Avril 1984 : il y a pile 40 ans, Deep Purple annonçait sa première  reformation avec son line-up mythique, et cela mettait fin à un long hiatus entre les increvables anglais. Alors que les survivants préparent un 23e album studio prévu pour le 19 juillet 2024, retour sur cette incroyable série de renaissances interrompues qui a permis à Deep Purple d’ouvrir la voie du « rock mature » à d’autres artistes cinquantenaires.

Deep Purple se sépare officiellement en juillet 1976. C’est le résultat d’une ultime tournée particulièrement chaotique qui va alterner l’excellent et le médiocre dans un grand souffle de cocaïne. Du groupe initial de 1968, il ne reste que l’organiste Jon Lord et le batteur Ian Paice. Le guitariste Ritchie Blackmore est parti une première fois en mai 1975 après une série de dates européennes dans une configuration formée en juin 1973 avec le bassiste-chanteur Glenn Hughes et le chanteur David Coverdale et nommée Mark III. Deep Purple est alors sur le toit du monde après deux succès mondiaux, notamment aux USA : « Burn » et « Stormbringer », albums tous deux parus en 1974.

Blackmore est parti car les deux petits nouveaux se sont permis pour « Stormbringer » de lui refuser des titres. Furieux, il est parti fonder Rainbow avec le chanteur américain Ronnie James Dio. De l’autre côté, Deep Purple a recruté le guitariste américain Tommy Bolin avec qui ils enregistreront un excellent album très blues et funk nommé « Come Taste The Band » en 1975.
Si le stade du nouvel album est brillamment passé malgré un accueil public plus mitigé, le passage à la scène va se révéler bien plus compliqué. Bolin carbure à l’héroïne et manque de charisme sur scène. Les sets sont réussis ou gâchés en fonction de l’état du jeune guitariste, qui mourra en décembre 1976 d’une overdose à l’âge de 26 ans.

Une reformation tant espérée

Dès sa séparation, des rumeurs de reformation vont bon train. On ne sait ni quand, ni avec quels musiciens, mais les fans regrettent leur Deep Purple chéri. Ils ont pourtant de quoi se consoler avec pas moins de trois groupes majeurs issus de l’un des grands pionniers historiques du hard-rock et du heavy-metal avec Led Zeppelin et Black Sabbath. En effet, Ritchie Blackmore enchaîne les excellents disques avec Rainbow, bientôt rejoint en 1979 par l’ancien bassiste de Deep Purple Roger Glover.

Ian Gillan a formé son propre groupe nommé Gillan. Quant à David Coverdale, il a fondé Whitesnake en 1977, et il sera rejoint dès 1978 par Jon Lord et en 1979 par Ian Paice pour un hard-rock bluesy d’excellente qualité. Cependant, ces groupes n’arrivent pas à atténuer le souvenir du Deep Purple conquérant du double live mythique « Made In Japan » de 1972, et notamment l’alchimie magique entre l’orgue de Jon Lord et la guitare de Ritchie Blackmore. En 1980, le premier chanteur de Deep Purple, Rod Evans, se laisse convaincre de participer à une reformation bidon organisé par des escrocs. Il en sera le seul membre officiel. Le groupe de branquignoles va faire illusion pour quelques concerts avant que la supercherie n’éclate, avec des émeutes à la clé, comme à Mexico. Les avocats de Deep Purple mettront fin à cet épisode surnommé Bogus Deep Purple et plongera dans l’oubli Rod Evans, dépossédé de ses droits d’auteur après un procès. Cette affaire montre cependant combien le nom de Deep Purple fait encore vendre.

Pionnier de la reformation rock

Au début des années 1980, Rainbow opte pour un hard-rock mélodique accrocheur dans l’esprit de Journey et Foreigner avec le chanteur charmeur Joe Lynn Turner. Whitesnake va lui se diriger vers un son plus original mêlant hard-rock charnu et mélodies. Ian Gillan surprend par contre son monde en rejoignant… Black Sabbath pour l’album « Born Again » et la tournée mondiale qui s’en suit. Puis en avril 1984, Deep Purple annonce sa reformation avec son line-up mythique, le Mark II, qui sévit entre juillet 1969 et juin 1973 : Ritchie Blackmore à la guitare, Jon Lord à l’orgue et aux claviers, Ian Paice à la batterie, Ian Gillan au chant, et Roger Glover à la basse.

