Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec Catherine Ribeiro. C’est un dimanche de novembre, le ciel est gris et mes mains crispées restent terriblement froides.

Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec Catherine Ribeiro. Nous sommes en 2007. C’est un dimanche de novembre, le ciel est gris et mes mains crispées restent terriblement froides. C’est un rendez-vous téléphonique avec la seule et véritable insoumise du rock français.

Mais c’est surtout une rencontre où seuls quelques détails, marqués sur l’écran de mon portable par exemple, me permettent de croire à la réalité de cet entretien. Et puis cette voix, à l’autre bout du fil, qui hypnotise. Une résonance qui n’a rien perdu de sa superbe. Encore moins de sa clairvoyance. Une voix dans la nuit, diraient les plus cyniques.

La grand prêtresse française (Elle déteste ce qualificatif) est de retour pour rejouer avec son légendaire groupe Alpes ce répertoire qu’est le sien. Une beauté d’avant-gardisme qui à l’aube des 70’ se détacha littéralement du sol (et donc de la scène française), fusion de l’expérimentale d’alors (Can, King Crimson, la scène prog’ anglo-saxonne, Triangle ou Magma en France) et fulgurance de textes poétiques précurseurs ayant autant à voir avec Léo Ferré que Gainsbourg ou Gérard de Nerval. Too much too soon auraient dit les New York Dolls. Las. La dame ne sera pas entendue et les nouvelles générations n’auront pas l’occasion de connaître ce monolithe de beauté qu’est Paix. Un vinyle avec seulement 4 titres mais une profondeur infinie et l’oratorio rock en ligne de mire.

C’est cela l’exception culturelle française. 24 albums studios, la moitié de chefs-d’œuvre et pas une seule réédition digne de ce nom par le directeur de son catalogue, Pascal Nègre. Les bandes auraient été, selon Romain Turzi, perdues dans un studio de St Ouen, détruites par le froid. De quoi rajouter au mythe.

Cette grande dame, dont Turzi, justement, et une autre poignée de jeunes groupes se revendiquent, mourra un jour et seules resteront une poignée de chansons qui auront changé ma vie. En attendant cette heure, Catherine Ribeiro parle dans son combiné téléphonique, et le sens des mots devient subitement tout autre.

Bonjour Catherine. Comment allez-vous ?

Extinction de voix, toux. Alors que paradoxalement je n’ai pas été malade depuis plusieurs années. Ce n’est pas le fait du concert qui approche.

Grand prix de l’académie Charles Cros en 78 pour Le blues de Piaf, parution de La déboussole, re-prix de l’académie Charles Cros et puis…..J’ai l’impression qu’une traversée du désert s’effectue à partir des années 80. Les nouvelles générations ne connaissent pas Catherine Ribeiro.

Je n’ai pas eu de traversée du désert, une traversée du désert c’est lorsqu’un artiste ne travaille plus. J’aurais pu être une femme très riche, voire une artiste très riche. On m’en veut aussi pour ça. Quelques « personnalités » du showbiz m’en veulent, face à ma carrière que je trouve exemplaire. J’ai toujours fait ce que je voulais faire. Sans concession.

Je parle de traversée du désert au niveau médiatique.

Ah bah oui, mais je n’ai pas joué le jeu… A l’origine ce n’est pas moi qui ai voulu me marginaliser. Sous Valéry Giscard d’Estaing il régnait une censure terrible. J’étais la seule artiste à avoir sur mes disques la mention « Les textes de ces chansons n’engagent que leurs auteurs ». Gainsbourg l’a eu aussi sur Melody Nelson mais là j’ai pas compris. Même si Melody Nelson reste un pur chef d’œuvre. Et puis à l’époque il n’y avait que 3 stations de radio, 4 en comptant RMC. Bon on comptait pas.

CATHERINE RIBEIRO + ALPES : UNE EXCEPTION FRANCAISE – Gonzaï

Je repense aux paroles de Un jour… La mort («Les riches s’éclataient devant les classes laborieuses/Partout ce n’était que tumulte et cris de guerre / Les écoles maternelles sautaient à la dynamite/ Seuls restaient debout les Elysées, les maisons blanches, les Kremlins»), également à la fête de l’Huma en 1973 à laquelle vous participez, est-ce qu’on peut parler d’engagement politique en ce qui concerne votre œuvre ?

