6 février 2013. 12h00. Hôtel Arvor, 9e arrondissement de Paris. "You live by the sword, you die by the sword" ("Qui vit par l'épée périt par l'épée") conclut Mathieu Pinaud, l'attaché de presse français des Black Rebel Motorcycle Club.

Venu les interviewer à l’occasion de la sortie de « Specter at the Feast », leur septième album, le gars de OUI FM avait apparemment fini par leur parler d’armes à feu. Sur le point de partir, il en discutait encore un peu en off avec leur bassiste-chanteur, Robert Been (ex Robert Turner). Il lui avait demandé s’il connaissait cet ex-soldat américain qui venait de se faire assassiner. « Tu sais, c’est ce mec qui a écrit une biographie où il raconte son expérience en Irak, où il aurait snipé 150 personnes. Il dit que c’était cool, qu’il adore les flingues et l’Amérique. Il vient d’être snipé par un autre traumatisé de guerre... » Je savais pas. Robert non plus.

Comme je l’apprendrai en lisant Paris Match, le gars s’appelait Chris Kyle. Les insurgés irakiens l’avaient surnommé « le Diable ». Sept fois médaillé, après quatre missions là-bas, ce texan marié et père de deux enfants était considéré comme « l’un des plus redoutables tireurs d’élite de la guerre moderne » (derrière le Finlandais Simo Häyha, à qui on attribue environ 700 victimes lors de la guerre finno-soviétique de 1939 ou le Russe Vassili Zaytsev, près de 500 victimes lors de la bataille de Stalingrad en 42). Né dans une famille chrétienne et conservatrice qui possédait un ranch, Chris Kyle s’était toujours senti « une mentalité de cow-boy ». Son père lui avait offert son premier fusil à 7-8 ans. Il s’était engagé dans les Navy Seals (corps d’armée « air, terre, mer » super sélect) à 24, y avait appris à tirer. Il est mort le 2 février dernier sous le feu d’un jeune « soldat qu’il voulait « rééduquer ».

Robert acquiesçait et riait vaguement à l’écoute du journaliste et de l’attaché de presse, et devant son air stoned et ses banalités en-deçà de leurs attentes (« C’est fou tout ce qui se passe aux USA avec les flingues, les gamins qui se tirent dessus à l’école. Il y a une telle fascination pour les armes à feu et l’INRA est si puissante… »), le frenchy avait comme l’impression de lui apprendre la vie alors il faisait feu de plus belle (« Aujourd’hui aux USA, on ne peut même plus avoir de air machine gun ou de desert eagle à côté de son assiette, tous ces gros flingues des usines israéliennes. On n’a juste plus le droit de tuer plus de 10 personnes en un coup ! »). Il affichait sa fascination pour tout ça comme si c’était cool parce que c’était ricain et que l’autre, natural born rocker, allait lui servir une bonne tranche de fantasme. N’avait-il pas écrit une chanson (« Rifles ») sur ça ? Mais non, c’était bizarre.

J’aime beaucoup les BRMC. Je ne les vois pas comme des dieux tout puissants, des mecs qui jouent avec des flingues, mais ils ont sortis trois premiers albums nickel, qui faisaient mouche à chaque plage (« Black Rebel Motorcycle Club », « Take Them On On Your Own », « Howl »). Après ça, je les ai trouvés plus faillibles (« Baby 81 », « The Effect of 333 », « Beat The Devil Tattoo »). Ce n’était plus le carton plein. Mais il y avait toujours de belles choses. Avec Interpol, c’est un des rares groupes de rock des années 2000 que j’ai aimé comme j’ai aimé les groupes de mon adolescence (Pulp, Suede, The Verve, Dandy Warhols, Radiohead…). Avec passion. En chevaliers. Alors je les ai toujours suivis, bien que de plus loin. J’ai toujours voulu les interviewer. Les mettre à mon tableau de chasse. Et je suis venu avec mon épée Damoclès. Car quand on aime avec passion, on est sans pitié. En quête d’adoubement et de vérité.       specter_at_the_feast_cover_600x600

Bonjour Robert.

Robert : Comment vas-tu ?

Bien ! Je t’avouerai que là il est encore un peu tôt pour moi mais ça va !

Robert : J’aime bien les journalistes français car ils ont toujours l’air aussi fatigué que moi ! [Oui, j’ai juste envie d’ajouter que : « Toi, t’es pas juste fatigué, t’es aussi stoned, non ? » Mais bon, j’ose pas bien sûr. Comme de lui demander : « C’est quoi cette bouteille de style soda liquoreux que tu tiens à bout de bras entre tes jambes ? ».]

Ahahah, tu trouves que c’est typique des journalistes français ?

Robert : Oui, je ne sais pas, ça doit être lié à leur culture de la nuit. C’est des couche-tard. Je ne suis donc pas le seul à me plaindre de faire des interviews si tôt dans la journée. [Leah arrive]

Bonjour Leah. Nous voilà au complet, allons-y, honneur aux femmes !

Robert : Hey cool ! Honneur aux femmes, oui, ça me va, ça change et comme ça moi je peux encore dormir un peu !
Leah [timidement, genre : « Why not, mais à quelle sauce je vais être mangée ? »] : Oh yeah…

Leah, tu as rejoint le groupe en 2008. J’avoue que je n’avais pas tilté. Comment s’est faite la rencontre ?

Leah : Je les ai rencontré en tournée. J’étais dans le groupe qui ouvrait pour eux.

Les Raveonettes ?

Leah : Non, un groupe qui s’appelait Dead Combo. C’était à l’époque de leur tournée pour l’album « Baby 81 ». Après Robert et moi sommes devenus amis, on est resté en contact et j’ai fini par intégré le groupe à la fin de la tournée de Baby 81. Voilà, c’était juste une histoire de musique.