C’est en fait le fruit de lents rapprochements. Glover et Blackmore se sont retrouvés en 1979 dans Rainbow. Ian Gillan et Ritchie Blackmore ont fait la paix le soir du Jour de l’An 1980-1981. La chanteur expliquera que ce soir-là, alors qu’il salue ses derniers amis après le Réveillon, au petit matin, il aperçoit debout sous un arbre, dans la neige, un homme avec un chapeau et un manteau noir qui regarde dans sa direction, une Mercedes tournant à côté de lui. Gillan reconnaît immédiatement la silhouette de Ritchie Blackmore. Il l’appelle et lui demande ce qu’il fait là à cette heure. Le guitariste souhaiterait discuter avec lui, et mettre fin à leurs querelles qui le taraudent jusqu’à le mener devant la porte de Gillan en pleine nuit un soir de Réveillon. Mais par peur de se faire éconduire brutalement, il a dit à son chauffeur de garder la voiture prête à démarrer. Gillan n’a pas envie d’être désagréable après une bonne soirée, et l’invite à boire un verre. Les deux hommes vont discuter ensemble le reste de la nuit, parlant à bâtons rompus de ce qui a brisé le Mark II de Deep Purple, les sources de leurs frustrations respectives, et dissipent les malentendus. Ils se serrent la main, la paix entre les deux hommes est signée. Quelques mois plus tard, Ritchie Blackmore débarque sur scène avec le groupe Gillan pour reprendre le légendaire titre Smoke On The Water devant des fans médusés. Face à cette nouvelle, tous les espoirs renaissent. Jon Lord et Ian Paice en ont effectivement eu vent. Les deux hommes sont prêts à rejoindre Deep Purple au premier signal, se désintéressant peu à peu de Whitesnake pour le premier, du Gary Moore Band pour l’autre.

L’annonce de la reformation est actée le 27 avril 1984 avec un album d’ores-et-déjà en projet. La chose se concrétise le 29 octobre avec le LP « Perfect Strangers ». Deep Purple inaugure là le concept de la reformation du groupe mythique. Pink Floyd suivra en 1987, mais sans Roger Waters, et bien d’autres par la suite, jusqu’aux Stooges et MC5 dans des équipages plus ou moins conformes à l’histoire.

De quoi est alors capable Deep Purple, huit ans après sa séparation, et onze après le split du Mark II ? Après tout, la musique a continué à évoluer sans eux. En Grande-Bretagne, il y eut le punk, la new wave, la NWOBHM (New Wave Of British Heavy-Metal), puis au début des années 1980 arrivèrent les formations US : Mötley Crüe, Metallica, Anthrax, Slayer… Led Zeppelin est mort depuis le 4 décembre 1980, Black Sabbath est alors moribond et entame une longue traversée du désert. Uriah Heep, Yes ou Jethro Tull sont des vétérans survivant péniblement dans un contexte musical où l’image et la posture ont pris le dessus.
Deep Purple débarque avec toute sa bonne volonté, et propose un disque moderne, fruit de l’héritage de Deep Purple mais aussi des évolutions musicales respectives de chaque musicien. Loin de n’avoir rien fait, ils ont progressé avec leurs propres ensembles, et les sonorités ont mûri. Jon Lord apportent des synthétiseurs à son orgue Hammond, Ian Paice a laissé derrière lui ses friselis jazz frénétiques pour un tempo plus appuyé et un jeu plus sobre. Ian Gillan, qui a subi une opération des polypes aux cordes vocales en 1978, chante de manière plus grave et hurle différemment.

Quant à Ritchie Blackmore, son style a autant gagné en cohésion qu’en technicité. Chaque note est pesée, les enchaînements se font avec une virtuosité époustouflante, mettant à l’amende un bon nombre de nouveaux as de la six-cordes. L’album « Perfect Strangers » est un véritable tour de force avec de nouveaux classiques à mettre à la set-list comme Perfect Strangers ou Knocking At Your Back Door. Le groupe part ensuite sur la route, et s’échauffe en Australie et Nouvelle-Zélande, puis se lance dans une vaste tournée américaine, japonaise et européenne. La tournée, débutée le 27 novembre 1984 à Perth, se termine à la Texxas Jam à Dallas le 24 août 1985 avec Scorpions, Ted Nugent, Bon Jovi, Night Ranger et Grim Reaper.