Un artiste n’est pas engagé parce qu’il passe à la fête de l’Huma…. Mais j’étais et je reste une femme engagée. J’ai des convictions et personne ne me les enlèvera. Je suis une femme de gauche.

Mais avec le temps qui passe, les années, êtes-vous devenue aquaboniste, l’engagement est-il toujours intact ?

Qu’est ce que j’ai vu ? Que le capitalisme s’est toujours très bien porté et qu’il se porte aujourd’hui encore mieux qu’hier. Je suis une post-soixante huitarde, nous avons voulu changer les pensées, faire changer les choses. Moi j’ai pris la parole en chantant. Mais il y a des textes beaucoup plus percutants que ceux de Paix. D’ailleurs je me suis dit, en choisissant les titres du concert à venir, je regardais le texte de Paix en voulant le corriger et au final il est resté intact tiens ! Le texte n’a pas vieilli, j’ai juste rajouté un ou deux vers. Je parlais d’écologie à un moment où personne n’en parlait, je chantais «Dans 20 ans il n’y aura plus de fraises « (Le rat débile et l’homme des champs, 1974), force est de constater qu’il y en a encore mais qu’elle n’ont plus de goût, aha !

Au moment de l’écriture de ces paroles, et même musicalement, vous êtes prise par une vision ? La musique d’Alpes est totalement novatrice, enfonce toute la concurrence….

Oui, totalement. Au fond ce qui nous a gêné c’est d’être Français. Nous aurions été Anglais ou Américains on était propulsé dans le monde entier.

Vous vous rendez compte à l’époque de ce carcan français où finalement rien ne se passe ?

Oui, un peu. Mais avec dérision. A la grande époque de Ribeiro+Alpes on remplit toutes les salles et donc les choses paraissent moins graves. Et notre public, c’est un public de pas cons hein !

Vous commencez votre carrière en tant que comédienne avec Godard (Les carabiniers, 1963), puis soudain il y a le basculement musical à la fin des années 60. Quand a commencé votre passion de l’écriture ? Au moment de la rencontre avec Patrice Moullet (Fondateur du groupe Alpes, NDLR) ?

Je suis tombée dans la poésie vers 7-8 ans, commencé à écrire vers 9 ans. Vers 17-18 ans je suis allée seule vers la philosophie. Les textes me viennent, me venaient, machinalement, de manière instinctive. Ca jaillit. Mais tous mes textes se finissent par une note d’espoir. Un jour… la mort décrit la mort sous les traits d’une femme très attirante, comme une séductrice. Ca se termine par « Redonnez-moi la vie, la mort/ Et je vous ferai un enfant ». C’est fort quand même.

Je vois presque un pont naturel avec Nico qui…

Nico, je l’ai rencontré une fois, au Bataclan tiens, et moi je me suis emmerdée. Une femme d’une grande beauté, seule derrière son harmonium… et moi je ne comprenais rien de ce qu’elle chantait.

Mais le côté prêtresse….. C’est en cela que je voyais une similitude, de par la théâtralité.

Ah oui, je vois. Les journalistes ont souvent eu l’habitude de titrer La diva ou La prêtresse en parlant de moi. En ce qui me concerne j’ai abordé tous les thèmes de la vie, l’homosexualité, notamment sur Silen voy Kathy. Silen pour silence, voy pour voyages, Kathy, le prénom d’une femme de la famille Guggenheim. Un chant d’amour très doux. Bref. J’étais obligé pour provoquer les journalistes de leur demander s’ils ne trouvaient pas ce nom de chanson étrange. Et puis j’ai quand même donné deux galas pour les homosexuels à une époque où faire son coming-out était très dangereux. On pouvait se faire virer pour ca.

La set-list du concert au Bataclan est-elle déjà décidée ?

Ce sera la même chose qu’à Palaiseau en février dernier, un disque live génial, qui sonne comme un fou, la voix est superbe, même si elle est un peu en-dessous. Il n’y a même pas eu un trou de mémoire, pas une seule bavure avec les musiciens. C’est un peu inquiétant d’ailleurs, ça met une pression ! Le public lui est toujours là, même à l’étranger, bien que je me sois faite discrète, par la force des choses.

J’ai même entendu que les Américains s’arrachaient vos vinyles à prix d’or..

