Oui, même six mois après sa sortie. La raison ? Tout simplement parce que « Nuova Napoli » est aussi chaud qu’un million de calzone cuites à l’intérieur du Vésuve. Et qu’un million de calzone ne peuvent avoir tort.

Les refondations des villes, c’est toujours un roman. Un roman cocasse ; on n’est pas chez Bruce Lowery. S’y croisent des géographies qui ne semblaient pas destinées à se rencontrer, à part éventuellement sur une partie de Crusader Kings prolongée au-delà du raisonnable. Qui aurait imaginé qu’Orléans soit un jour transbahutée dans le delta du Mississippi ? Que la Calédonie, vieux nom latin de l’Écosse, baptise une île au beau milieu du Pacifique ? Ou encore qu’une petite ville nobiliaire du nord de l’Angleterre, connue pour son jambon aux nitrites, en vienne à désigner la mégalopole pommière d’à l’embouchure de l’Hudson ? D’ailleurs, il y aurait pu y avoir encore plus improbable pour nous autres grenouilles tricolores puisque New-York s’est à l’origine nommée Nouvelle-Angoulême, à l’époque où François Ier guerroyait contre Charles Quint ; et hop, une petite anecdote pour faire votre Stéphane Bern en pays angoumois, s’il vous prend d’avoir ce genre d’envies pendant votre temps libre (on ne vous jugera pas, promis).

« Mais pourquoi est-ce qu’il nous parle de tout ça ? » vous demandez-vous sans doute.

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Justement, je m’apprêtais à vous donner quelques explications. Car introduire cette causerie musicale en blablatant toponymie n’est pas tout à fait, ou pas seulement, une fantaisie sortie du cul du coq. C’est simplement parce que le « Nuova Napoli » dont il est ici question ne trouve pas sa genèse que sur le tibia de la botte italienne. S’il offre effectivement une plongée dans cette Campanie assommée de soleil, ce paysage de carte postale qu’il faut voir avant de mourir, paraît-il, ce disque nous fait aussi porter le regard du côté de la porte de Brandebourg. Après le voyage Scola-ire dans le Fiat-Nam, cap à Berlino-sul-Mediterraneo, en quelque sorte. Car c’est dans la capitale allemande que Massimo Di Lena et Lucio Aquilina, les têtes pensantes de Nu Guinea, ont déployé leurs ailes du désir. Deux ans après avoir revisité les breaks du mythe Tony Allen, le duo transalpin a publié ce printemps un deuxième disque décoiffant, « Nuova Napoli ». Un disque où l’on sent sous les ongles la poussière des solderies de vinyles et des bacs à maxis italo-disco d’occasion, à la recherche de bons grains à moudre. Et il n’y a pas à dire : ces deux-là savent où fureter et quels leviers actionner pour ne pas nous faire boire la tasse. Ou alors, si vraiment il le faut, celle d’un ristretto bien serré, pas plus. Faut dire qu’en vingt-neuf minutes (pour sept titres), il n’y a pas vraiment de place pour la dilution.

On dirait le Sud

« Nuova Napoli » est apparu au mois d’avril. Personnellement, je n’ai pu me découvrir d’un fil que cet été – mais ce fut parfait pour détendre mes clavicules et faire gigoter mes kilos en trop. Une passade ? L’automne est arrivé, la bise est venue et ça fonctionne toujours. Rien à jeter, aucune baisse de tension. J’ai bien dû passer les deux derniers mois à saouler avec ça la moindre personne qui s’aventurait à me demander ce que j’écoutais en ce moment. Et visiblement, je ne suis pas seul à en subir les effets : les pressages successifs (cinq, à ce jour) s’arrachent comme des petits pains, décrétés sold out en moins de deux ou trois jours. Merde, qu’est-ce qui se passe ? Serait-ce la nouvelle mutation du mal de Naples ? Si c’est le cas, voilà un virus que l’on souhaite éminemment transmissible – du coup, on s’en fait volontiers ici les propagateurs, et tant pis si on doit se faire remonter les bretelles par l’OMS.

