Et si la belle Nico, presque 20 après avoir taquinée la banane de Lou Reed et d’Andy Warhol, ne s’était pas connement gaufrée à bicyclette sur l'île d'Ibiza en 88, en emportant avec elle sa voix caverneuse ? Et si Sarah Connor, au lieu de passer son temps à éviter les balles, avait eu le temps de faire mumuse avec des boites à rythmes et des synthés dans sa piaule capitonnée ? Deux hypothèses pour tenter de comprendre d’où vient le son d’Elisabeth Like A Dream. Encore une preuve que pour rêver on est toujours mieux dans le noir.

1985 est une année incroyable. Michaël J. Fox et Christopher Lloyd se sont évertués à nous le montrer dans les trois volets de Retour vers le Futur, en aboutissant à la conclusion qui suit : toi, le jeune fou qui met ton ampli à 11, tu peux faire le malin en partant écouter du Chuck Berry dans les 50’s, du dubstep dans un futur en carton ou du ZZ Top dans le Far West, tu reviendras encore et toujours à l’année fondamentale de 1985. Dans l’histoire d’Elisabeth Like A Dream (ELAD) qui nous intéresse aujourd’hui, trois éléments marquants sans aucun rapport entre eux ont lieu cette année-là.

 Mille neuf cent quatre-vingt cinq

En septembre 1985, Nico dont nous parlions en intro, sort ce qui sera son dernier album : « Camera Obscura », un de ses disques les plus étranges. La plantureuse teutonne y expérimente (avec un goût parfois douteux) des mélanges de synthétiseurs, de trompette jazz et de chant d’outre-tombe… Un disque qui sera comme le veut l’expression, son chant du cygne, mais soyons clairs, un chant à vous faire dresser les plumes, et un cygne ayant pris beaucoup de substances évasives pour tenter de concilier Nick Cave et Klaus Nomi. Une voix suave et féminine sur fond de nappes synthétiques et de rythmiques froides, première pièce du puzzle ELAD.

En septembre 1985, un 45T sort au même moment en Angleterre : le single Just Like Honey des Jesus and Mary Chain, qui fera partie de leur premier album « Psychocandy ». L’objectif des frères Reid : écrire des chansons des Shangri-Las avec le son bruitiste de Einstürzende Neubauten, en s’inspirant notamment du « Velvet Underground & Nico ». J’avais pourtant dit qu’il n’y avait aucun rapport entre les trois évènements. J’ai menti. Tout est lié. Comme Sébastien. (#jeudemotspourri). D’ailleurs Sophia Coppola ne s’y trompera pas : pour Lost in Translation, elle mettra dans sa BO une musique de Sébastien Tellier à coté de Just Like Honey. Abus de champagne ou choix raisonné, nul ne sait. Mais sur ce morceau essentiel des Jesus&MC, ce magnifique contraste entre cette voix susurrée et réverbérée, douce et mélodique, et ces guitares saturées couplées à une batterie jouée par un robot dans une usine, voilà ce qui forme la deuxième pièce du puzzle.

Dernier évènement marquant de 1985, la sortie de Terminator quelques mois plus tôt, en avril, pour être précise. Le film a mis six mois à traverser l’Atlantique (sorti en octobre 84 aux States); ce qui parait aujourd’hui, entre parenthèses, complètement délirant. En dehors de démontrer qu’on peut jouer un androïde qui se promène à poil dans les rues en buttant tout le monde et quand même devenir gouverneur de Californie, le film a surtout un intérêt majeur, en tout cas le deuxième épisode : montrer à quel point c’est la classe d’avoir des lunettes de soleil. J’en entends dans le fond de la salle qui disent « velvet, velvet », c’est bon les gars, détendez-vous. Dans ce film donc, que vous soyez un robot bodybuildé ou une quarantenaire en débardeur, au moment où vous mettez vos lunettes noires, tout le monde a compris que c’est vous le patron et ça en jette un max. Et sur fond de nappes synthétiques avec un gros tom basse qui fait « doudoum doum doudoum », c’est encore mieux. Troisième pièce.

