Attention, OVNI. Sorti de nulle part en novembre avec un premier titre d’une puissance absolue à renvoyer Sébastien Tellier et consorts à leurs études en jonglerie, Dodi El Sherbini, 39 ans et rien à son actif, débarque avec un premier EP qui lui a jusque-là rapporté 25 € et notre salut éternel. Retour sur l’étrange destinée de ce maître chanteur avec une première interview où l’on apprendra rien ou pas grand-chose. Si ce n’est que Dodi a bien trouvé son nom.

Dans ce building en ruine qu’on surnomme désormais le music business et à travers lequel on devine souvent en une seconde la pensée d’artistes aux ambitions plus transparentes qu’une porte-fenêtre, l’histoire de Dodi El Sherbini ressemble à un épisode de Twin Peaks traduit en braille pour un sourd. Un scenario complexe, donc : styliste pendant dix ans, « par hasard », et à un âge (39) où musiciens professionnels et amateurs cessent de rêver et rangent les instruments à la cave, lui plaque tout et dans un élan insondable, publie en novembre dernier un premier titre, L’éternel retour, qu’on a bien dû écouter deux cents fois sans jamais en comprendre le mécanisme. Ni comment Dodi, en 4’15, est parvenu à ridiculiser tout ce que la France compte de jeunes premiers accoudés aux bars de la rive gauche, alors même que l’idée de signer en maison de disque lui apparaît jusque-là dispensable.

Trois mois après la publication de ce qu’il faut bien appeler une anomalie musicale clivante, avec tout ce qu’elle suscite de réactions épidermiques face à ce morceau qui donnera l’impression à certains d’avoir touché du bout des doigts le plafond de la chapelle Sixtine comme à d’autres d’avoir affaire à une arnaque marketing à la Arnaud Fleurent-Didier, le même Dodi El Sherbini remet le couvert avec un premier EP produit par Stéphane « Alf » Briat, lui-même passé expert en étrangetés (dont Rob, clavier de Phoenix et François de Roubaix polyphonique à ses heures perdues). Si aucun des deux autres titres de l’EP (Olympia, autre composition originale, ainsi que le Faut pas rêver de… Patrick Juvet) n’arrive à la cheville de L’Eternel retour, il se dégage de ce début de carrière l’impression d’une planche savonnée sur laquelle El Sherbini glisse allègrement direction le suicide commercial. A la tentation de l’auto-célébration narcissique où chacun claironne sans raison, Dodi oppose un silence assourdissant, une affreuse pochette en fractales fluo, un clip VHS monté comme un cheval épileptique et surtout, l’histoire d’un mec de 39 ans qui réalisait en janvier dernier le premier concert de sa vie en première partie pour Moodoïd. En toute logique, une partie de la presse qui ne fait pas vendre s’emballe aujourd’hui sur le phénomène quand le principal intéressé, de son propre aveu, « ne s’attendait à rien de spécial, et surtout à rien ».

Attiré par ces signaux de fumée opaque, j’ai quand même voulu comprendre le (re)tour de passe-passe. Et suis reparti bredouille après avoir posé ma série de questions à la con à un magicien qui s’ignore. Cette interview sera donc l’occasion de préserver le mystère qui entoure un artiste inclassable et dont l’étonnante histoire, contrairement à la reprise de Juvet, fait encore rêver.

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Le moins qu’on puisse dire c’est qu’un mystère t’entoure, sciemment ou pas. On ne sait rien sur toi, ton visage n’apparaît nulle part, la pochette de ton EP est cryptique et ton attaché de presse me confiait avant cette interview que tu refusais les séances photo. Soucis de contrôle ou profonde indifférence à tout ce bazar ?

J’aime pas tellement me faire prendre en photo, bon, je vais le faire, mais ça m’emmerde un peu. Beaucoup de gens font la même chose d’ailleurs ; quand ils sortent un premier EP ils n’ont pas forcément envie de placarder leur gueule en gros… sauf qu’ils veulent être catalogués comme chanteur. Les mecs de Grazia ils m’ont demandé une photo alors je leur ai filé un polaroid, sinon je crois qu’ils n’auraient pas passé leur petit article. Mais dans la mesure du possible, autant éviter.

C’est marrant que tu parles d’être « catalogué », au sens d’être mis dans un catalogue. Au final tu trouveras bien des connards pour te placer aux côtés d’Arnaud Fleurent-Didier dans la case renouveau de la chanson française. T’as réfléchi à ça ?

Non pas vraiment.

Okay mais alors dans quelle case ne souhaiterais-tu absolument pas être catalogué ?

Je m’en fous. Tous les journalistes font ça, et toi aussi tu l’as fait, ils écrivent « ah tiens c’est marrant ça fait penser à Alain Chamfort, Christophe, machin ». Pour juger d’un truc, la majorité des gens font des analogies, c’est dans la nature humaine, même en peinture on se sent obligé de faire des associations. C’est normal non ?

Bon, sauf respect pour ton âge, tu n’as pas l’air d’avoir 16 ans. Que s’est-il passé avant cet EP de trois morceaux, dans ta vie ?

J’ai été styliste. Par hasard [et pas rasé ? NDR]. Par hasard parce que j’avais fait des études qui n’avaient rien à voir avec le stylisme, mais j’en ai malgré tout fait pendant dix ans, pour le secteur du luxe. C’était une manière de faire un truc, fallait faire quelque chose. Mais je n’avais pas de passion pour ça.

