Certains le surnomment le « Connan Mockasin à paillettes », d’autres le « Kevin Parker du Sud-Ouest » ; pour tous les autres c’est simplement Moodoid et son premier album tout en effets chorus évoque autant le Gong de Daevid Allen que la Soft machine molle de Kevin Ayers. Si l’interview qui suit n’est pas des plus passionnantes, voilà au moins une occasion tardive pour découvrir la pop Picasso de Pablo Padovani. Et si « Le Monde Möö » vous en touche une sans secouer l’autre, filez voir un ORL.

Pour des raisons qui m’échappent – en fait elles m’échappent pas tant que ça, on y reviendra – « Le Monde Möö » est passé entre les mailles de nos filets. Faut pas nous en vouloir, on passe tellement de temps à écouter de mauvais disques qu’à la fin il est parfois difficile de trouver du temps pour parler de ceux qui impressionnent. Le disque de Pablo, Français naïf sans complexe, c’est un peu l’équivalent musical d’une peinture de Matisse ; à la fois extrêmement coloré et volontairement simpliste, un « Monde Möö » tout en relief et en esquisses de femmes généreuses dans lesquelles on aimerait plonger comme le suicidaire par dessus la fenêtre ou le parachutiste dans le vide. On serait aux Inrocks, on parlerait de « disque aérien », mais on va se calmer. Le premier LP de Moodoid n’est rien d’autre – et c’est déjà beaucoup – qu’un condensé de musique graphique ; dix chansons qu’on écoute autant qu’on regarde avec des pics comme Yes and You ou Machine Metal, petits bijoux d’horlogerie au mécanisme complexe qui rappellent qu’une partie de la jeune scène française des dernières années (Hyperclean, Aquaserge, Forever Pavot) n’a plus rien à apprendre des aînés anglo-saxons précités.

Le jour de ma rencontre avec Pablo, je suis fatigué. Au coin de la rue qui m’amène au point de rendez-vous, je crois deviner la silhouette de Kevin Parker en peignoir avec un sac de course Franprix dans la main. L’inconscient travail sec. Aidé par le leader de Tame Impala sur son premier EP, Moodoid possède ce petit truc en plus, cet effet lévitation produit par réverb et flanger, qui donne à l’ensemble l’allure d’un rêve éveillé, et qui plus est chanté en français – quel tour de force. Cet instant a-t-il vraiment existé ? On pourrait presque se poser la même question en écoutant le disque publié par Pablo chez Entreprise, tant le « psychédélisme positif » qu’il impose au public français contraste d’avec toutes les mélodies torturées de jeunes mecs qui se croient plus royalistes que le roi, plus Syd que Barrett, plus Ty que Segall, plus copié que collé quoi.
L’apparente simplicité qui se dégage du « Monde Möö » prend source dans l’histoire de Pablo. Fils d’un célèbre saxophoniste de jazz français (Jean-Marc Padovani), il a non seulement passé son enfance sans babysitter « à attendre que papa finisse ses concerts, sur le bord de la scène », mais aussi à voir débarquer à la maison des musiciens biscornus, souvent connus, parmi lesquels Didier Malherbes de Gong, qu’il rencontre pour la première fois à l’âge de… 6 mois. Et qu’on retrouve aujourd’hui sur le disque du fils, sur quatre chansons. Boucle bouclée pour un disque où l’esprit du free jazz plane sur des refrains chorusés à base de pop synthé CASIO.

Un peu surpris par le succès critique de ce disque miraculeux, il aura donc fallu attendre quatre mois pour que Gonzaï daigne prendre le train en marche. On a parfois l’orgueil mal placé : on aimerait être les seuls à parler de l’objet qu’on aime, on voudrait garder pour soi ce qui mérite pourtant d’être entendu par tous. Face à nombre d’artistes qui débutent et n’ont souvent rien à dire, et parfois même rien à faire entendre, Pablo Padovani et ses comptines d’Aladin bariolé méritent au moins une session de rattrapage, si ce n’est plus. Rencontre dans le mood, où l’on apprendra que la musique de Pablo ressemble à « une pilule molle et crémeuse ».

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Tout est parti très rapidement sur ce premier album, c’est presque effrayant.

Ultra rapide. Très intense, au sens du rythme.

A quand remonte le projet Moodoid, exactement ?

J’ai commencé par enregistrer moi-même un premier EP – un EP qui faisait quand même 45 minutes ah ah – et que j’avais mis sur Internet ; c’était rien de plus que des démos, avec déjà le titre La Montagne, Je sais ce que tu es, etc. Et c’est comme ça que le label – à l’époque Entreprise s’appelait encore Third Side Records – m’a contacté, et c’est à cette même époque que j’ai rencontré Melody’s The Echo Chamber. C’est quand je l’ai rejoint que tout s’est emballé. Quand Kevin Parker – ex-boyfriend de Melody, fin de parenthèse people – a accepté de produire l’EP, ça a été très vite. J’avais même pas signé de contrat avec le label quand on a balancé le premier clip sur Youtube, j’étais parti en vacances à l’île d’Oléron…

Tu ne t’attendais pas du tout à ce succès spontané ?

