20 mai 2011. 21h. 18e arrondissement de Paris, chez Untel. « Les lentilles corail, tu aimes ? », me demande mon hôte, le nez dans la cuisine qui est aussi le salon. Tout prince qu’il est, monsieur Untel ne mène pas la vie de château. On papote sur fond de musique classique pendant qu’il jongle au four et au moulin. La raison de ce dîner : Johnny. Johnny Hallyday.

Johnny, c’est comme les lentilles : je connais, œuf corse, mais je ne les connais pas corail et cuisinées façon syrienne avec des amandes, des raisins secs et du miel. Or c’est un peu ça l’Opération Johnny de Monsieur Untel : un hit single associé à un programme de télé aussi mystérieux qu’ambitieux qui, comme une recette de chef, relèvent la saveur et la grandeur de l’ex-idole des jeunes. Ça m’a donné envie de m’ouvrir à Johnny. Et Untel, of course.
« Après plus de 50 ans de carrière, 47 albums studio et 25 albums live, plus de 100 millions de disques vendus, 40 disques d’or, 22 de platine, 3 de diamant et 8 Victoires de la musique, 28,4 millions de spectateurs en 180 tournées et plus de 1000 chansons, Johnny est le plus célèbre des chanteurs francophones », précise, grand seigneur et majordome, Monsieur Untel dans l’intro du cahier des charges de son Opération Johnny. Kesako? Pour résumer, un projet d’émission de télé entre road-movie et télé-réalité axé sur cette quête : faire écouter le morceau à Johnny pour qu’il le chante et le sorte en single. Si le projet peine encore aujourd’hui à voir le jour, Untel est toujours inside. Avec sous le bras une vraie chanson composée pour Jojo, à ce jour jamais sortie des cartons.

Untel ? Comme son nom l’indique, c’est un artiste à la fois (trop ?) méconnu et alternatif, conceptuel et tatillon. Mais un artiste qui s’adresse aussi au plus grand nombre. Musicien pop, auteur-compositeur-interprète de deux albums, dont « Bien à vous », sorti en indé en 1994 et signalé découverte FNAC et découverte à Bourges, et « Le Bureau des affaires animales », sorti en digital en 2006. Monsieur Untel a tant de cordes à son arc qu’il ne se restreint pas au seul champ de la chanson.

Il est aussi (surtout ?) « PDG sans parachute » de Polystyrène TV, label qu’il a créé en 1999 à Beyrouth sous les traits d’une chaîne de télé interactive, intervieweur de personnalités de la politique et du show-biz mais aussi « artiste-vidéaste (non-encarté) et consultant-expert vestimentaire sporadique de Mme Joly » depuis 2 ou 3 ans. Drôle d’oiseau, électron libre, warholien, dandy : voilà les mots plus ou moins bien trouvés qu’oseraient les Inrocks s’ils parlaient d’Untel.

En 2003, dans le magazine de ma fac’, je le qualifiais d’« esthète Filéas Fog, Mister Cocktail mi-star personne ». Look («  important dans ce monde chaotique car c’est ce que tu adresses aux gens, ça fait partie du décor de la ville »), chanson (« un art, autre chose que les concerts où tout est question d’orgasme, de flash, d’éphémère, car tu fabriques de la matière durable et tu es responsable de la matière durable que tu transmets aux autres »), Untel m’avait marqué. L’opé’ Johnny ? C’est ce qui nous réunit aujourd’hui.

La table dressée, les pistaches achevées, les lentilles corail presque prêtes, Monsieur Untel va enfin cesser de bouger comme un insecte (un peu Playmobil et « Polnarêve » avec sa coupe et ses grandes lunettes), et on va donc s’y mettre. Se pencher (sans Optic 2000) sur ce que trament cette chanson et cette émission de télé « transgenre » sur et pour Johnny. A quelle sauce va-t-il être mangé ?  Zoom, zoom. Zen.

Bonjour Untel. La dernière fois qu’on s’est vu tu m’as appris, écoute à l’appui, que tu avais écrit une chanson sur-mesure pour Johnny Hallyday. Quelques semaines après tu me mailais un dossier intitulé Opération Johnny détaillant Comment t’est venu ce projet un peu fou ?

En fait les choses sont venues les unes après les autres. Mais tout a commencé sur ma terrasse à Beyrouth, il y a 9 ans, au printemps 2002.

