Être guitariste dans un groupe de rock, c'est sûrement le job le plus cool du monde. Sauf qu'un jour, le groupe explose.

Pour entamer une carrière solo, le guitariste doit alors prendre un micro, parler et c’est ainsi qu’il entre peu à peu dans le terrible univers de la lose. Bien sûr, compte tenu des services antérieurs rendus à la glorieuse nation du rock’n’roll, personne n’ira lui casser du sucre sur le médiator en lui disant que son charisme s’est envolé le jour où il a ouvert la bouche. Ni qu’il produit de la merde en barres depuis que ses comparses l’ont planté sur le bord de la nationale en slip. Mais tout de même…Difficile d’ignorer que le mec n’est plus au niveau de ses exploits d’antan et que son statut d’icône intouchable a totalement disparu. Le décalage est encore plus flagrant quand le groupe d’origine a rencontré un gros succès, voire un énorme quart d’heure de gloire. Smiths, Stone Roses, Who, Queen, Guns and Roses. Pouce vert. Johnny Marr, John Squire, Pete Townshend, Brian May, Slash…Pouce rouge pour leurs carrières en solo. Il existe au moins une exception à cette règle à la con : les Strokes.

 

Depuis 12 ans, un de leurs guitaristes sort des albums hautement recommandables qui n’ont pas grand-chose à envier à ceux de la maison mère. Sens de la mélodie et du refrain accrocheur, roi de la sape, gueule d’ange, Albert Hammond Jr a tout pour cartonner. Mais rien n’y fait. Inéluctablement, ses albums sortent dans une indifférence générale. La faute à un parasol multicolore et envahissant appelé Julian Casablancas, lui aussi prochainement de retour avec un album très attendu sur l’échelle redevenue miniature du rock.

Alors, cette fois, Albert a décidé de changer de stratégie en s’appuyant sur une boisson gazeuse mondialement connue. Sorti le 9 mars chez Red Bull records, « Francis Trouble » n’a pourtant rien d’un rot de fin de soirée. C’est même un album qui fait grave le job. Impeccable de bout en bout pour qui goûtent les riffs acidulés immédiatement reconnaissables d’Hammond. Ceux qui auraient besoin d’une confirmation orale iront écouter Rocky’s late night ou Far away truths pour mordre à l’hameçon.

GONZAI : Te voilà de retour avec « Francis Trouble », ton 4ème LP solo. J’ai l’impression que tout le monde ici s’en fout un peu car tu es le guitariste et pas le chanteur des Strokes . Penses-tu mériter plus de considération, notamment médiatique ?

Définitivement, oui. Je pense que ma carrière solo n’est pas suffisamment reconnue. Que ce soit par les médias ou par l’industrie musicale. Mais bon, je reste cool. Je veux dire, je me suis souvent mis beaucoup de pression par rapport à tout ça. Pas mal de personnes m’ont dit « oh, tu as les Strokes. Ce que tu fais en solo, c’est pour t’amuser ». Et clairement non, ce n’est pas un joujou. Mes albums solo sont super importants pour moi, je mets tout ce que je peux y mettre. Je veux jouer dans les Zénith, et pourquoi pas au Stade de France. J’ai pas envie de rester dans les petites salles. Il me manquait toujours quelque chose et je crois qu’avec « Francis Trouble », j’ai enfin trouvé les bonnes personnes, le bon label,…Tout est réuni pour que je produise ma meilleure musique.

Tu a quasiment changé de label à chaque album. Te voilà désormais sur Red Bull records.

J’ai sorti les deux premiers albums sur le même label. Ils ne voulaient pas du premier, mais quand je leur ai communiqué le deuxième très peu de temps après, ils ont finalement voulu sortir les deux. Puis je suis allé sur Cult, le label de Julian (NDLR : Casablancas, chanteur des Strokes) pour un EP. Puis Vagrant, mais ça s’est plutôt mal passé avec eux.

Pourquoi tous ces changements ?