L’un des singles les plus incroyables de cette année : Je Vulesse.

Elle ne devrait pas, d’ailleurs. Car si vous cherchez un disque qui vous fera davantage bouger vos jambes qu’un dribble du Pibe del Oro en maillot Buitoni, c’est bon, vous êtes au bon endroit. Dès le premier morceau, la basse se la joue matoise, flairant le bon coup, guettant l’occasion propice dans les vieilles ruelles parthénopéennes. Le décor est planté : le ciel est d’un bleu presque douloureux d’intensité, le linge est aux fenêtres, les scooters bombardent dans les rues, les goélands squattent près des poubelles tenues par la Camorra, les cheveux gélifiés et les médaillons luisent sous le soleil, les camelots tentent d’attirer les touristes pour leur refourguer à la sauvette des Ray-Ban de contrefaçon. On s’introduit dans ce disque comme à la dérobée, avec un groove lent et poisseux sur lequel se croisent les saxophones et les ricochets du synthé. Une jolie entrée en matière instrumentale, avant l’un des singles les plus incroyables de cette année : Je Vulesse.

Mettre en musique un poème (en l’occurrence d’Eduardo De Filippo, rien à voir avec l’actuel Premier Ministre), c’est un exercice casse-gueule qui peut vite virer casse-bonbons. Dernier exemple en date : Frànçois Atlas reprenant Baudelaire. Ici, c’est une réussite à tous les niveaux, avec ces étourdissantes voix hautes perchées, extatiques, cette basse funky comme l’enfer et ces touches aigrelettes qui instillent quelques gouttes d’acide au milieu du décor tyrrhénien. Un morceau ambigu comme Naples, qui ne connait que l’excès, excès de beauté et de laideur mélangés, excès de soleil, de corruption, d’exubérance et de fatalité, sous l’égide d’un volcan qui sait protéger la ville comme il peut la détruire jusqu’à la dernière pizzeria.

Cinq autres morceaux plus tard, le ravissement est toujours de mise, bouillant, enjôleur dans ses chaloupements midtempo. Et c’est comme un dernier jour de vacances passées à baiser, lézarder et bouffer des carbonaras : difficile de se résoudre à lâcher ces « synthés calibrés sur le méridien du Vésuve », comme l’affirment ses concepteurs. Il faut dire que le paysage a ses agréments : du disco, du jazz-funk, un brin d’exotica, des polyrythmies, des raggazze chantant en dialecte napolitain, et même une reprise d’Édition Spéciale, obscur groupe français des 70s. Un panorama qu’on aimerait pouvoir admirer, histoire de le voir de plus haut et d’en profiter plus longtemps, sur le dos de ce gros oiseau qui semble fondre sur Naples, tambourin au bec, dans le coin droit de la pochette. Mais bon, vu que le disque n’est pas plus long qu’un quarante-huitième de journée, ça laisse déjà pas mal du temps pour le passer et le repasser sur sa platine ou dans ses enceintes. Ça en laisse aussi pour s’interroger sur ce disque et cette Italie « aux deux visages », en réponse au titre janusien Ddoje Face : années 70 ou années 2010, la fête et le drame s’embrassent toujours à pleine bouche. « Napule, canta e more », comme le chantait Donatella Viggiano en exergue d’un morceau extirpé du Léthé par la « Napoli Segreta vol.1 » – une compilation en partie diggée, tiens donc, par Nu Guinea.

Alors, avec six mois de retard sur les gens trop à l’heure, à votre tour d’entrer dans cette danse tout sauf d’opérette. Que n’ayez jamais passé les Alpes dans cette dimension-ci de l’existence ou que les noms de Tullio De Piscopo ou Oro n’aient plus de secrets pour vous importe peu. Une paire d’oreilles en bon état devrait suffire à garantir le voyage vers les délices de la Naples Nouvelle. Capoue n’est pas loin, après tout.

Nu Guinea // Nuova Napoli // NG Records
https://nuguinea.bandcamp.com/

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