Je me doutais bien qu’avoir le soutien de Kevin Parker serait quelque chose d’important, mais jamais j’aurais pu imaginer qu’on aurait 15 000 vues en deux jours sur la vidéo, et que deux mois et demi plus tard je me retrouverai à jouer devant tous les directeurs artistiques de maison de disque de Paris. C’était une période un peu naïve, c’était le début.

Tout s’est fait en l’espace d’un an, finalement.

Oui. Vu les réactions un peu partout, l’idée c’était d’être réactif pour profiter de ce petit intérêt. Un mois après tout ça, je suis parti à la campagne et j’ai écrit le disque en octobre 2013, en une semaine.

Un disque écrit en une seule semaine, donc. [un peu interloqué]

Oui. Je sais pas pourquoi mais j’ai tout écrit en partition pour ce disque, c’était plus pratique car on était pressé. J’ai donc écrit tous les textes, écrit toutes les lignes d’instruments puis envoyé toutes les partitions à chacun des musiciens que je voulais voir jouer sur l’album.

Et Kevin Parker a produit l’album également ?

Non, seulement une chanson. Celle qu’il voulait mixer avant de faire l’EP, et qui finalement avait été écartée du tracklisting. C’est Yes and You, la seule chanson en anglais sur le disque, finalement produit par Nicolas Verne, un Français exilé à Brooklyn depuis vingt ans. Il a produit des trucs comme Animal Collective, Deerhunter, …

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A l’inverse du parcours traditionnel consistant à galérer pendant quatre ans avant de finalement flancher faute de succès, tout semble simple pour Moodoid.

Sauf que tout n’a pas été aussi simple, j’avais un peu la folie des grandeurs. Ce qui est certain, c’est que je ne suis pas le genre de mec à avoir beaucoup de soucis, de doute. Disons que je fais mon truc et que si tout le monde me plante parce que ça ne plaît à personne, je m’en fous. Je continuerai à faire mes chansons, je ferai autre chose. La musique pour moi c’est un besoin ; j’ai besoin de les expulser, c’est mon euphorie, ma manière pour jouir.

Le fait est qu’il y a ce coup de flanger sur les guitares qu’on retrouve aussi chez Tame Impala. Sans dire que tu lui ai piqué des tricks, qu’est-ce qui t’a donné envie d’aller dans cette direction pour, au final, accoucher de ce qu’on pourrait appeler du « psychédélisme positif » ?

Bien sûr je suis évidemment fan de Tame Impala, de plein d’autres choses aussi. Mais ça fait partie des influences. Mais je trouve aussi que si l’on écoute le disque de Selda [une artiste turque rééditée sur le label anglais Finders Keepers, également souvent citée par Forever Pavot, NDR], y’a beaucoup de phaser… Kevin Parker a dû beaucoup l’écouter ce disque, ah ah ! En fait je vais te dire : j’ai penser le projet Moodoid avant même d’avoir écrit la moindre chanson. Je voulais un truc pop sous contrôle, avec l’envie d’un disque composé avec un synthé dans un vide-grenier, une guitare 12 cordes et un effet de voix.

On en vient à ce « Monde Möö ». Ca t’inspirait quoi ce titre d’album ? Les montres molles de Dali ?

J’adore les sons mous, et les choses molles en général. J’avais donc envie d’un disque qui parle du mou, de ces matières malléables, distordues. Je propose une musique qui prend un peu la forme qu’elle veut. Ca peut aller vers la musique du monde, le jazz, la pop… Alors « Le Monde Möö », c’est un peu un mélange entre un livre pour enfant et une ode au sexe, aux maladies vénériennes. Et le plus drôle dans cette histoire, c’est que tout le disque a été enregistré dans le village du sud-ouest où j’ai grandi, et qui s’appelle… Assier. Voilà la blague : Tout mon monde mou a été composé à Assier !

Moodoid, moi ça m’évoque un nom de médicament. Si tu devais rédiger la posologie et devais trouver la maladie que le Moodoid soigne, ce serait…

Tu ne seras pas surpris que mes potes, au départ du projet, faisaient des analogies douteuses avec les hémorroïdes. Mais bon, je suis pas sûr que le médicament Moodoid serait un médicament qui puisse soigner grand-chose ; ce serait plus une pilule molle et crémeuse.

Moodoid // Le Monde Möö // Entreprise
https://moodoid.bandcamp.com

28 commentaires

  1. J’ai juste vérifié le request google « Gonzai + Sauvé par le gong » parce que j’étais sûr de l’avoir déjà placé qq part ce titre, comme quoi tu vois… les grands esprits, toussa.

  2. Je me suis fait une matinée Peter Hammill hier : « The Future Now », « Silent Corner », « Over » et « Nadir’s Big Chance ». Et bien les deux derniers cités sont des merveilles dont je ne me lasserai jamais. Je ne vois guère que Bowie et Joni Mitchell pour avoir mis la barre aussi haut à cette époque.

  3. Oserais-je ajouter mon modeste grain de sel à ce concert de louanges ? Eh bien, j’ai vu Moodoïd sur scène, et je suis bien obligé d’avouer que je n’avais pas ressenti un tel choc depuis la Bande à Basile … Du coup, ayant une santé fragile, je n’ai pas acheté les chaussettes ni le disques vendus à la sortie. Visiblement, j’ai raté quelque chose – ou pas.

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