Oui il paraît.. J’ai failli y chanter aussi, enfin bon.

Arrêtons nous deux minutes sur le groupe Alpes et le concert au Bataclan. Patrice Moullet sera-t-il là ?

Non non… Vous savez il n’a jamais été un fana de la scène. Lui il est avec ses instruments de musiques géniaux à la Défense….

Quelle est la relation qui vous unit depuis longtemps ? De l’amour ? Une pure collaboration musicale ?

Mais dites donc vous voulez en savoir beaucoup…. Cela remonte au tournage des Carabiniers. Il avait 16 ans, moi 21. Patrice et moi c’est… inaliénable entre nous. Il n’y a jamais eu de ruptures, depuis 1962. C’est grand.

Comment se passait la genèse d’un album de Ribeiro+Alpes ? Vous apportiez les textes et la direction d’album et Patrice la musique ?

Oui nous avons toujours fonctionné comme cela, du début jusqu’à 86. J’arrivais avec mes textes, je lui donnais, et généralement dans les 48h qui suivaient j’avais une mélodie par Patrice et je la travaillais à la guitare avec lui. Mais nous répétions beaucoup, énormément. Aujourd’hui ce ne serait plus possible, les musiciens veulent être payés dès les répétitions. Nous avions parfois jusqu’à 8 mois de répétitions…

Vous vous rendez compte à ce moment du décalage entre votre musique et le panorama d’alors ? Vous et Alpes construisez quelque chose de grand, je ne vois que Polnareff dans un autre genre qui ai autant bousculé les mœurs…

Non. Je n’ai jamais eu conscience de cela. Et c’est bien dommage pour moi, aha ! Depuis quelques années seulement je comprends l’impact. Je montais sur scène comme le boulanger fait son pain. Je ne me suis pas rendue compte de tout cela. Comment vous dire…. Je vivais de concert en concert. Après c’est une certaine philosophie de vie, de sa propre existence, et de l’existence des gens qui vous entourent… Il faut le temps pour la réflexion. J’ai passé beaucoup de temps dans la réflexion. Et pour ça personne ne m’a jamais payé !

Vous croyez encore en l’homme ?

Non, son vol est en suspens. Lorsque je dis « Je ne crois pas en dieu » (lui je lui ai dit au revoir à 16 ans) je dis aussi « Parce que je crois en l’homme, et son vol en suspens. L’être humain m’a déçu mais j’ai également dû décevoir. Je crois au final que je ne me suis pas assez aimée. Je suis imprégnée de tout ce qui m’est arrivé, le bonheur glisse et seules restent les misères du monde.

Pour continuer sur cette lancée, je reviens sur le texte d’Un jour… La mort. Cette mort là, avez-vous appris à l’apprivoiser, «vivre avec» ?

Ah… Elle rode, tous les jours, tout le temps. Avec l’âge, le temps qui passe. C’est trop difficile je n’ai pas envie de parler de ça. Je préfère lire. Comme cet auteur américain, Cummings. Après… la découverte de Dylan dans les 60 a bouleversé mon rapport à la poésie, son rapport à la musicalité. Le temps… vous avez 27 ans… Vous ne pouvez pas adhérer à ma notion du temps. Notre devenir est derrière nous, et ça c’est insupportable.

Mais votre avantage sur le commun des mortels, c’est que votre œuvre restera, sera redécouverte.

J’espère. Je ne serai plus là pour le voir. Je serai dans la froideur. J’aimerais parfois que les jeunes gens se disent « merde cette femme là elle a existé, elle a écrit ça ?! ». Si la jeunesse d’aujourd’hui pouvait encore témoigner de cela, avec moi…. Quand je vois les ponts qui ont été fait à Marianne Faithfull, une fille superbe au demeurant, elle n’a eu aucun problème à venir faire son petit tour alors que ce n’est pas une chanteuse. Ca me rappelle quelque chose que je disais à l’époque : « Quand je pense que je lutte pour 95% de connards.. ». Aha ! Mais je rajoutais toujours après qu’en creusant individuellement, chaque personne peut être sauvée, on finit toujours par trouver quelque chose de bon chez l’Homme.

Cela s’appelle la rédemption finalement, même pour une non-croyante…

Oui, tout à fait.

http://www.catherine-ribeiro.com/
http://www.patricemoullet-alpes.com/

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