La vie, je crois. Ca doit être mon karma. J’aurais pu avoir plein de producteurs différents et un seul label, mais ce qui s’est produit est exactement l’inverse : un seul producteur et plusieurs labels. Je voudrais rester chez Red Bull records désormais. Cet album, je l’ai fini il y a un an. Ce qui m’a pris du temps, c’est de trouver le bon label. C’était impératif pour moi. Jusque là, un label n’avait jamais vraiment montrer son envie de miser ou d’investir sur ma musique. Avec Red Bull records, c’est arrivé.

Quand tu as sorti ton EP « AJH » sur Cult records, on pouvait pourtant penser que ce label te conviendrait parfaitement puisque c’était celui d’un ami.

C’était cool de collaborer avec Julian bien sûr. Peu importe ce qui se passerait, on savait qu’on resterait de toute façon amis jusqu’à la fin des temps. Mes plus beaux moments, c’est quand on avait 16 ans et qu’on parlait de la vie, tu comprends ? Oublie la musique. Mon amitié avec Julian est bien plus importante que ça. C’était cool, mais Cult n’a pas les moyens financiers de faire ce que je veux faire avec ma musique. Ca a vraiment été une conversation super simple. Julian m’a dit « Ecoute tu peux aller faire ton album où tu voudras, car avec Cult, on n’a pas les moyens de te porter aussi haut que tu le souhaites ». J’aurais adoré sortir un Lp sur Cult records mais ce n’était pas possible.

« Red Bull records fonctionne comme un label indé. Mais un indé avec de l’argent. Ce qui est évidemment génial »

Tu vas peut-être trouver ça étrange, mais j’avais pas vraiment entendu parler du label Red Bull jusque-là.

Je ne suis pas vraiment étonné, tu n’es pas le seul. Red Bull records fonctionne comme un label indé. Mais un indé avec de l’argent. Ce qui est évidemment génial. Ce que j’aime aussi dans la démarche, c’est qu’ils investissent une grosse partie de ce qu’ils gagnent en vendant leur boissons dans des choses culturelles. T’as pas idée de l’argent que Red Bull met sur la table pour financer des sports extrêmes ou des trucs plus culturels. J’ai joué l’album au boss du label, Greg Hammer, et ça lui a plu. J’étais super excité de les rejoindre. On est sur la même longueur d’ondes, on a tous les deux envie de rendre le nom Albert Hammond Jr plus important qu’il ne l’est aujourd’hui. Au début, ils avaient peur que je leur dise que je ne voulais jouer que dans des petites salles. Quand ils ont compris que je voulais remplir des Arena, ils étaient ravis. Ils aiment encore plus que moi les affiches géantes. Pour moi, ce type de label va se développer dans le futur.

T’as quand même pas l’impression que le rock perd son âme à être « sponsorisé » par des boissons gazeuses ? Ca manque de sauvagerie, ce côté commercial.

Pas du tout. Le plus grand danger pour moi serait de se contenter de ce qui existe aujourd’hui. C’est drôle, les gens veulent des rock stars mais les rock stars ne peuvent plus exister si elles gagnent uniquement de l’argent venant de la vente de disques. Donc il faut d’autres sources de financement. Sans ça, le rock est cuit. Qui gagne de l’argent aujourd’hui ? Quelques popstars, des dj’s. Être punk, c’est trouver de l’argent pour faire exactement ce que tu veux faire. Peu importe d’où il vient. Être punk, c’est ça. Trouver du blé pour faire ce que tu veux. Peu importe comment. Enfin pas faire la guerre quand même, aha. De toute façon, Red Bull records n’a rien changé. L’artwork, c’est moi. La musique, c’est moi. Finalement, je devais faire beaucoup plus de trucs pénibles dans d’autres labels qui ne s’occupaient pourtant que de musique et pas de boissons gazeuses.

Il y a des avantages en nature quand on est signé chez Red Bull records ?

Pour ne rien te cacher, j’ai par exemple un accès à l’année sur tous les circuits de Moto GP. Ce qui tombe bien, parce que je suis un grand fan de cette compétition.