Ça date ! Déjà en 2006, à l’occasion de la sortie de ton deuxième album Le Bureau des affaires animales, tu me disais que tu désirais collaborer avec Johnny…

Ah c’est certain car c’est ce jour-là, entre deux araks (« Eau de vie tirée de la distillation de différents produits fermentés (riz, canne à sucre, sève palmiste, orge, raisin, dattes) » dixit mon Petit Larousse illustré – nda) et un café, qu’on s’est mis à écrire la chanson pour Johnny. Après chacun est retourné à ses propres projets et c’est moi qui ai bossé dessus parce que moi quand j’ai une idée je lâche pas le truc comme ça. La preuve : 9 ans plus tard c’est ce qui nous anime ce soir !

Tu dis « on », avec qui as-tu commencé à l’écrire ?

Brushing des Brushing Brothers (Emmanuel Vilin – nda), un des artistes de Polystyrène TV, Yasmine de Soapkills (duo électro pop arabe formé en 97 avec son mari Zeid Hamdan – nda), qui a ensuite fait le projet YAS avec Mirwaïs, et moi. Ce jour-là on est à la terrasse de mon salon japonais et l’un d’entre nous dit : « Il va quand même  falloir qu’on se sorte un jour ou l’autre de la mouise ! Qu’est-ce qu’on pourrait et qu’est-ce qu’on aimerait faire ensemble ? Quel beau projet ? » Et là, ça sort : « Ecrivons une chanson pour Johnny. » Mais la plus belle chanson qu’on puisse imaginer pour Johnny.

C’est vrai que ça pourrait aider à se sortir de la mouise…

Bah oui. Et puis il est beau Johnny, moi je l’aime. Du coup on réfléchit et très vite on se met à faire des schémas à partir de tout ce qui le définit et constitue sa vie, ses amis, son  caractère, un premier travail d’écriture que j’ai vraiment poursuivi après au niveau du son, des syllabes. J’ai fait tout un travail labial. Je me devais de respecter la manière dont il aime chanter et les sonorités qui lui vont bien pour savoir là où il pourrait mettre sa puissance et ses fragilités.

A partir de là tu t’es donc mis à beaucoup écouter sa musique ou tu l’écoutais déjà ? L’autre jour tu m’avouais ne pas être « un vrai fan de Johnny »

Je ne l’écoutais pas beaucoup. Par contre ses chansons que j’ai toujours aimées, je les chante depuis toujours et je les chante en concert. Je chante Le Pénitencier depuis plus de 20 ans. Pas dans tous mes concerts mais une fois sur deux ou une fois sur trois. Maintenant je chante aussi Tennessee et Retiens la nuit. Ah, Retiens la nuit … merci Aznavour !

Quand j’étais petit je ne comprenais pas ce que ça voulait dire, « Retiens la nuit »…

C’est un peu abstrait ouais. Enfin, c’est beau.

Moi j’y voyais un prêche contre l’incontinence nocturne ! Retiens-toi de faire pipi au lit !

De l’incontinence, c’est moche (rires) !

Passons ! Et donc avec ces chansons cardinales tu étais entré dans l’univers de Johnny ?

Alors y’avait à la fois celles que j’avais en tête, que je jouais, qui étaient des points cardinaux comme tu dis, et y’avait aussi celles que je découvrais chez des gens. Certaines m’ont ému et donné beaucoup d’indices, de pistes de travail. Alors là il faut mettre des raisins secs et ça va être fabuleux, sucré salé !

Mais pourquoi avoir mis tant de temps à faire ce morceau ? Tu l’as trop sacralisé ?

Euh non. (Silence) Je voulais la lui donner sans la moindre faille. C’est comme s’il me l’avait commandée en un sens, que la France me l’avait commandée ou que je ne sais pas quoi l’avait commandé par moi pour Johnny… (…) Alors après ça va balancer, je tiens pas tellement à parler des tocards qui ont écrit pour lui… mais y’en a un paquet.

Tu veux dire qu’avec ce morceau ton idée c’était aussi de sauver le soldat Johnny ?