L’inexorable retombée du soufflé

Après un album disque d’or en Grande Bretagne (n°5) et un disque de platine aux USA (n°17), ainsi que des numéros un dans plusieurs pays européens, et une tournée triomphale et majestueuse, Deep Purple s’accorde une pause de plusieurs mois avant de se lancer dans le processus d’enregistrement d’un nouvel album. Cette fois, il sera des plus laborieux. Tout le monde fait de son mieux, mais les chansons sont très moyennes, et tout le monde accentue la technique plutôt que la cohésion musicale qui avait conduit à « Perfect Strangers ». « House Of Blue Light » est moyen, ses ventes le sont aussi, et seule la tournée sauvera Deep Purple du naufrage.

La tournée va s’étendre du 26 janvier 1987 à Budapest au 29 septembre 1988 à Brême, avec entre les deux tournées européennes un immense ratissage US. Il en sortira un bon double live complètement oublié nommé « Nobody’s Perfect » et publié le 20 juin 1988. Malgré ses ventes médiocres, il est un excellent témoignage d’un groupe qui continue à se battre musicalement. Deep Purple et en particulier Ritchie Blackmore sont absolument brillants sur Strange Kind Of Woman, Perfect Strangers, Lazy ou Woman From Tokyo. Plus rare encore, le mixage est d’une très grande qualité et a très bien vieilli, ce qui est rare pour un disque publié en 1988, et cela est dû à Roger Glover, qui a produit beaucoup depuis 1973, de ses propres disques jusqu’à Rainbow et Nazareth.

La presse critique cependant énormément le côté surproduit de la musique de Deep Purple, très bien interprétée et technique, mais manquant justement de cette spontanéité folle qui faisait le sel de « In Rock » en 1970 et « Machine Head » en 1972. On a cependant oublié en route que les musiciens n’avaient plus vingt ans, mais quarante, et que leurs ambitions étaient sans doute bien différentes. Blackmore est cependant très touché par ces critiques, contrairement aux autres et notamment Ian Gillan qui enregistre un album solo avec Glover : « Accidentally On Purpose ». En 1989, Deep Purple entame les répétitions pour un nouvel album, mais Gillan est invité à rester chez lui. Il s’occupera en tournant dans les clubs anglais avec un groupe nommé Garth Rockett And The Moonshiners.
Le choix du nouveau vocaliste va être un vaste débat, mais pour Blackmore, le sujet ne nécessite pas de discussion : ce sera Joe Lynn Turner, l’homme avec qui il construisit cette musique hard-rock chromée de grande qualité dans Rainbow dont les albums « Straight Between The Eyes » et « Bent Out Of Shape » sont d’excellentes preuves. Turner intègre officiellement Deep Purple en décembre 1989. Ritchie Blackmore devient le pilote central du groupe, comme il le fit dans Rainbow, réduisant Lord, Paice et Glover à des accompagnateurs de luxe.

L’album « Slaves And Masters » sort en octobre 1990. Il devient l’un des symboles de ces groupes de rock survivants des années 1970 qui s’empêtrent dans une musique trop construite et léchée qui commencent à lasser le public rock en même temps que les tubes de Phil Collins, David Bowie et Rod Stewart. C’est justement cette génération de musiciens qui a fait monter le grunge à Seattle, et le stoner dans les arrière-cours de la Californie. Loin d’être désagréable, « Slaves And Masters » est un disque beaucoup trop maîtrisé sur lequel Lord, Glover et Paice sont de simples sidemen n’exploitant pas vraiment leurs immenses talents. On est en fait sur un bon disque de Rainbow à sortir autour de 1985. Joe Lynn Turner n’a absolument rien perdu de son talent vocal. Mais même les accélérations comme sur The Cut Runs Deep sont bien modestes par rapport à l’évolution du rock, qui est passé par le hardcore, le thrash, le death et entame le black. Roger Glover propose une production cette fois plutôt datée, et les titres manquent clairement d’énergie et d’âme. Il sera violemment sanctionné commercialement parlant : 45ème en Grande-Bretagne, 87ème aux USA. Il ne sera disque d’or qu’en Suisse.

