote, renifle toujours un peu la fake news ; mélange de communication d’entreprise et de féminisme façon diplodocus. Comme la blogueuse « Marlène » Schiappa, devenue secrétaire d’État qui la joue immédiatement Destiny’s Child ; toutes les chéries pigistes, autoentrepreneuses, intermittentes du spectacle ou en profession libérale, on va vous filer du vrai congé maternité, bien rémunéré, aligné sur le régime le plus avantageux. Ce n’est pas la citation exacte mais c’est exactement l’esprit ; imaginez que l’on puisse être à la fois Noomi Rapace et Eva Joly ; Cyril Hanouna et Edouard Louis. Et que l’on puisse se taper une soirée au Bowling et une autre, à la Biennale de Venise. En Occident, on appelle ça la liberté.

Et si la condition féminine, c’était d’abord une condition physique ?

Si vous avez commencé à coucher après la présidence de Jacques Chirac, vous savez que le territoire sexuel lui-même est de toute façon déjà occupé par la fille en jambière, l’autre costume de la super-assistante de l’éternel masculin ; par voie de conséquence, la crédibilité d’une chanteuse passe évidemment par sa manière de régler la question du sexe, One way or another. Vous avez la blonde un peu décatie en gros plan sur la pochette du disque country (Skeeter Davis, « love takes a lot of time », 1971), vous avez la française Barbara, vue de profil qui semble atteindre l’orgasme en direct live (numéro 2, 1965) et vous avez évidemment Wonder Woman (1975).

De sa caravane post-punk en français dans le texte, Mouse DTC n’entre pas trop dans ses catégories un peu désuètes, ni dans dans celle de ces dessous chic comme dirait l’autre, dont il n’est à vrai dire pas trop question dans le show avenant plutôt noir leggin’, tout de street et de strech en solde, qu’offre le trio mulhousien. Audrey, alias Hermance Vasodila, est donc au micro. Elle se jette sans chichi dans le brasier érotomane de son premier et unique album, revisitant le fantasme de la femme en rut, « chienne humaine, chienne urbaine » comme elle le scande façon Edith Nylon dans une variétoche parfumée aux Béru. Du rock 80’s résumé à sa grâce rythmique – chapitre New Wave – qui fait onduler les chaînes à vélo et l’humour de comptoir, réveillé trente ans plus tard dans un bras de fer féministe s’employant à faire péter les codes dans le « juste maintenant » au cas où tu imaginerais que la fille n’a pas de désir ou, pire, qu’elle t’attendait toi pour le révéler. Non, « les émois de la trentenaire en milieu urbain » comme elle le raconte, tourne vite à la démonstration de force, avec « mon corps » ou ce « chat minou » façon Marc Dorcel et ses arrières plans sodomie. Sur disque, l’électro finit par cannibaliser le son rock, étouffant la guitare sous le fantasme du tube radio. Mais live, c’est tout autre chose. Audrey qui retient et se tient au premier terme du « Sex, drugs and rock’n roll » avec deux frangins derrière qui envoient la purée. Un toréro à cheval sur les ponts à la guitare solo et un vieil aristo tout en minimalisme raffiné à la batterie. J’te fais pas la bise/j’ai la tête dans le cul…