Non, pas le sauver car l’opération Johnny c’est pas une opération de sauvetage. Mais moi en tant qu’artiste, je pouvais pas me dire que j’allais juste faire une chanson de plus pour Johnny. C’est Johnny quoi ! C’est une voix incroyable que les dieux lui ont donné, une énergie folle, un destin hors du commun, une carrière, la France, un rapport au pays. Voilà, c’est pas un truc que je pouvais prendre juste pour faire du pognon.

Et tu trouves que c’est ce que certains ont fait avec lui : juste prendre le pognon ?

Oui, je pense que sa carrière aurait dû être beaucoup plus riche en chansons incroyables.

Tu trouves qu’il est en petite forme ces dernières années ?

Peut-être que je me trompe, mais je crois que dès le départ il a lui-même critiqué les chansons que lui faisait chanter Vogue *. Il estimait que la qualité et le style des titres ne lui allaient pas. Il l’a dit au taulier de Vogue, ils ont eu une discussion un peu tendue devant des journalistes, tout ça, le mec lui a dit : « Ecoute Johnny, tu fermes ta gueule et tu chantes. » Johnny a eu cette réplique, il a dit : « Comment voulez-vous que je chante en fermant ma gueule ? » Et il lui a claqué la porte. Voilà, c’est quelqu’un qui a sûrement eu une sorte de lassitude de ce métier, de tout ça…

De Johnny, on sait que c’est un grand chanteur et une bête de scène, mais on ne sait pas s’il a vraiment la main sur la direction artistique de ses disques. A-t-il d’ailleurs jamais composé un seul des morceaux qu’il a interprété ?

Il en a signé certains. Alors sont-ils vraiment de lui ou a-t-il racheté les droits d’autres gens ? Pour des raisons de business ce serait possible. Mais je pense qu’il a quand même composé, parce qu’il aime vraiment la guitare. Il est d’ailleurs supposé être l’auteur de Cheveux longs, idées courtes, en réponse à Antoine qui avait dit vouloir Johnny en cage à Médrano (il chante ça en 1966 dans Les élucubrations d’Antoine, premier album qui le rendit célèbre : « Oh, yeah ! / Tout devrait changer tout le temps / Le monde serait bien plus amusant / On verrait des avions dans les couloirs du métro / Et Johnny Hallyday en cage à Médrano », Médrano étant le nom d’un clown espagnol qui a renouvelé le comique des clowns, fondant le Cirque du même nom, avant de mourir en 1912 à Paris – nda). Il est crédité en tous cas. Alors là je te demande un petit instant car c’est un moment un peu délicat (Il goûte – nda).

Et toi quand tu te lances dans l’écriture de cette chanson, tu t’immerges dans l’univers de Johnny, et tu te mets à triper au-delà de la chanson comme si tu faisais un mémoire sur Johnny ?

Ouais, absolument, je réfléchis. Enfin réfléchir n’est pas le mot. C’est-à-dire que par moments je devenais Johnny, comme une transe… J’ai fait des rêves très étranges durant cette période.

Tu te rappelles de la teneur de ces rêves ?

Ah oui, par exemple j’ai été Johnny à l’Olympia.

Ah oui ?!

Bien sûr, ouais. Mais bon je pratique la méditation, tout ça, donc il m’arrive d’aller assez loin. J’ai déjà été une fleur, sentant le vent sur mes pétales, j’ai déjà eu des expériences de ce genre. Devant des gens qui m’ont vu partir avec rien, juste comme ça, tout à coup. Et j’ai été Johnny. A l’Olympia. Je me souviens très bien que ça ressemblait à l’Olympia. Oh, pas longtemps ! C’est des éclairs, des trucs en sommeil. Mais je l’ai ressenti. Voilà, très étrange.

Cette opération Johnny n’est-elle pas pour toi, auteur-compositeur-interprète, un moyen de dynamiter la triste condition de l’auteur-compositeur-interprète d’aujourd’hui ?

Euh précise ?

Le jour où tu m’as fait écouter ta chanson pour Johnny, on parlait des chanteurs d’aujourd’hui. Johnny n’est pas le reflet des chanteurs actuels.

Non.

Ne cherches-tu donc pas en lui, dans le passé, ce qui n’existe plus aujourd’hui ?

Mais y a-t-il des chanteurs actuels ?

On a plein de chanteurs, mais y’en a-t-il un qui incarne vraiment pleinement l’époque ?