La tournée symbolise encore plus cette dégringolade. La partie anglaise se limite à 7 concerts dont 4 à l’Hammersmith Odeon de Londres. La tournée américaine ne fait que 11 misérables concerts. Afin de continuer à exister dans ces temps troublés, Deep Purple tourne plus assidûment en Europe du Nord où le nom du groupe conserve son aura, et se délocalise dans de multiples destinations exotiques pour une tournée rock comme Singapour, Israël, le Brésil, la Yougoslavie ou la Pologne. Là-bas, dans ces contrées où les concerts de musique occidentale sont des plus rares, ils sont accueillis comme des stars. Deep Purple intègre le club des groupes aux musiciens quasi-cinquantenaires et à la réputation vieillissante, et dont les albums récents sont bien pâles par rapport à leurs prestigieux passés : Black Sabbath, Jethro Tull, Yes, Motörhead, Status Quo, Uriah Heep…

La re-reformation

Les Deep Purple auraient dû avoir la puce à l’oreille lorsque Ian Gillan est sollicité pour revenir au chant. En 1992, Black Sabbath avait reformé une de ses configurations historiques à succès, celle avec Ronnie James Dio au chant. Le résultat se solda par un excellent album, « Dehumanizer », mais ce dernier ne connaîtra pas un grand succès, car la scène rock et metal est occupée par le grunge de Pearl Jam, Soundgarden et Nirvana, et par le power-metal de Pantera et Metallica. Ce n’est assurément pas le bon moment pour s’engager dans un grand retour. D’autres groupes plus récents vivent justement dans les tribulations de ces temps mauvais : Rob Halford a quitté Judas Priest en 1991 pour se consacrer à une carrière solo, Bruce Dickinson d’Iron Maiden fera de même en 1993. Le heavy-metal classique n’est vraiment pas en bonne posture, et ce n’est pas l’arrivée du neo-metal de Korn ou Deftones qui va simplifier la tâche.

Deep Purple continue cependant à vivre dans son petit monde. Paice, Lord, et Glover décident de se rebeller et font savoir à Blackmore que Turner n’est assurément pas le bon choix pour le chant. Et alors qu’approche l’anniversaire des 25du groupe, Ian Gillan est le seul choix possible. Leur label RCA/BMG y est évidemment favorable, et le chanteur se montre intéressé après avoir assuré une tournée en solo en 1992. Ritchie Blackmore finit par céder sous la pression, mais n’est clairement pas emballé par l’idée. Entre lui et Gillan, le torchon brûle encore ardemment. Le premier considère qu’il n’est plus capable de chanter convenablement, le second a du mal à avaler son licenciement de 1989, et ne supporte pas la main-mise du guitariste sur la composition, d’autant qu’elle est loin d’être aussi exceptionnelle qu’elle ne le fut. Il a également brisé la dynamique créative qui permettait de construire les morceaux patiemment à cinq en ajoutant les bonnes idées de tout le monde.

C’est pourtant dans ce contexte que va s’enregistrer le futur « The Battle Rages On », qui est en fait déjà largement entamé depuis mai 1992. Joe Lynn Turner est rapidement écarté, il est temporairement remplacé par Mike DiMeo, un choix de Blackmore pour contrer le retour de Gillan. Mais devant la pression, ce dernier revient en août 1992, avec des compositions largement avancées. Les titres sont principalement écrits par Blackmore et Glover, avec les paroles signées Ian Gillan. Mais un semblant de démocratie de travail revient sur des titres plus ambitieux comme Anya, où Jon Lord apporte ses idées d’arrangements. Trente ans plus tard, « The Battle Rages On » sonne étonnamment bien. Plus hard-rock, avec une prise de son plus directe, les bons titres sont nombreux : The Battle Rages On, Lick It Up, Anya, Talk About Love, A Twist In The TailTime To Kill et One Man’s Meat annoncent un son nouveau, que l’on retrouvera un peu plus tard, et sans Blackmore.