Avec Corine, la méthode est pratiquement la même, toujours cet emballage « électro-roi du monde » tandis que live, la folie se fait cette fois discoïde. Elle est menée tambour battant par quelques pros qui écrasent un peu la chanteuse encore novice (Tanel Dérard, Sophie Festac… Bon, ce n’est pas General Electriks non plus). D’où l’équation façon sociologue de Konbini : la provinciale fait du rock et déchire sur scène tandis que la Parisienne chante de la disco et buzze sur les réseaux sociaux, pitchant au vif le ventre mou du journaliste pigiste. Corine ? un mélange détonant de Bonnie Tyler et de Michel Polnareff, un petit quelque chose de Sabine Paturel… Et pour les plus anciens : si Gérard Lenorman avait été comme il le dit dans sa chanson Président, il aurait pu nommer Brigitte Bardot au secrétariat situ féministe ; et Corine aurait été sa réincarnation, moitié Cicciolina, moitié Annie Cordy. D’ailleurs, cet article a failli s’appeler « Amicalement vôtre » en référence à la chanson de Lio qui visiblement influence nos deux grandes filles (« touche pas mon anatomie à mille appâts »). Mais je pensais aussi à la série télé du même nom, Roger Moore et Tony Curtis incarnant chacun deux modèles de winners, l’Anglais dandy bien né et l’Amerloque doué pour les affaires (champagne et belles pépées, 1971/1972). Mais, au fond, si l’on passe sur la différence sociale et géographique, les deux chanteuses louvoient dans le même monde global, celui du faux-semblant d’égalité et de la ratonnade de cul (Le chiffre qui tue ? Toutes les heures en France, trois femmes sont agressées sexuellement). Est-ce qu’on exagère ? Peut-être… D’ailleurs si tu n’es ni black ni sans papier, tu vas sans doute t’en sortir hein, même si tu n’oublies jamais quand tu sors justement, qu’il vaut mieux éviter de porter des talons parce que, comme le dit Audrey, « ça se trouve, tu vas devoir courir ».

Et puis, on reste « po-si-tif » ; on va prendre tout ça à la rigolade (en restant « intelligent » comme on dit chez Mouse DTC). Corine va se lancer dans le style Happy – Music is the answer – en prenant tout de même soin d’appeler son premier album « Filles de ta région » en biggup aux 3615 Chalon-sur-Saône et autres publicités de chaînes du câble et ces regards figés de filles d’assistante maternelle et de prothésiste dentaire ; des voix sourdes et réverbérées qui garantissent des meufs « en réel » et, forcément, des rendez-vous immédiats. Après quoi, le spectacle consiste à jouer à la conne, à t’embrouiller avec des questions que tu ne te poses pas du tout tant ce que tu attends d’elle n’est pas de savoir si elle aime le ceviche ou la crème solaire mais si elle pense comme toi… Quoi ? Tu dis quoi… ? Le gimmick performatif est de « jouer à la blonde » de boîte de nuit pour te faire croire que l’idiot, ce n’est pas toi… Mais, alors c’est qui ? Et là, boum, traduction : « Elle surfe parfaitement entre premier et second degré », comme lécrit doctement l’Obs comme si on était invité à une remise de diplôme.

Elle joue à la conne parce que sinon, tu comprendrais trop bien la blague, tu verrais l’emmerdeuse en puissance ; raison pour laquelle tout est réglé à la seconde près pour que le cauchemar ne dure qu’une fraction de seconde… La blonde est maligne, elle sait faire entrer les gens dans son délire… Marc Collin et son label Kwaidan, le petit Cheiron à la french sauce et la fille canon qui cherche l’équilibre du sex appeal et du bac +5 (idéalement les nanas des films de Jean Eustache, commissaires d’expo habillées en pute vintage), comme si la condition féminine c’était d’abord une condition physique. Et si Audrey est plutôt du genre grande gueule, Corine, assez vite, t’explique qu’elle pratique les arts martiaux depuis un bout de temps et que ça calme. « T’apprends à encaisser et à te défendre, t’appréhendes mieux les petites agressivités. Mon corps est aligné, tu vois, c’est énergétique… Parce que les relations entre les hommes et les femmes, forcément, c’est violent mais si tu te positionnes bien… »

