Avec son nouvel album, « Leather Terror », Carpenter Brut crée une excellente combinaison entre synthwave et metal. Le tout en cadrant sa musique dans un faux film, à coup de gros synthés énervés et d’influences à la NIN et The Chemical Brothers. 

L’album est la bande-originale d’un film d’horreur qui n’existe pas, avec un scénario de série B rétro comme on aime. Bret Halford, le perso principal, est une rockstar un peu cinglée qui, plus jeune, avait la fâcheuse habitude de se faire tabasser par les footballeurs américains de son lycée. Après s’être fait rembarrer par son crush, Kendra la cheerleader, ce loser pas hyper musclé s’est défiguré en tentant de bricoler une potion censée le rendre irrésistible, avant de se tourner vers la musique. Une origin story racontée dans « Leather Teeth », le premier album de Carpenter Brut sorti en 2018 (l’histoire doit s’étaler sur une trilogie).

De retour dans « Leather Terror », Bret est entre temps devenu un serial killer diabolique, toujours traumatisé par son harcèlement et aujourd’hui addict à tout un tas de produits. L’occasion de ressortir des enfers avec son pantalon en cuir et son manteau clouté, pour découper du quarterback. Une ambiance sombre parfaitement racontée sur 12 titres, avec une intro épique de gros blockbuster, des morceaux blindés de riffs de synthétiseur bien lourds, et des transitions soignées en guise de rares respirations. Le tout en alternant entre bangers électro qui donnent envie de secouer bêtement la tête (Day Stalker et Night Prowler), tubes pop agressifs (The Widow Maker) et même un son à la Madonna (Lipstick Masquerade).

Carpenter Brut "The Widow Maker" un nouvel extrait de l'album "Leather  Terror"

L’album est plus dark et surtout plus abouti que « Leather Teeth » qui, condensé en une demi-heure, reposait sur un esprit glam-metal plus coloré, propre et gentil. Avec L »eather Terror », Carpenter Brut ne fait pas marche arrière pour autant. Compilés en 2015 avec Trilogy, ses premiers EP – dont l’ambiance était certes déjà bien dark – sonnaient beaucoup plus proches de Justice et des BO de John Carpenter. Même si certaines influences restent, le producteur français continue d’évoluer, au lieu de se contenter de se reposer sur les mêmes références.

 

Quand une suite sort au ciné, ça donne parfois d’excellents films du genre Alien, mais ça donne aussi souvent des navets sans intérêt. Comment faire pour éviter de tomber dans l’auto-parodie et le fan service ?

Je savais que je n’avais pas envie de refaire la même chose, en partant sur des morceaux beaucoup plus massifs et directs. J’ai simplifié le propos, pas du tout dans un but mercantile mais pour rendre le truc plus facilement discernable par n’importe qui, avec un truc hybride entre la synthwave et le metal. Et j’ai eu le temps de prendre du recul sur ce que j’avais fait avant, pour éviter de retomber dans des clichés. Donc je suis allé taper dans d’autres styles musicaux qui m’intéressaient, en essayant aussi de suivre la temporalité de l’histoire. Le premier album commence en 1987, celui-là tombe vers 90-91. Le but du jeu n’est pas de coller exactement aux courants musicaux de l’époque, mais de s’en inspirer.
L’évolution du son suit surtout celle de l’histoire. Le personnage que j’avais introduit avec « Leather Teeth », Bret Halford, entre dans un acte de vengeance. Donc il fallait que le nouvel album soit plus violent. C’est un peu comme Star Wars. Dans le tout premier film, l’autre est encore à moitié Jedi, un peu paumé. Dans L’Empire contre-attaque, c’est beaucoup plus dark. C’est pareil pour mon album, il y a plus d’action. Fatalement, les morceaux sont plus rentre-dedans.

« Dans les années 70, Queen écrivait « no synths! » sur leurs premiers vinyles. C’était une époque où utiliser des synthétiseurs était un peu la honte dans le rock. »

Est-ce que tu t’es inspiré de musiques de film, ou pas plus que ça ?

Je me suis inspiré de scènes et d’ambiances sonores. Mais pour la musique, comme je voulais un format pop, je me suis surtout inspiré de groupes en tapant dans mes références, genre Nine Inch Nails ou les Chemical Brothers. Les morceaux Day Stalker et Night Prowler, c’est vraiment l’idée que je me fais de l’électro : un beat, une boucle, puis ça monte de plus en plus. Après si c’est bien fait, je n’en sais rien. Les puristes diront peut-être que c’est de la merde. Mais c’est ma version de l’électro, je ne demande pas aux gens d’apprécier.
Certains compositeurs ont le talent d’emmener les gens avec que dalle. Personnellement, j’ai l’impression qu’il me faut 50 couches de sons, sinon c’est nul. C’est le problème des gens qui ne sont pas sûrs de leurs compos. Il n’y en a jamais assez. J’en ai discuté avec Jean-Michel Jarre qui me disait la même chose, il fonctionne par couches. Il y a aussi ce truc dans le krautrock. Les pistes s’accumulent, j’adore ça. Les mecs ramènent toujours un nouvel élément pour relancer l’écoute, et même si tu es dans le même morceau depuis 10 minutes, tu ne t’ennuies jamais.