Ni l’anniversaire du groupe, ni le retour de Gillan, ni la qualité d’une bonne partie du disque ne feront décoller les ventes. Il se classe 21ème en Grande-Bretagne, un mieux, 13ème en Allemagne, mais à une catastrophique 192ème place aux USA. La tournée qui suit va être la plus laborieuse de toute l’existence du groupe. Les vingt-quatre dates nord-américaines sont d’entrée et officiellement repoussées à 1994 faute de réservations. Elle va se résumer à deux petits mois sur la route en débutant le 24 septembre 1993 à Rome avant de se terminer à Helsinki en Finlande le 17 novembre dans l’animosité la plus totale, mettant les projets de dates américaines au rebut.

Si la tension est extrême entre Gillan et Blackmore, elle va d’abord nourrir la musique du groupe. Le guitariste, caramélisant intérieurement, se venge sur sa guitare, et se dépasse littéralement chaque soir, offrant aux spectateurs chanceux une véritable démonstration technique qui emmène le groupe avec lui. Il va bien y avoir quelques crasses, comme ces versions de Child In Time, mythique titre de 1970 qui avait fait la réputation de Deep Purple mais surtout celle de la voix de Ian Gillan qui montait toujours plus haut. Pour montrer qu’il n’en est plus capable, Blackmore a imposé au reste du groupe que ce mythique morceau figure à la set-list, anniversaire des 25 ans oblige. Gillan se retrouve coincé, et doit se dépasser vocalement jusqu’à se maltraiter, le tout devant un Blackmore narquois qui épuise également Jon Lord dans d’incessants allers et retours de solos de guitare et d’orgue, ce qu’il fera également sur Speed King.
Une rumeur récurrente courra également sur cette tournée, selon laquelle Gillan aurait eu une relation sexuelle avec une groupie sur scène, derrière le piano de Jon Lord, pendant que Blackmore se lançait dans un de ses solos au long cours. Il n’en sera rien du moins sur le caractère vengeur et en direct. Gillan confirmera une partie de la légende, mais cela se fera après des répétitions, et sans avoir Blackmore dans le viseur.

Le concert du 16 octobre 1993 à Stuttgart, publié pour partie sur le live à venir et au sein d’un petit coffret quatre CDs de cette tournée, révèle un Deep Purple brillant, où Ritchie Blackmore est effectivement absolument époustouflant, et épuise les autres en les obligeant à jouer à son niveau. Ian Paice retrouve ses instincts des années 1970 tout comme Jon Lord. Roger Glover développe des lignes de basse souples et agiles entre jazz et rock. Ian Gillan refuse de plier et se bat pour ne rien céder à Blackmore. Ce combat acharné donne des versions de Child In Time, Anya, Perfect Strangers, Lazy ou Smoke On The Water absolument dantesques, à la limite de l’auto-combustion.

L’auto-destruction va quant à elle arriver peu de temps après. BMG, constatant l’excellent niveau du groupe, et conscient de l’importance de l’image dans les années 1990 avec le développement de chaînes comme MTV et du concert filmé vendu en cassettes VHS, décide de capter sur bande le set de Brimingham le 9 novembre 1993 à la NEC Arena. Deep Purple jouera ce soir-là dans une des plus belles salles de Grande-Bretagne, devant son public britannique. C’était sans compter sur Ritchie Blackmore qui a décidé que le dispositif de tournage nuit à la performance du groupe, et va donc dégrader le spectacle pour les fans présents.
Le soir venu, il refuse tout simplement de monter sur scène alors que démarre le morceau Highway Star. Il est interprété dans sa quasi-totalité sans guitare, avant que Blackmore ne surgisse, et vire les cameramen de la scène en leur jetant tout ce qu’il trouve sous la main. Puis, il attaque son solo de guitare, sauvant de peu l’introduction du concert. Il va ensuite retourner en coulisses, avant de revenir après que le cameraman soit descendu de la scène. La suite du set va se dérouler dans une tension extrême, Ritchie Blackmore exsudant du poison noir de ses pores et de ses doigts. Son jeu va être particulièrement brillant, pétri de rage à chaque note, le tout teinté d’une vraie mauvaise volonté de faire exactement comme BMG l’aurait souhaité.