Dans Pluie fine, calée sur un flow qui semble tenir tout seul, elle raconte qu’elle est suivie à la sortie d’une boîte ou alors qu’elle se laisse suivre, ou peut-être même que c’est elle qui attend le mec. La scène se déroule sans doute à Châteauroux… Au-delà de son clin d’œil appuyé aux années 1980 (le looser Bertrand Blier, la pin up Agathe Labernia), l’embrouille tient dans le fantasme du mec, qui considère que la fille ben, elle « veut » ou elle ne « veut pas » » (ken) alors qu’au fond (attention), ce qu’elle veut n’a rien à voir avec le désir du mec. Ce qu’elle veut, enfin ce qu’elle en sait – elle serait peut-être bien en peine de le raconter – ce qu’elle veut, comme disait Naomie Diaz la jumelle hyper hype du duo Ibeyi qui fraye à la cool dans les clips de Beyoncé, c’est ce qu’elle « ne veut pas ». Pas hyper clair du coup (hein ? Tu dis quoi ?) et, en fait, presque illisible tant qu’on n’a pas vu de nos yeux vus. Tant qu’il n’y a pas une association genre afroféministe qui crée des espaces de discussions non mixtes dans un colloque parisien, on ne comprend pas (festival Nyansapo). Tant qu’il n’y a pas un juge du Tribunal de Nanterre qui explique que, d’accord, le monsieur a tapé la doudou, mais c’est peut-être parce que son épouse s’est refusée au devoir conjugal, on ne comprend pas. Tant que NKM ne se fait pas bouffer ses tracts de campagne sur un marché du 5ème arrondissement, etc, etc. Comme ma voisine de parking à scooter qui flirte au garage mais fait semblant de ne pas me connaître lorsqu’elle fait ses courses à l’air libre (il faut dire que sans casque avec mon tee-shirt usé des Royal Tenenbaums, je ne suis pas vraiment reconnaissable).

Ok, alors, l’astuce féminine par excellence, celle qui permet de ne pas passer pour une victime, ce serait soit de répondre par une négation soit pas une interrogation au regard du gros lourd qui te fixe en silence. Un truc de la rue qui pourrait même marcher à la télé. Un truc un peu politique ? Mais l’autre question, puisqu’on en est là, c’est de savoir quel effet ça peut bien faire de travailler avec une femme puissante et libérée, genre Beyoncé ? Je sais bien que ça n’intéresse pas du tout les lecteurs mais moi si, parce qu’en fait, j’ai toujours été fasciné par les stars et les femmes black qui font un peu peur. Donc, je pose la question. Et la réponse est toute simple. Plus on est proche, plus on réalise que la nana est très « gentille » avec tout le monde et qu’elle bosse comme une malade. C’est marrant parce que c’est précisément ce que racontent les cadors de l’entreprise lorsqu’ils s’avisent de donner des conseils à tous ceux et celles qui rêvent de créer leur starup : de la serviabilité et du travail (et puis aussi, un énorme ego). Alors, du coup, si l’on suit bien le tuto féministe (aie confiance en toi, oui, toi aussi tu peux y arriver ! Le morceau de bravoure du dernier disque de Ibeyi avec un sample de Michelle Obama dedans), on peut imaginer que les choses finissent par s’arranger (regardez Camille, regardez Christine and the Queen, regardez Ariana Grande !). Alors, est-ce qu’on ne pourrait pas dire que ça va mieux lorsqu’on voit Corinne s’éclater avec Juliette Binoche et Camille Cottin en direct des Recettes pompette de monsieur Poulpe avant de se faire remixer sa Pluie Fine par Polo & Pan ? Ou, encore, lorsqu’on scrute les crédits textes du disque de Mouse (Christophe Miossec, Fred Poulet, Olivier Vallois bientôt, celui qui signe À ta merci, pour Fishbach). Quand même… On a beau perdre la ministre des Armées (Sylvie Goulard, née en 1964), il y en a une autre qui débarque derrière (Florence Parly, née en 1963). Donc, ça s’arrange ? Ben non, en fait. Ça ne s’arrange pas et, « loin de là » comme dirait Piper Chapman (1984-) dans Orange is the new black (S4-E8).