D’ailleurs comment as-tu bossé sur la composition ? « Leather Terror » a vraiment un son riche et dense, pourtant tu n’as utilisé aucune guitare.

J’ai tout fait dans l’ordi avec des plugs, je n’ai même pas utilisé de synthé analogique ce coup-ci. Par flemme. En fait, j’ai déménagé le studio après une inondation, et je n’ai toujours pas rebranché mes synthés au bout de deux ans. Quand tu as une idée et que tu as envie de composer, ça saoule de passer cinq heures à faire des branchements. Pour les guitares, je voulais faire un petit « rappel historique » : dans les années 70, Queen écrivait « no synths! » sur leurs premiers vinyles. C’était une époque où utiliser des synthétiseurs était un peu la honte dans le rock. Donc j’ai mis « il n’y a pas de guitare » sur mon album. Et puis je n’avais pas l’intention d’avoir de solo, et j’avais envie de me débrouiller seul. Ça m’a évité d’envoyer des trucs à mon guitariste live, qui avait sûrement quelque chose d’autre à branler.
Tu peux trouver des sons dans l’électro qui sont plus costauds qu’une guitare. Même David Guetta envoie parfois du gros truc bien lourd. Je me suis regardé deux-trois de ses lives pour voir, vu que tout le monde se fout de sa gueule. Je trouve que ce qu’il fait est quand même efficace, après je ne connais pas sa discographie. Bref, tout ça pour dire que comme j’ai bossé comme ingé son, j’ai repris le concept qu’on utilisait quand on enregistrait les guitares pour des groupes de metal. On mettait plusieurs têtes d’ampli, on mélangeait les grains etc. J’ai fait pareil avec des synthés. Sur certains morceaux, tu as 10 synthés qui jouent en même temps pour faire le riff. D’où ce son hyper vibrant. Tu aurais mis une guitare à côté, ça aurait été tout quéquette.

Quand on pense à Carpenter Brut, on a l’image d’un type qui produit tout seul avec ses synthés. Sur l’album, la moitié des morceaux comportent des featurings, beaucoup plus que par le passé. Pourquoi ce choix ?

Je voulais atteindre un équilibre un peu plus cool, en évitant d’avoir 10 morceaux instrumentaux et deux avec du chant. Et surtout, je voulais éviter de repartir sur mes mélodies un peu concons. J’aimais bien ça il y a cinq ans, mais là ça risquait d’enlever le côté massif et sombre de l’album, donc j’ai limité au max. J’ai composé pendant la période Covid/confinements. Quand tu discutais avec des artistes sur Instagram, tout le monde se faisait chier. Donc tout s’est passé comme ça, facilement, tout le monde était dispo. Pour Greg Puciato de The Dillinger Escape Plan, je suis passé par le batteur de Converge que je connaissais, et tout le feat s’est fait par SMS.
Au total, j’ai du mettre un an et demi à finir l’album. Covid ou pas, je mettrais autant de temps la prochaine fois. Je pense qu’il faut ça. Le problème de « Leather Teeth », c’est qu’il a fallu faire vite, en quatre à six mois. On avait booké l’Olympia. Donc l’album est plus comme il est il est, avec moins de morceaux. Cette fois-ci, je voulais prendre le temps de bosser.

Pour les visuels de « Leather Terror », tu as continué ta collaboration avec le duo Førtifem. Comment avez-vous réfléchi à l’aspect graphique de l’album ?

Déjà, on ne fait pas forcément gaffe, mais la pochette est la suite visuelle de « Leather Teeth », où l’on voyait la tête du personnage. Là, c’est le torse. L’idée sera ensuite de compléter avec le reste de son corps pour obtenir son portrait quasi-entier, en alignant les trois albums. C’est nos petits délires, on voulait une trilogie visuelle. Sur la pochette intérieure, il y a moins d’easter eggs que pour « Leather Teeth » : ça se justifiait moins vu que c’est censé être sa piaule d’hôtel. Un peu comme si tu étais en résidence dans la même salle pendant deux mois, comme Céline Dion à Las Vegas. C’est notre chambre de rockeur, déglinguée par ses excès de colère dus à la drogue.
Ils ont quand même réussi à caler des petites blagues à déchiffrer, des jumelles de pervers par exemple. Mais c’est à l’image de l’album : beaucoup plus simple, droit au but. J’aime utiliser les visuels pour me poser un cadre. Sinon j’aime plein de styles, donc j’aurais vite fait n’importe quoi. Même si j’avais quasi fini l’album quand ils ont dessiné, j’avais déjà la pochette en tête : une main qui tient un couteau. Du coup, musicalement, je n’allais pas faire la fête à dudule. Il fallait que ça reste sauvage, tout a été un peu réfléchi et scénarisé. Après les morceaux auraient pu être nuls, c’est peut-être le cas d’ailleurs… Mais je savais où aller.