Le résultat sera le disque live et la VHS nommés « Come Hell Or High Water », qui seront aussi compléter par des extraits du set de Stuttgart le 16 octobre pour offrir une vraie vision musicale du Deep Purple de cette époque. Le 17 novembre, après le set de Helsinki, Blackmore annonce brutalement son départ alors qu’une date est encore programmée à Moscou le lendemain, obligeant à l’annulation. « Come Hell Or High Water » sera le dernier disque officielle à voir figurer Ritchie Blackmore à la guitare. Il sera publié un an plus tard, le 31 octobre 1994, alors que Deep Purple était déjà passé à autre chose.

Refuser de mourir

Alors que Blackmore claque la porte, Deep Purple doit assurer une série de dates japonaises dont le public idolâtre littéralement le mythique guitariste. En mauvaise posture, Deep Purple trouve de l’aide de la part du guitariste prodige Joe Satriani. Il leur permet de sauver les dates japonaises de décembre 1993 qui vont connaître un immense succès, car Satriani est aussi une star là-bas. Et son attitude chaleureuse et simple débloque l’ensemble du groupe qui retrouve plaisir à jouer dans la décontraction. Il les accompagne également pour une tournée européenne entre fin mai et début juin 1994, mais refuse le poste de guitariste permanent proposé par Gillan, Glover, Lord et Paice. A la place, il leur suggère un guitariste américain de sa connaissance nommé Steve Morse. Il fait partie de cette école des petits prodiges techniques de la six-cordes, avec une particularité toutefois : il a fait partie de plusieurs groupes audacieux comme les Dixie Dregs, formation jazz-rock qu’il a formé, ou Kansas. Il est donc un homme plus facilement capable de s’intégrer dans un ensemble existant.
Les répétitions entre juillet et novembre 1994 démontrent l’excellent conseil de Joe Satriani. Steve Morse est un type attachant et souriant, par ailleurs chauffeur routier en Amérique du Nord pour compenser ses maigres revenus de la musique. C’est que le jazz-rock et le rock progressif ne paient guère au milieu des années 1990. Morse est un homme simple ancré dans la vraie vie des vrais gens, et il apporte de la simplicité dans toutes les relations humaines. Il n’est plus question de prendre des pincettes pour demander quelque chose, il suffit juste de le dire. Et après dix années de dictature blackmorienne, les Deep Purple se mettent à souffler, et retrouvent de la joie à jouer ensemble.
Steve Morse fait ses premières armes sur des concerts plus ou moins secrets, au Mexique, aux Etats-Unis, en Corée du Sud, en Afrique du Sud et en Inde. Il se montre excellent en tous points, et découvre avec eux ces pays lointains qui n’ont jamais vu Deep Purple physiquement sur scène. C’est une sorte de cadeau réciproque, car Steve Morse, qui voyage pour la première fois au-delà du continent nord-américain et de l’Europe, débloque littéralement la créativité de Deep Purple. Avant même la fin des concerts en avril 1995, le groupe est déjà retourné en studio à Altamonte Springs en Floride, dès février. Il va finalement y rester jusqu’en octobre.

Le chef d’oeuvre inattendu

« Purpendicular » sort le 5 février 1996. Toutes les compositions sont signées collégialement : Morse, Gillan, Lord, Glover, Lord. Il y en a 12 pour 62 minutes de musique. Deep Purple se montre ambitieux, alors que les disques trop longs liés au format CD commencent à lasser.
Il se montre surtout passionnant, en explorant des univers sonores très modernes sans être putassier. Deep Purple ne fait pas dans la musique du moment, mais décide d’injecter des univers sonores qu’il n’a jamais exploré comme le jazz fusion des années 1980, les sonorités progressives modernes, ou le nouveau heavy-metal américain et anglais. En plus de cela, Ian Gillan décide de laisser tomber ses plaisanteries et sous-entendus sur le sexe comme un adolescent attardé. Il se penche sur sa propre vieillesse, et sur le monde en général. Il transforme ses textes en récits de voyage, ou évoque ses propres sentiments d’homme mûr face à l’évolution du monde. Cela donne des titres spectaculaires comme Sometimes I Feel Like Screaming ou Rosa’s Cantina. Il fait un clin d’oeil sympa à Steve Morse sur Vavoom : Ted The Mechanic, le Ted étant Steve. L’orgue de Lord résonne à nouveau de la plus belle des manières, à la fois historique et riche, mais jamais vieillotte. Ian Paice et Roger Glover ont retrouvé du groove. L’ensemble se met à rêver et a du lyrisme dans les veines grâce aux circonvolutions brillantes de la guitare de Morse, jamais bavard ou démonstratif, juste dans la tonalité exacte du groupe.