Tu vas aussi aux compétitions de plongeon extrême organisée par la marque ?

Ahah, non. Par contre j’ai très envie de faire du parachutisme en chute libre avec eux. J’adore le sport, donc autant en profiter. Je suis pas chez Red Bull pour tout ça évidemment, mais bon, c’est une opportunité qu’ils offrent donc pourquoi ne pas en profiter ?

Peut-être pour conserver un peu de rébellion dans le rock’n’roll. A ce rythme, il va finir par ressembler à un produit surgelé dans un supermarché discount.

On place la rébellion là où on veut bien la mettre. Quand j’étais gamin, tout le monde portait du streetwear, s’habillait casual. Le fait d’être sapé comme je l’étais était une véritable forme de rébellion. Personne ne s’habillait comme moi. Pourtant, les vêtements que je portais, très classes, incarnaient tout sauf la rébellion. Pour moi, la rébellion c’est aussi être fun et avoir du vice en même temps. J’ai vu pas mal de vidéos où Bowie jouait, The Clash, The Police…Tous ces mecs étaient de véritables rebelles mais ne faisaient pas une musique de rebelles. Leurs shows, c’était du fun. Moi j’essaie de m’élever contre la vacuité de la pop music d’aujourd’hui. Mais aussi contre le côté ridicule de sa soit-disant importance. Je veux lutter contre son déclin, essayer de la remettre au centre de la musique moderne. La plupart des artistes que j’ai appréciés dans le rock avait beaucoup d’humour. C’est ça que je recherche, le juste équilibre entre le sérieux et le fun. C’est bien plus important que d’être ou non sur un label appartenant à une boisson gazeuse, non ? On ne va quand même pas parler que de ça…

Alors parlons un peu de « Francis Trouble », ton double qui donne son titre à ce nouvel album. Tu as vraiment perdu ton frère jumeau à la naissance ou c’est un concept ?

Albert Hammond Jr : C »est une histoire vraie. Ma mère a perdu ce bébé quand il avait 5 mois. Quand elle a accouché, je ne suis pas arrivé seul, il y avait aussi un petit doigt de ce bébé qui n’est jamais arrivé. Donc ça n’a rien d’un concept.

«Je le connais pas ton Nelson Monfort, il doit être d’une autre promotion. »

Qu’est ce qui t’a poussé à écrire là-dessus et à en parler maintenant ?

J’ai pas vraiment décidé d’écrire uniquement sur ça. C’était un peu comme un fil qui dépasse d’une veste. Tu tires dessus, et tu te rends compte à quel point les choses s’assemblent. La veste c’est évidemment bien plus que quelques fils cousus ensemble. Déjà, je savais que je ne voulais pas que mon nom apparaisse sur la pochette de l’album. Je voulais me sentir plus libre, montrer aussi une autre facette de ma créativité en insistant peut-être plus sur le travail d’écriture et de composition que je fais dans l’ombre. Je voulais aussi essayer d’exprimer la manière dont je me vois. J’ai voulu travailler là-dessus. En bossant de cette manière, de nouveaux personnages sont arrivés les uns après les autres. Francis Trouble a fini par revenir sur la table, c’était mon alter ego quand j’étais plus jeune. Le fait qu’il revienne ainsi, naturellement, m’a donné envie de nommer l’album comme ça. Pour moi, la création c’est généralement voir des choses, collecter des choses puis les agencer. Là, c’était très différent. J’ai senti pour la première que je mettais de l’art dans ma musique. C’est aussi une manière de dire aux médias « Hé les gars, je ne suis pas que le guitariste des Strokes ». Soudain, je me suis senti à nouveau capable d’être à la tête d’un groupe, d’assurer des concerts, d’écrire des morceaux.

J’ai l’impression qu’avec ce nouvel LP, tu te lances dans une sorte de thérapie sonique.