Non non.

La musique t’habitait dès le départ ?

Oui. Mais j’avais pas le niveau avant. La musique, j’ai complètement arrêté pendant des années. Sur un shooting, y’avait une guitare qui traînait, moi je m’emmerdais, j’ai recommencé comme ça. En fait c’est comme quand tu t’arrêtes de fumer, t’arrêtes et quand tu retouches une clope, tu recommences à fumer des paquets entiers. C’est revenu comme ça. J’avais déjà envie de composer un truc en français, depuis longtemps, mais je pensais pas que ça me prendrait huit ans.

C’était donc ça « l’éternel retour » ?

Non non.

De quoi parle cette chanson pour toi ? On a l’impression d’un gigantesque collage de fulgurances, ça plus la tirade façon Oscar Wilde sur Leonard Di Caprio (« Leonardo Di Caprio était jeune quand il était beau / Maintenant il ne ressemble plus à rien / Il a cassé tous ses miroirs / Il ne porte plus jamais de montre ») …

Y’a des mecs qui racontent des histoires dans les chansons, c’est pas mon cas. Mais en général, y’a toujours une idée. Toujours. Et il peut y en avoir plusieurs. Ca peut autant être une chanson sur le temps qui passe qu’une chanson sur le déclin de l’occident ; pour moi L’éternel retour c’est un peu des deux. Avant je faisais des chansons très écrites, l’inconvénient c’est que ça faisait très rive gauche, donc très..

Très chiantes ?

Ouais, peut-être.

Tout ça pour dire que depuis la sortie de ton EP, pas mal de labels [dont Tricatel] semblent sur le coup. Alors que tu semblais résolument contre l’idée de signer sur un label installé.

Non, pas résolument contre… Disons que le fait d’être conditionné au moment de l’écriture par le fait d’être signé me semblait biaiser le truc. Donc tu es obligé de te dire que tu t’en fous. Et pour dire que tu t’en fous, eh bien… faut s’en foutre. Au moins j’ai pas honte des chansons écrites.

Les mecs ont tout téléchargé gratuitement, j’ai dû gagner 25 balles.

La question qui suit va peut-être te sembler saugrenue, mais il se trouve qu’on fête cette année les 50 ans de la mort de Winston Churchill. Dans ses mémoires il confie s’être cherché toute sa vie, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale : « et quand on m’a confié les rênes du pays, ce fut une délivrance, je savais enfin pourquoi j’étais là ». Toutes proportions gardées, toi, débuter la musique à 39 ans, est-ce que cela donne un sens à ta vie ?

Je sais pas, ça me parle pas beaucoup [là toute ma question intello retombe à plat comme un soufflet]. Mais je comprends ce que tu veux dire. La vie c’est plutôt pénible, la majorité des gens est obligée de travailler pour payer le loyer ; et c’est finalement assez rare de faire quelque chose qu’on aime vraiment. On a rarement l’impression d’être utile, mais je ne vois pas pour autant ma vie comme une fin, avec un personnage.

Pourtant ton nom de scène prête au storytelling. Dodi El Sherbini, on imagine un mec libanais, barbu…

Ce pseudo est un peu anecdotique, c’est égyptien. C’est un choix personnel, pas choisi par hasard, mais j’ai pas trop envie d’expliquer ce truc là. Disons que ça me permet de mettre une distance ; dès qu’il y a mise en scène y’a besoin de prendre du recul.

La reprise de Patrick Juvet, Faut pas rêver [extraite de « Mort ou vif », 1976] comment s’est-elle imposée à toi ?

Aucune idée. Le titre je ne le connaissais pas y’a encore deux ans, et je l’ai découvert par hasard sur Youtube. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait cette reprise, ça me semblait juste évident. La mélodie est super rétro, 70’s quoi, j’aimais bien les harmonies du refrain, c’est vraiment un truc à la con.

T’en as encore sous la pédale niveau composition ?

Je sors un nouveau morceau en mars, un autre en avril, un autre en mai et ça donnera un nouvel EP. En gros cette année je vais sortir une dizaine de titres, mettre tout ça sur une galette et en rajouter cinq pour arriver à une quinzaine et voilà. Tout le monde me déconseille de faire comme ça – « non faut pas sortir tes morceaux avant l’album, etc. » – mais je m’en fous.

Y’a eu de l’engouement sur ton Bandcamp suite à la publication de l’EP ?

Non, que dalle, une quinzaine d’achats, pas plus. Les mecs ont tout téléchargé gratuitement, j’ai dû gagner 25 balles. Les gens n’achètent plus.

De quoi tu as envie pour la suite ?

Faire de la musique aujourd’hui, c’est l’un des pires choix que tu puisses faire, mais j’ai tout de même la prétention d’inventer un petit quelque chose. Donc pour te répondre, je te dirais : durer.

Dodi El Sherbini // EP « Olympia »
https://dodielsherbini.bandcamp.com/releases

En concert le 26 mars à l’Espace B

8 commentaires

  1. Euh… La musique est cool mais euh les paroles. Très écrit, vraiment ? Bon je dois pas comprendre la profondeur subliminale. Je me sens un peu loin de la rive gauche pour le coup. Yopla.

  2. C’est quand même assez intéressant qu’aujourd’hui, même quand on « sort de nulle part » et qu’on n’est pas signé, on a déjà une attachée de presse. Ceci dit, Dodi je t’aime d’amour.

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