Début novembre, le groupe Wet Leg a publié dans l’indifférence quasi-générale une version française de son single Chaise Longue qui s’inscrit en apparence dans une tradition d’adaptations ratées mais qui cache bien son jeu et se moque un peu de nous. 

Mais quelle mouche a donc piqué Wet Leg pour qu’ils nous pondent une version française de « Chaise longue » ?  Ont-ils pris des cours sur Duolingo pendant le confinement comme de nombreux britanniques et voulu rentabiliser ainsi le temps investi ? Rhian Teasdale et Hester Chambers se sont-elles souvenues avec émotion de leurs cours de français en secondary school ou d’une brève idylle avec un.e français.e lors d’un séjour dans la ville-lumière ?

C’est ce que je me suis d’abord demandé en remarquant que si les adaptations en français ont quasiment disparu depuis les derniers tubes des yéyés inspirés des grands succès américains [1] à la fin des années 60, il est encore plus rare de voir un artiste anglophone adapter lui-même sa chanson en français.

 

La Chaise longue de Wet Leg semble suivre la trace du très anecdotique voire poussif « Héros » de David Bowie, publié en single en 1977 par le label RCA avec une cocarde tricolore du plus bel effet en même temps que la version anglaise et la version allemande [2], ou le « Je ne veux pas la fin de nous » enregistré par Michael Jackson en 1987 que sa maison de disque eut la présence d’esprit d’enterrer jusqu’à sa publication à titre posthume lors de la sortie de Bad 25 en 2012.

 

Mais revenons à notre Chaise Longue : et s’il s’agissait d’une volonté délibérée de draguer le public francophone en rendant le texte plus accessible ? Auquel cas, ce serait presque insultant : on sait que les Français sont des branques en langues vivantes et que le yes a besoin du no to win against the no, mais quand même… Par ailleurs, le groupe rencontrait déjà un certain succès dans l’Hexagone avant cette VOST a priori dispensable : couverture de Rock & Folk en mars dernier notamment, concert complet à l’Elysée Montmarte il y a quelques jours en attendant rien de moins que le Stade de France en première partie d’Harry Styles en juin. Sans doute peu de choses à côté du succès international du groupe (interviews dans le Guardian, le New Yorker, le New York Times, 13 millions de streams pour Chaise Longue sur Spotify et 8 millions de vues sur YouTube…). Pourquoi avoir traduit en français d’ailleurs et pas en allemand, en portugais, en japonais… ? Est-ce que pour des raisons esthétiques ? Pour s’amuser ? Une simple blague qu’on devrait prendre à la légère ?

Traduire, c’est trahir, dit un vieil adage, mais ici la traduction va bien plus loin : elle brouille les pistes, s’en amuse, bref elle se fout bien de nous. Elle donne l’impression de nous rendre le texte intelligible, mais pas sûr que ce soit vraiment le cas pour tout le monde.

New Domino band Wet Leg share debut single “Chaise Longue” (watch the video)

As-tu besoin de quelqu’un pour te beurrer la brioche ?

Je vous propose donc un petit exercice de version anglaise pour les non-anglophones qui traduisent avec autant de sérieux qu’un élève de cinquième préparant son devoir maison sur Reverso : en anglais, une chaise longue c’est une sorte de sofa dans lequel on s’affale, alors qu’une chaise longue pour un francophone fait d’abord penser à un accessoire de plage, un transat. La chanson ne parle pas de bronzette à la plage du Touquet ou son équivalent britannique mais bien de traîner, toute la journée, dans un canapé, à l’horizontale, en sous-vêtements. Toute la chanson est construite sur un jeu de sous-entendus avec notamment « Big D » qui est plutôt une allusion phallique (big D=dick) qu’une référence au « degree », au diplôme, ce dont la traduction française ne rend pas compte. L’énigmatique référence au muffin dans la VO est également un étrange euphémisme libidineux qu’on retrouve dans un dialogue de la VO du teen movie des années 2000 Lolita malgré moi, et dont je vous laisse découvrir la signification. Dans la VF, le « muffin » devient une « brioche », qui fait penser à première vue à Marie Antoinette et à la célèbre réplique qui lui est attribuée. Entendre un groupe originaire de l’île de Wright demander « As-tu besoin de quelqu’un pour te beurrer la brioche » est un grand moment, il faut l’avouer, et l’expression est tout à fait savoureuse, bien qu’on dise en français « se beurrer la biscotte » (s’en foutre ou s’en tamponner le coquillard, un peu dur à caser dans une chanson).
Vu le contexte, la biscotte, et la référence à ce jeu subtil dont j’ai entendu parlé lors de mes jeunes années de rugbyman, perdant ainsi mon innocence à tout jamais, aurait été plus indiquée, ou le verbe « fourrer » à la rigueur, mais soit. Pour ceux qui n’auraient toujours pas compris, c’est plus explicite ensuite puisqu’on parle d’aller dans les loges après un concert en buvant des bières, comme les groupies d’antan.

La version française de Chaise longue est un pied de nez (allez traduire ça en anglais) avant d’être un bide, qui invite à regarder les paroles d’origine de plus près. Alors, pourquoi le français ? Sans doute parce que le français est la langue des choses vulgaires pour les Anglais (« excuse my french », disent-ils). Pas étonnant, dès lors, de traduire une chanson graveleuse dans la langue du Marquis de Sade. Sacrés mangeurs de grenouilles !

[1] Même si les Américains ont bien pioché réciproquement dans le répertoire européen comme le montre cet article.

[2] Autre mystère que ce choix du français d’ailleurs (pour l’allemand on peut comprendre, Bowie résidant à Berlin au moment où il enregistre le morceau, voyant même le mur de Berlin par la fenêtre du studio Hansa). La version en allemand est sublime dans son interprétation, même si je ne suis pas sûr que mes vieilles profs d’allemand partagent mon enthousiasme. La version française est un peu gênante, à la rigueur plus amusante qu’autre chose.

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