« Je voulais faire un clin d’œil àIdiocracy, en imaginant ce que les gens sont devenus avec les réseaux sociaux et compagnie. Est-ce qu’ils sont complètement teubés ou bien hyper intelligents avec des cités écolos ? »

Est-ce que tu as déjà une idée de scénario pour la suite de « Leather Terror » ?

Ouais. A la fin de « Leather Terror », notre bon vieux Bret Halford est enfermé dans une chambre froide par Kendra la cheerleader. Il est cryogénisé comme Jack Nicholson dans Shining, et se sent mourir. 200 ans plus tard, panne d’électricité mondiale ou je ne sais quoi : il décongèle, ressort et se retrouve dans le futur. Visuellement, ça me permettra d’arriver avec des trucs à la Blade Runner. Un peu comme la pochette de Somewhere in Time d’Iron Maiden. Je veux aussi faire un clin d’œil à Idiocracy, en imaginant ce que les gens sont devenus avec les réseaux sociaux et compagnie. Est-ce qu’ils sont complètement teubés ou bien hyper intelligents avec des cités écolos ? Est-ce qu’on tombe dans un Cyberpunk 2077 ou plutôt dans À la poursuite de demain, le film avec Georges Clooney où tout est nickel ? De base, j’aurais envie de placer ça dans un monde punk pourri. Ça pourrait être une guerre entre une ville hyper clean et une ville hyper pourrave.
Par contre musicalement, je vais sûrement commencer à bosser dessus dans deux ans. J’ai quand même une petite intention : avoir des morceaux un peu plus progressifs, années 70. Il y avait pas mal de synthés chez Rush, dans Tom Sawyer par exemple. Il y aura peut-être plus de morceaux sur sept minutes, un peu plus virevoltants. Il faudra créer une atmosphère futuriste dans le son. C’est ce qui est le plus cool dans les BO de SF : les synthés un peu foufous des seventies. Je vais peut-être incorporer ça.

En 2020, tu avais sorti la BO d’un vrai film, pour le coup : Blood Machines. Quelle différence avec un album normal ?

C’était dans l’univers de Carpenter Brut donc je n’étais pas trop perdu. Mais composer pour un film, c’est quand même particulier. Il y a des passages calmes et des dialogues, donc tu ne peux pas arriver avec tes gros beats. Je me suis adapté, globalement c’est assez ambiancé. J’ai adoré faire ça. Pour le coup, mes synthés analogiques étaient branchés et j’ai trifouillé mon Moog. Mais je n’ai pas réutilisé ça pour le nouvel album, je n’allais pas me barrer dans de l’expérimentation.
Je me rends compte que je peux mettre la dose de violence que je veux dans un format pop qui peut passer à la radio. Donc il faut que je garde des morceaux assez simples, même si je veux intégrer des éléments un peu foufous. Pour prendre l’exemple de Ghost, c’est pareil. Le groupe est toujours resté sur des constructions plus ou moins simples, en faisant de temps en temps un petit écart progressif à la suédoise, à la ABBA. Il faut rester efficace : tu accroches vite les gens en leur donnant un truc à retenir, et à partir de là tu peux te permettre de partir un peu en couilles. Et puis, hop, tu les rattrapes avec une structure pop, puisqu’ils savent que le refrain va revenir.

Tu as d’autres projets de BO ?

Pas de projet en cours, mais j’ai été contacté par un réalisateur pour éventuellement faire une musique de film. C’est un peu dans l’univers synthwave mais je ne sais pas encore si ça va se faire.

Un réalisateur français ?

Non. Et ça ne sert à rien de gratter, j’ai signé un accord de confidentialité donc je ne vais pas commencer à tout balancer. Je n’ai pas envie de finir en taule pour toi !

« Leather Terror » sort le 1er avril via No Quarter / Virgin Records.

5 commentaires

  1. passé dix huits balais tu dois avoir honte d’écouter ça.
    + la BO de Huntdown est mieux que toute sa discographie de grosse pédale de merde

  2. Le chapeau de l’article nous parle de NIN et des Chemical Brother mais M Brute nous parle d’ABBA et de David Guetta.
    Y’a un truc que j’ai pas compris ?

  3. dans le corpus christi de ninbroc & bank account du cunt qui guetta sa prochaine intox play list

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