Elisabeth II

« C’est une affaire très compliquée, avec des tenants… des aboutissants… » nous dirait le Big Lebowski. Une affaire qui nous amène dans la ville de Reims, au pays des bulles et des coupes de champagnes de Sophia Coppola dont on parlait tout à l’heure. A l’ombre de la cathédrale dans laquelle jadis on sacrait les rois de France… Dans le microcosme du rock’n roll, elle est d’ailleurs célèbre pour avoir accueilli un concert devenu mythique de Nico (encore elle) en grande prêtresse gothique, qui avait à l’époque défrayé la chronique.

C’est dans cette ville que sans se préoccuper de tout le bordel cité plus haut, Aleksandra Plavsic et Myriam Bâ forment en 2012 le duo Elisabeth like A Dream. La première au chant, à la guitare et à la programmation des synthés / machines, la seconde à la basse et aux chœurs, les deux à la production. Premier EP en 2013, puis un magnifique 45 tours Shadow en 2016. Plutôt que de faire comme tout le monde à enchainer premier EP – premier album, les deux rémoises balancent alors juste deux titres de toute beauté, sur un petit vinyle autoproduit et tiré en série limitée. Voix suave et monocorde, guitares saturées se mélangeant à des nappes synthétiques, boite à rythme sobres et efficaces. L’objet est beau, le son est bien, que demander de plus ? Un an et demi après, j’écoute toujours en boucle.

En juin 2017, Magnetic Records sort une compilation de cinq titres du groupe sous le nom de Encounter EP. Rien de nouveau si ce n’est le packaging. Magnetic Records est avant tout une filiale de Cézame, un éditeur spécialisé dans la synchronisation, c’est-à-dire le placement de titres dans des contenus audiovisuels, séries, émissions tv, pubs… Un espoir pour les groupes de faire rentrer un peu d’argent, une aubaine pour certains, une chimère pour d’autres.

Si on était dans un rêve, un producteur gros-cigare les aurait signées sur son label tendance en leur filant une brouette de dollars et un sac de sport rempli de poudre blanche ou inversement. Mais pour le coup, Elisabeth est bien ancrée dans la réalité. Se démener pour trouver des dates, s’inscrire à des tremplins, contacter des professionnels, jouer dans des bars. Des petits succès, des belles dates parfois, un peu de reconnaissance glanée à la sueur de leurs fronts. Mais tout ça n’est pas très intéressant finalement, beaucoup moins que l’imaginaire qui se dégage de leurs morceaux, cet univers froid, robotique et en même temps chaleureux et rassurant. Une voix solitaire perdue dans un monde électrique. Tant pis pour le story-telling. Après tout ce qu’on demande à un groupe, c’est de faire de la musique qui nous embarque, pas de nous envoyer son CV.

Like a dream

Les deux demoiselles jouent vendredi soir au Bus Palladium, c’est peut-être la seule info concrète et tangible de ce papier et on espère que certains narcoleptiques seront de la partie. Et après ? Aucune idée. On espère que le duo trouvera encore au fond de leur imagination des nappes de synthétiseurs et des riffs de guitares étouffés qui nous emmèneront dans les bras de Morphée. Une musique qui pourrait habiter les songes de Bill Murray, un whisky à la main, dans son hôtel japonais éclairé par les néons humides de la ville dans Lost in Translation. Ces mêmes néons et cette même musique qui pourrait se poser sur l’androïde (ou pas ?) Harrisson Ford, endormi sur son piano à rêver d’une licorne qui gambade, dans Blade Runner. Et voilà que mon esprit divague encore…

Elisabeth Like a Dream sera en concert au Bus Palladium le vendredi 8 septembre 2017.

2 commentaires

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