Sur le groove du début de Rosa’s Cantina, Jon Lord retrouve la sonorité de ses débuts au sein de Deep Purple sur Hush en 1968. Ian Gillan se décide à jouer un peu d’harmonica, talent qu’il n’a pas exploité depuis … Lazy en 1972. Lord se permet même d’apporter sa contribution dans les choeurs, ce qu’il n’a pas fait depuis … 1975. « Purpendicular » est absolument spectaculaire dans sa libération créative, qui voit de vieux routiers du circuit hard’n’heavy s’amuser de nouveau comme des gamins.
Sur des thèmes hard-rock plus évidents, comme Cascades : I’m Not Your Lover ou Somebody Stole My Guitar (inspiré d’un fait réel), Deep Purple rugit comme jamais. On ne peut même pas féliciter un producteur doué. Le groupe a produit le disque lui-même. Mais toute cette pêche a réveillé l’enthousiasme. Steve Morse a été plus qu’un nouveau moteur. Il est littéralement le souffle nouveau d’un groupe auparavant fatigué, et il le sort littéralement de l’ornière des losers du rock. Motörhead vient de s’en extraire avec l’album « Sacrifice » en 1995, Deep Purple est le second à s’en sortir alors que Black Sabbath est encore empêtré avec le disque « Forbidden ».

Steve Morse brille également en acoustique, comme sur The Aviator et ses inspirations celtiques. Ian Gillan se révèle brillant sur ces atmosphères plus posées, jouant davantage sur sa prononciation et ses accents vocaux. Il se met littéralement en question à tous niveaux. Même ses longs cheveux bruns et teints vont disparaître pour des coupes plus courtes et plus modernes. Il se produira peu à peu et de plus en plus souvent pieds nus. Le guitariste américain a incontestablement et durablement transformé Deep Purple vers une musique plus réjouissante mais pas moins facile pour autant. La poussière sur les vieux meubles de famille s’est en tout cas envolée. L’album se termine par un magnifique hard-blues nommé The Purpendicular Waltz où toutes les qualités de chaque membre du groupe résonne avec férocité. Deep Purple est revenu des morts. Il n’en sera que peu remercié commercialement parlant : 58ème en Grande-Bretagne, aucun classement aux USA. Plus encore, les pays soutiens historiques comme l’Allemagne boudent. Le grand Ritchie Blackmore, la colonne vertébrale historique du groupe, est parti avec son jeu de guitare unique et sa personnalité ombrageuse. Et finalement, cela donne raison à Richie Blackmore qui a reformé un nouvel équipage de Rainbow et a publié le disque « Stranger In Us All » en 1995, sonnant comme si il ne s’était rien passé dans le monde du heavy-metal depuis 1984. Ce dernier sera un succès en Allemagne et au Japon où il sera disque d’or.