Alors y’a Johnny. Et plus présent que Johnny, cette année ça va être difficile. Là il va occuper le terrain. Il va enquiller trois Stade de France.

Il paraît qu’aucune de ces dates n’affichent complet ?

Si, celle de son anniversaire, le 15 juin. Les autres peut-être pas mais celle-là affiche complet. J’ai donc pris cette chanson très au sérieux, artistiquement et techniquement, dans le sens où, comme je te le disais, j’ai fait un vrai travail au niveau des sonorités, les percussives, tout ça en accord avec le travail sur la guitare rythmique. C’était important parce que la chanson parle beaucoup de guitare. Mais qu’est-ce que je fais ? Je ne dois pas dire de quoi elle parle. Chut !

Au départ, avais-tu envisagé de proposer cette chanson à Johnny pour qu’elle figure sur un de ses futurs au milieu de chansons d’autres compositeurs ?

Non, je ne me voyais pas du tout la placer dans un album avec des chansons d’autres auteurs, je voulais en faire un hit. Parce qu’en plus, en 2002, on pouvait encore imaginer faire un peu d’argent avec ce genre de choses, ce qui n’est plus le cas, même si Johnny est un client un peu à part à part dans le sens où son public achète encore des disques. Mais oui, je voulais en faire un 45 tours, vraiment, ce qu’elle est d’ailleurs pour moi. Ce n’est pas une chanson d’album. Par contre c’est aussi une chanson de scène. Elle a vraiment été faite dans cet esprit : être une chanson de hit et de scène.

Tu trouves qu’il en manque ?

Dans le dernier album ?

Par exemple. Tu l’as écouté d’ailleurs ?

Bah j’ai pas pu ! J’ai écouté le début, la première, à moitié, et puis… bah j’ai pas pu quoi.

Précise.

Oh je pense pas qu’il faille en parler, c’est un peu gênant car j’ai pas pu poursuivre l’écoute.

Au contraire, je pense que c’est intéressant d’en parler.

Je trouve ça totalement hors sujet dans le sens le plus grave car le sujet c’est Johnny et Johnny c’est un grand sujet, quelqu’un qui touche vraiment la population française dans des endroits délaissés par les politiques, les économistes, dans cette France qu’on appelle parfois la France d’en bas, qu’a pas grand-chose mais qui, entre autres choses, a Johnny.

Et tu trouves que son dernier album se moque de ces gens-là ?

Oui, il s’en fout complètement. Enfin, il a sans doute été fabriqué pour être vendu à ces gens, mais alors c’est penser qu’on peut faire n’importe quoi, genre : « C’est pas grave, c’est pour des cons ». Je sais pas, j’ai un peu eu cette sensation, genre : « C’est pas grave, comme c’est son dernier disque avant ses adieux, les gens vont l’acheter. » Non, ils l’achètent pas, et j’aime bien quand y’a une espèce d’évidence à l’envers, comme ça. 

Moi j’ai écouté le disque, « Jamais seul », et au départ, comme toi, j’ai été très désarçonné par ce que l’équipe de –M– lui faisait chanter, etc. Je me disais genre : « Il y a sacrilège, ils trahissent l’ADN de Johnny », mais ensuite, comment dire, ça m’a presque épaté…

Ah bon ? Mince, il faut pas que je m’arrête à la première chanson alors…

Je me fais un peu l’avocat du diable, mais disons que j’ai fini par avoir le sentiment plutôt sympathique que –M– lui avait justement permis de prendre sa liberté avec ce que Johnny représente. J’ai senti que ce disque était fun, vivant, insolent, qu’il était comme un anti « Bleu Pétrole », le dernier Bashung que je trouvais pécher par excès de zèle, odeur de sainteté, tu vois ?

Nom de Dieu ! Nom de Dieu !

J’ai entendu un mec qui chantait avec plaisir comme si on lui avait donné des vacances, une entreprise profane mais facétieuse à mille lieux du Johnny qui devrait soi-disant sans cesse honorer ses fans et le pays en s’agenouillant devant son mythe wok’n’woll…

Ouais ? Facétieux ? Vraiment ? Merde ! Bah alors incroyable !