Le show de Mouse est pourtant superbe avec une Audrey au poil qui porte pour l’occasion des seins en plastique lumineux qu’elle a placés sur sa poitrine, pour la reprise fiévreuse de Homosexualis discothecus (Jean Yanne). Il y a bien sûr le gracieux Arnaud Dieterlen, éminence grise et monsieur Mouse à la ville, le gars qui a longtemps accompagné Bashung, puis Burger et que l’on retrouve même crédité sur « Fleurs de métal » de Jad Wio, en 1992. On est en bonne compagnie.

Ce qui est difficile, c’est de s’affirmer en tant que femme de 35 ans.

Sauf que pour l’essentiel, la bande de pros invitée ce soir-là a oublié de venir. « Pas assez trash pour ne pas passer à la radio et trop trash pour y entrer », finira par déglutir un expert. En clair, ça veut dire France Culture plutôt que France Inter et, au final, ça ne va pas donner grand-chose, c’est sûr. Donc l’ambiance est gentiment galère et les projets avancent à la vitesse d’un escargot sous trichloréthylène. Et c’est pas mieux du côté de Corine où il faut se contorsionner pour être autre chose que la pin up de la semaine de Grazia. Quand je la croise enfin, la Corine (j’ai dû lutter), elle est installée dans un fauteuil à écouter du Fleetwoot Mac (période blues avec Peter Green) sur une chouette terrasse du 18ème d’où l’on domine tout Paris. Elle porte un bleu de travail qui pourrait être une tenue de pompiste façon Village people et des lunettes de soleil coupées horizontal sur le côté inférieur. Comme on dit, elle dégage. Et, à force de chercher à l’apprivoiser, en vieux candidat au droit de cuissage, j’arrive à lui faire raconter une histoire d’enfance. Ça se passe en classe maternelle. La petite est avec quelques autres et attend la dame aux lacets qui va « faire » ses souliers. Il y en a une, cheveux frisés, très courts, très manucurée, avec toujours un peu de rouge à lèvres sur les dents. C’est Corinne, la vraie, celle qui est née au moment du pic de popularité du prénom, au début des années 1960. Celle devant qui on finit par chuchoter, t’as du rouge à lèvres sur les dents, même si rien n’y fait.

Durant toute l’interview, elle n’a pas quitté ses lunettes. Audrey, elle, ne parlera pas de son enfance mais de ce qui est difficile : de s’affirmer en tant que chanteuse, par exemple, en tant que femme de 35 ans sans réserve ovarienne, en tant que nana qui pose un questionnement intime derrière la rime sexuelle… Et même si c’est super de travailler avec son mec, « il y a des trucs que l’on n’ose pas écrire ». Tout est en creux et pour approfondir il faudrait qu’elle fasse un peu plus confiance. On est à Mulhouse… Comme elle dit aussi, « j’accompagne la promo en essayant de pas trop faire la pute ». Arnaud, lui, ne dit pas grand-chose ou alors « oui », « euh », « je crois pas »… Mais ça va… Anecdote péchée en douce : en tournée au Panama, Dieterlen se révèle complètement remonté, politiquement. Il refuse de quitter sa chambre d’hôtel et de faire du tourisme (si ce n’est pas pour voir le canal, c’est à forte consonance sexuelle). Lorsque les autres reviennent et lui demandent si tout va bien, s’il ne s’est pas trop ennuyé, il répond : « J’ai appelé Mulhouse, il fait 16 degrés. J’ai réglé la clim sur 16 ». Comme il finit par dire en interview, il préfère fouiller dans les vieux carnets intimes de sa copine et dénicher une phrase qui va tout déclencher parce que « c’est comme ça qu’on travaille… rester en surface, ne pas chercher forcément la profondeur ». Comme si vraiment, c’était les petits détails qui faisaient la différence.

https://www.youtube.com/watch?v=9DFG8MGKhec

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