Je crois que je l’ai toujours fait. Mon album précédent était intégralement noir et blanc et parlait de ma manière de créer. Alors que « Francis Trouble » évoque plus ce qu’il s’est passé quand je me suis rendu compte de ma façon de créer. J’ai essayé d’embrasser complètement les choses sombres que j’ai pu faire dans le passé, ça m’a permis de laisser la place à un nouveau moi. Un moi plus libre, créant différemment. J’étais plus confiant, presque ok avec le fait d’avoir parfois été méchant car pour être bon un jour, il faut certainement avoir commis pas mal d’erreurs avant. Je me suis rendu compte de tout ça avec cet album mais rien n’était prémédité.

Quand tu as débarqué avec les Strokes en 2001, la situation de l’industrie musicale était bien différente du paysage actuel.

J’ai grandi dans une période où les gens achetaient des disques, des vrais disques chez des disquaires. Aujourd’hui on me dit « Hé, c’est cool, t’as plein d’écoutes sur Spotify ». Mais bon sang, j’en ai rien à foutre. Je ne sais même pas ce que ça veut dire. Ce nouveau monde musical, c’est « personne ne possède plus rien et tout vaut rien ou rien vaut tout ». Tout est dématérialisé. Je ne pense pas à tout ça. En tout cas je n’y pense pas assez. Car c’est ainsi que le système marche désormais et il faut s’y adapter si tu ne veux pas mourir. Mais ma passion à moi , c’est de faire de la musique, pas d’analyser comment tout cela fonctionne.

« Je suis pas du genre à embrasser mon cul en permanence »

Comment décrirais-tu ton jeu de guitare ? Il est vraiment très reconnaissable.

J’en sais rien. Ce serait un peu comme décrire la manière dont je marche. C’est juste moi. Je joue comme ça, je marche comme ça. J’ai jamais essayé d’imiter Cobain, Slash ou Clapton, j’ai juste chercher ce que je pouvais donner. Creuser. C’est dur de parler de soit. Se voir aussi, c’est parfois étrange. Un photographe a fait de super clichés de moi il y a quelques temps. Je ressemblais tellement à une icône du rock que je n’arrivais pas à croire que c’était moi. Heureusement que je ne passe pas mon temps à regarder ce genre de photos. Je suis pas du genre à regarder mon nombril et embrasser mon cul en permanence.

Ado, tu as été scolarisé en Suisse à l’institut le Rosey. A plus de 100 000 euros l’année, c’est l’école la plus chère du monde. Ce qui te fait un point commun avec Nelson Montfort, journaliste sportif français qui a aussi été scolarisé là-bas.

Je ne le connais pas, il doit être d’une autre promotion. Je n’ai de toute façon passé que quelques mois là-bas. Le temps d’y rencontrer Julian. Cette scolarité en Suisse, c’était une idée de mon père qui avait peut-être rêver de ça pour lui.

Tu me pardonneras le raccourci, mais puisque Radiohead reverse en partie les royalties de Creep à ton père (NDLR : le chanteur Albert Hammond) qu’ils ont plagié, peut-on considérer que le groupe d’Oxford a indirectement financé tes études ?

A vrai dire, on ne parlait pas des problèmes juridiques de mon père à la maison. A tel point que le jour où j’ai finalement rencontré Nigel Godrich, je n’étais même pas au courant de cette histoire. C’est lui qui me l’a appris. De toute façon, mon père n’avait pas gardé les droits d’édition de The air that I breathe, c’est donc pas lui qui touche les royalties dont tu me parles.

Au fait, je voulais te poser une question sur le prochain album des Strokes mais je sens que tu ne vas pas y répondre, si ?

Non, effectivement. On est 5 dans le groupe donc on répond à 5.

Albert Hammond Jr // Francis Trouble // Red Bull Records

 

 

 

 

8 commentaires

  1. pourvoyeurs du goût médiocre, il y a Rory gallagher remasterisés en cd qui revient de sortir, gibert fnac virgin cultura amazon e.leclerc Intermarché, carrefour, v’là LES DISQUAIRES.

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