Peut-être que je me trompe et que je suis mal placé pour parler de tout ça. Ce disque, je ne l’aurais pas écouté si tu ne m’avais pas parlé de ton Opération Johnny. Et puis bon, je ne sais pas si tu as vu, mais tu n’es pas le seul à ne pas aimer cet album, il s’est fait lyncher par la critique. Y’a un vrai retour de bâton médiatique, genre « Touche pas à mon Johnny ! ». Tout ça a excité ma curiosité…

Mais attends, on parle bien de « Jamais Seul » ? (D’une voix grave à deux de tension, il se met à chanter le refrain du morceau-titre.) C’est quoi ça ? Après j’entends ce que tu dis et je ne peux rien dire. J’ai écouté ce morceau et mon ordinateur est tombé en panne. C’est vrai d’ailleurs !

Si je te parle de ce disque réalisé par –M– et ses potes c’est surtout pour poser le cadre. Parce que voilà, par la force des choses, comme elle arrive après, ton opération Johnny va être reçue dans ce contexte de dernier album controversé.

Oui, bien que ma chanson ait été faite avant.

Oui, mais les gens vont sans doute les mettre en balance, se disant que dans cette histoire tu joues un peu les justiciers…

Bah c’est la chanson qui va remettre les pendules à leur place, comme aime dire Johnny.

Il dit ça Johnny ?

Oui. Je vais quand même baisser un peu la musique, j’ai peur que ça te parasite. Enfin que ça te parasite, c’est Mozart, on a les parasites qu’on peut mon cher Sylvain ! Y’a une interview très célèbre de Johnny par Antoine De Caunes dans Nulle Part Ailleurs, et je sais plus ce que De Caunes lui dit mais Johnny dit : « J’ai remis les pendules à leur place ». Alors De Caunes le reprend et lui dit : « Les pendules à l’heure, Johnny ». Et Johnny dit : « C’est ce que je dis : les pendules à leur place. » Moi, j’adore cet humour !

Tu as d’autres exemples comme ça sur Johnny ?

Ouais, quelques-uns. Johnny, il a beaucoup de recul sur lui et sur l’image qu’on a de lui.

Le film Jean-Philippe en témoigne. C’est une énigme cette part de Jean-Philippe Smet dans Johnny. Jean Philippe, le film, tournait autour de ce mystère avec son super slogan : « Et si Johnny n’avait pas existé ? »

Il était très intéressant, hein ?

Je pense que c’est aussi pour ça que son dernier album est intéressant. Parce qu’en fait ma théorie c’est que –M– a fait un album pour Jean-Philippe Smet.

Ah oui, ça c’est très intéressant.

Dans son dernier album, Mathieu Chédid devait tuer –M–, son personnage, et il ne l’a pas fait. Dans ce disque qu’il a intitulé « Mister Mystère », il l’a au contraire maintenu sous respiration artificielle. Et j’ai l’impression qu’il a reporté ce « coming out » sur Johnny. Il a assouvit cette pulsion de meurtre à travers Johnny. D’où des titres audacieusement neuneus comme « Paul et Mick », « Guitar Hero », etc.

Possible. Le truc c’est que le côté personnage, moi, je le sens plus chez –M– que chez Johnny. Je pense que, là-dessus, sur l’image, y’a beaucoup plus d’humour chez Johnny que chez –M–. (Il se met à fredonner L’idole des jeunes – nda.) Très tôt on lui a fait chanter ça, du coup je pense que très tôt il a eu la sensation d’être dans un entre-deux, d’être vraiment lui tout en étant un autre. Et puis après faut voir que Johnny et –M– sont deux gamins qui ont vécu des histoires très très différentes. –M– est issu d’un confort bourgeois. Johnny c’est plus barnum. Un peu déglingue. Un père pas là. Tout ça. Chez –M–, c’est le contraire. Le père très présent. Louis Chédid, tout ça. Bref, la question c’est : est-ce que Johnny aime cet album ?

–M– soutient que Johnny s’est amusé comme un fou à faire ce disque.

Mince…

Et comme tu dis qu’il a de l’humour, ça lui a peut-être plu à Johnny. Après, je sais pas, ça se trouve ils lui ont forcé la main à coup de pèt’ : « Viens Johnny, on va Smet bien ! »

Ah bah là t’es au niveau de Paul et Mick.

Ouais ! Mais c’est peut-être ça qui choque que les gens et ce qu’ils ne veulent pas voir : que Johnny soit consentant dans l’affaire et beauf de se montrer en Jean-Philippe Smet.