La joie se partage sur scène

Malgré ce succès mitigé, Deep Purple requinqué repart sur scène pour défendre sa nouvelle musique. Pour cela, il pioche largement dans « Purpendicular », mais offre aussi au public une set-list rénovée avec de nombreuses chansons oubliées car Ritchie Blackmore refusait de les jouer : Fireball, Pictures Of Home, No One Came, When A Blind Man Cries … Le double album en concert « Live At The Olympia ‘96 » capté le 19 juin 1996 dans la mythique salle parisienne montre un groupe en pleine forme, totalement revitalisé et heureux de jouer. Jon Lord, si effacé ces dernières années, fait à nouveau gronder son orgue Hammond comme dans les années 1970. Ian Paice fait virevolter ses baguettes sur ses caisses et ses cymbales avec une énergie nouvelle. Même Ian Gillan semble avoir retrouvé de l’énergie dans la voix.
Le jeu de Steve Morse a un vrai mordant, très rock, ce qui manquait incontestablement ces derniers temps à Deep Purple avec le jeu devenu trop virtuose et l’obsession technique de Blackmore. Le quintette retrouve le plaisir de faire quelques pains sur scène, pris dans l’enthousiasme. Les nouveaux morceaux s’intègrent à merveille au répertoire, à commencer par Sometimes I Feel Like Screaming. Ce dernier est un nouveau titre épique qui passe merveilleusement sur scène, et révèle la nouvelle sensibilité d’homme mûr de Gillan.
No One Came, issu de l’album « Fireball » de 1971 et jamais joué sur scène, bénéficie ce soir-là d’une section de cuivres. Deep Purple a décidé de ne rien se fermer en termes de possibilités musicales. Par la suite, le groupe va régulièrement publier des enregistrements live, d’une part pour faire plaisir à ses fans, ces derniers étant avides de prestations en concert, mais aussi et d’autre part pour signifier que le groupe amateur d’improvisations et de prises de risques sur scène est revenu à la vie.

L’abandon

En mai 1998, Deep Purple publie l’album « AbandOn » sur son label historique, EMI. Le groupe reste populaire en Allemagne et en Europe du Nord, ainsi que dans une moindre mesure en Grande-Bretagne. Il a su reconquérir sa base historique de fans, et redonner un sens à sa carrière. « AbandOn » est un disque souvent un peu méprisé ou oublié, mais de très grande qualité, dans la lignée du spectaculaire « Purpendicular ». Ce sera toutefois le dernier avec Jon Lord qui quitte le groupe le 19 septembre 2002 à l’âge de soixante-deux ans. Auparavant, le groupe aura à nouveau parcouru le monde, et enregistré un live en Australie, « Total AbandOn, Australia ‘99 ». Ian Gillan n’hésite pas à reprendre Bloodsucker, un titre de l’album « In Rock » de 1970, particulièrement exigeant vocalement.

Depuis, Jon Lord a été remplacé par Don Airey, un claviériste dans le style de Lord, qui officia notamment dans Black Sabbath, avec Ozzy Osbourne, mais aussi dans Rainbow. Depuis le début des années 2000, le groupe publie régulièrement des albums, un sur deux étant de très bonne qualité : « Rapture Of The Deep » en 2005, « Whoosh ! » en 2020, par exemple. « =1 » est annoncé en 2024 avec un nouveau guitariste, Simon McBride qui remplace Steve Morse. Ce dernier a quitté la formation pour être au chevet de son épouse malade, et il commençait à souffrir d’arthrose dans les mains qui le diminue dans son jeu de guitare. Roger Glover a annoncé qu’ils refuseraient d’arrêter un jour, ne pouvant se résoudre à envisager un concert d’adieu. Paice, Glover et Gillan flirte désormais avec les 80 printemps, et comme les Rolling Stones, la qualité musicale commence à en souffrir. Il y a des limites physiques aux résurrections. Deep Purple en a connu deux, en 1984 et en 1996. Il faut parfois savoir accepter que l’homme est mortel.

Dans la foulée de son grand retour historique, Deep Purple va convaincre plusieurs de ses camarades de promotion de reprendre du service. Ce sera le cas de Robert Plant et Jimmy Page qui se remettent au travail avec le disque « Walking Into Clarksdale » en 1998 après le live « No Quarter : Jimmy Page & Robert Plant Unledded » en 1994. Black Sabbath dans sa configuration historique avec Ozzy Osbourne revoit le jour fin 1996. Quant à Status Quo, il fait son retour au boogie qui a fait sa réputation avec l’album « Under The Influence » en 1999.
Ces renaissances permettront de profiter du son de ces formations mythiques alors que leurs musiciens sont encore à des âges qui leur permettent d’être à la hauteur de leur glorieux passé. On ne peut pas en dire autant 25 ans plus tard, alors que la plupart sont quasi-octogénaires pour ceux qui restent, et continuent de s’accrocher à la rambarde, à un niveau musical cette fois bien moindre, car leurs capacités physiques ne leur permettent plus. C’est là la question du juste dosage entre créativité, maturité, et péché d’orgueil.

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