Sauf que c’est pas vraiment intime, suprasensible, c’est des vannes, non ?

Oui, mais justement, ne serait-ce pas le côté beauf et fan boy de Jean-Philippe Smet ?

C’est quoi un « fan boy » ?

Là ce serait l’enfant en lui, le fan de rock, un peu gaga, ludique, qui tomberait le masque après toutes ses années à essayer d’être l’égal français de ses idoles anglo-saxonnes…

Oui mais ça c’est parce que –M– ne sait pas jouer autrement. Il n’a pas un vrai jeu de rock.

Son jeu est trop pop cartoon ?

Oui, il est dans la blague.

Ce qui est marrant c’est que –M– défend quasiment cet album comme l’album de blues que Johnny a toujours voulu faire !

De blues ?! Pas « Jamais seul » en tous cas ! C’est pas possible, faut que j’écoute le reste…

En tous cas la vraie question c’est : Johnny a-t-il voulu tout ça ?

Déjà je serais content de savoir qu’ils se sont beaucoup amusés ensemble car jusqu’à présent j’avais l’impression que ce disque lui avait fait plus de mal que de bien. Après faut savoir que bosser avec –M–  c’était pas l’idée de Johnny.

C’était l’idée de qui ?

De Laetitia. Et au départ quand Johnny lui a demandé ses services, –M– a refusé tout net donc bon…

Oui, j’ai lu une interview où il disait qu’il le sentait pas trop, qu’au mieux il lui écrirait une chanson s’il trouvait le temps, et je me disais que le mec faisait sans doute preuve de lucidité et d’humilité à se rendre compte qu’il n’était pas l’homme de la situation.

C’est pas ce que –M–  a dit. Il a dit : « Je vois pas mon intérêt ».

Il ne voyais pas son intérêt ?!

Non, ne cite pas, c’est chiant, parce qu’après blablabla, et –M– aime beaucoup ce que je fais, c’est gênant. Et puis moi, je ne peux pas dire grand-chose, j’ai écouté qu’une moitié de titres. Mais voilà, c’est pas que j’ai pas reconnu Johnny, c’est juste que je trouve que cette chanson a un pathos laborieux et rien qui se développe, pas une mélodie. Du coup Johnny arrive à peine à chanter. Je trouve que c’est un vrai manque de respect pour les fans. Regarde, y’a même une chanson qu’a été écrite par son coach sportif. On en est là quoi.

J’ai lu ça dans des articles oui, mais je pense que les journalistes se sont trompés car en regardant les crédits des chansons, en tant que paroliers, à part –M– et Maxime Nucci, je n’ai vu que le nom d’un certain Hocine Merabet…

Hocine, oui…

Qui serait le complice d’écriture de –M–…

Que je ne connais pas, oui…

Et qui serait acteur car il joue un coach sportif dans Les Petits Mouchoirs de Canet…

Ah, ce serait ça le délire ? C’est possible. Très possible. De toute façon, faut rien croire.

Toi, si on t’avait demandé de faire tout un album pour Johnny, tu l’aurais fait ?

Mais c’est certain ! Ca m’aurait juste pris du temps du coup (rires) !

Oui, environ 12 x 9 ans : plus d’une vie !

Tiens, des baies de goji. Elles poussent sur les hauts plateaux tibétains. C’est le fruit le plus riche en antioxydants du monde. Je ne sais pas si tu aimes. Sinon je peux te proposer du miel. Il ne m’en reste plus beaucoup, mais ça peut rajouter une touche qui peut te faire décoller.

Tu aurais donc accepté d’écrire tout un disque pour Johnny ?

Mais j’aurais plus qu’accepter : j’aurais été tellement ému de cette confiance, de cette envie, que je me serais passionné pour ce travail avec lui. Car voilà, l’intéressant c’est aussi ça : travailler avec lui. Du coup je me dis que c’est quand même fou d’envisager que ça ne puisse pas être une bonne idée de travailler avec lui. C’est une rencontre musicale comme on ne peut pas s’en souhaiter beaucoup dans sa vie.

Oui, c’est à se demander ce qui fait bander –M– !

Je sais pas. Il a engrangé tellement d’argent sur sa dernière tournée qu’il ne pense peut-être plus qu’au pognon et qu’il s’est dit qu’il en avait assez. Bon appétit ! Je sais pas si c’est bon. Je sais pas ce qui motive le gars quand il dit non.

Oui, c’est pour ça que j’ai pensé qu’il ne devait pas se sentir être « l’homme de la situation ».

Oui, mais alors pourquoi accepter après ?

Peut-être que Nucci et Merabet l’ont convaincu, lui disant qu’ils se joindraient à lui…

Ou alors Warner a fait monter les enchères jusqu’à ce qu’il dise oui. C’est possible. Les mecs se sont dits : « Qu’est-ce qu’on fait ? Allez, on propose 10 fois le prix. » Et là le mec a dit oui. Ou Johnny l’a appelé. Je sais pas. Mais c’est pas grave, moi je suis dans l’Opération Johnny. Et j’en parle beaucoup depuis que j’ai lancé le projet. J’en parle avec des chauffeurs de taxi, avec des gens sur les marchés, etc. et c’est étonnant de voir ce que le peuple, qu’on appelle les petites gens, dit de Johnny. Comment tout de suite ils embrayent. Comment ils peuvent parler de plein de sujets en parlant de Johnny…

Tu parles avec des pincettes de « France d’en bas », de « petites gens ». Tu ne penses pas que ton opération Johnny puisse générer un malentendu, qu’on croit que tu tournes tout ça un peu en dérision, toi qui est dandy, parisien et pas un fan pure souche de Johnny ?

Alors c’est bien qu’on aborde ce point-là. Moi je suis un artiste : je suis le lien entre le peuple et les élites, qu’elles soient financières, politiques, etc. Je suis ni l’un ni l’autre. 

Oui, mais alors qu’il est plutôt dans la dèche, un artiste peut, par son look, sa culture et ses manières, donner l’impression qu’il est plutôt du côté des élites. C’est un peu ton cas. Or, le grand public ne te connait pas, il ne sait pas qui tu es ni d’où tu viens.

Si l’on suit mes aventures vidéo sur Internet, on sait quand même un peu où porte mon cœur. Les autres n’ont qu’à chercher. Et ils verront que je suis plus proche de Robin des bois que du duc de je sais pas quoi.

Je disais que la presse avait donné l’impression d’avoir traité l’affaire –M–/Johnny comme un pendant musical de l’affaire Banier/Bettencourt, si tu vois ce que je veux dire, mais qu’un Robin des bois allait bientôt rendre sa dignité à la vieille idole des jeunes !

(Rires.) C’est bien que tu me parles de ça ! Parce que je suis sérieux à peu près depuis le début mais toi tu l’es pas du tout ! T’es parti dans un délire ? Ah d’accord. Ah ouais bah très bien.

Ah mais je suis sérieux !

Y’a rien de plus sérieux que l’humour ! Bien sûr. Ah, c’est très très très bien. Je vais remettre un petit peu de Mozart, si tu veux bien ! La face 2 des Noces de Figaro ! C’est une excellente nouvelle que cette petite transmission télépathique que nous venons d’avoir et qui a recadré complètement l’interview.

http://operationjohnny.com/ 
Crédits Photo: Natacha Gonzalez


* Untel dit vrai : l’incident avec sa première maison de disques survient en mars 1961, un peu plus d’un an après la signature de son contrat, quand Johnny, alors âgé de 18 ans, est déjà devenu une vedette sur la foi d’un 45 tours, T’aimer follement, d’un EP, Souvenirs, souvenirs, d’un 33 tours, Hello Johnny, d’un faux live, Johnny et ses fans au festival de Rock’n’Roll et d’un premier album, Nous les gars, nous les filles, et de concerts agrémentés de roulades par terre : n’étant plus seul sur le marché du rock, il souhaite des arrangements plus sophistiqués à base de saxo et de claviers pour, par exemple, se démarquer des Chaussettes noires d’Eddy Mitchell, ce qu’on lui refusera.

4 commentaires

  1. Super interview, passionnante d’un bout à l’autre.

    Je serais vraiment curieux de voir le résultat de cette « opération Johnny » si jamais elle pouvait aboutir. Quoiqu’il en soit, la démarche d’Untel et l’implication qu’il y met ont quelque chose de touchant. On sent qu’il est à fond..

    Merci.

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