Ils ne t’ont jamais dit concrètement : « On cherche un nouveau batteur. »

Leah : Non, ils n’ont jamais formulé les choses ainsi (petits rires) !
Robert : Peter et moi, on l’a vu jouer sur cette tournée et elle nous a fait forte impression. Elle était vraiment intense, dans sa présence scénique et sa force de frappe. J’avais rarement vu ça chez un batteur, que ce soit une femme ou un homme. J’ai donc gardé ça en tête et on est resté un peu en contact, enfin pas vraiment et après…  Euh, là je sais plus ce que je dois dire ou ne pas dire (rires) ! Hé bref, à ce moment-là on avait atteint un stade critique avec Nick (Jago – nda) et Leah était la seule personne qu’on avait en tête donc voilà. Et elle a direct montré qu’elle était ce qui nous fallait. Notre premier concert ensemble, on avait joué pas mal de vieilles chansons je me rappelle, et c’était très puissant. C’était 6 mois avant qu’on se mette à composer « Beat The Devil’s Tatoo ».

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Il n’y a donc pas eu d’audition pour ce « poste » ?

Robert : Non…
Leah : Je dirai que si. J’ai été auditionnée mais pas au sens traditionnel du terme, parce qu’en général quand une audition implique de tester plus d’une personne. Là c’était donc plutôt une audition privée (petits rires).

Ce sont de durs patrons ?

Leah : Oui [elle glousse] !
Robert [se réveillant] : Comment ça ?
Leah : Vous êtes de durs patrons.
Robert [tout coton] : Noooon…

Qu’est-ce que ça fait de rejoindre un groupe qui a déjà 10 ans de parcours et qui était à la base une histoire de mecs [Robert qui boit une gorgée de sa mystérieuse bouteille manque de s’étouffer et rigole sous cape] ?

Leah : Au-delà de la question du genre, quand tu rejoins un groupe, quel que soit ce groupe, c’est dur de s’y faire une place parce que tu as affaire à des gens qui ont déjà des habitudes de fonctionnement et ça peut être perturbant quand une nouvelle personne débarque là-dedans.

Ça l’a été pour vous ?

Leah : Je ne sais pas, demande-le lui.
Robert [essayant de sortir de sa torpeur] : Hummm… Comparé à Nick Jago c’était… C’était un environnements des plus adorables. On a eu tellement de moments difficiles, en interne, avec groupe d’origine… Que oui, c’était bien d’avoir de nouveau une alchimie musicale et d’être capable de composer sans avoir à se battre pendant 5 heures sur chaque chanson qu’on faisait.

Ces tensions internes ne faisaient pas partie de votre processus de création ? Elles n’étaient pas, en un sens, constitutives de votre rock ?

Robert : Non, absolument pas. Je ne vois pas trop en quoi ça aurait pu nous être utile… Hum, la vérité, la triste vérité du rock’n’roll, c’est que tu peux être un glandu total et de ce fait faire du rock’n’roll, mais à un moment donné si cette énergie prend le pas sur la musique et ce qu’elle est censée t’apporter, si ce merdier t’empêche de sortir les chansons que tu dois sortir, alors il faut trancher. Mais c’est vrai, tous les musiciens sont fous et incroyablement difficiles, moi compris, vraiment. Mais Leah donne tellement plus qu’elle ne prend… J’espère que Peter et moi aussi… Tu peux devenir fou mais tu peux aussi devenir celui que tu veux être, tu dois juste te rappeler ce que tu dois fais pour y arriver. Etre là et faire le job, c’est tout.

La plupart des groupes de rock de votre génération, les années 2000, ont splitté après trois ou quatre albums. Vous, vous vous êtes encore là à sortir votre septième album. Comment expliques-tu cette longévité ? Est-ce lié à l’amitié entre toi et Peter ? Au fait que, je ne sais pas, vous habitez à San Francisco et pas à New York… ?

Robert : Chaque groupe est tellement différent que je ne peux pas parler pour eux… et par respect pour tous ces groupes qui se sont séparés, je ne m’avancerai pas à nous comparer à eux… Je n’ai aucune idée des choses contre lesquelles ils ont dû se battre donc je n’ai aucune idée de quoi il retourne. Mais le gars qui était à ta place il y a quelques minutes a dit qu’on était un des groupes les plus malchanceux qu’il ait jamais vu, parce qu’avec toutes les choses qu’on a dû endurer ces 13, 15 voire 20 dernières années… Il y a du vrai là-dedans, c’est peut-être la seule vraie raison qui fait qu’on est toujours là à faire de la musique. On a tellement été poussé à continuer à se battre et à se battre pour continuer qu’on n’a jamais vraiment eu le temps de se demander pourquoi on était encore ensemble à faire ce qu’on faisait. Et quand tu dépasses ça, c’est ce qui tend plus fort et c’est ce qui te fait durer, avancer.

Qu’est-ce que ça vous fait d’en être déjà à sortir votre septième album ? Vous sentez-vous déjà vieux en tant que groupe de rock ?

Robert : Je sens qu’on commence tout juste à tenir quelque chose (rires) ! Tu vois ?

Tu veux dire, devenir adulte ?

Robert : Non, pas adulte, ça c’est encore un truc loin loin de nous. La musique prime toujours, tu vois ? C’est un lent processus.

J’imagine que pour un groupe de rock comme le votre c’est plus facile de trouver des contrats avec des maisons de disques quand on est encore jeune, parce que du coup vous pouvez incarner une relève, mais maintenant que vous allez tout doucement vers la quarantaine, c’est plus difficile, non ?

Leah : Il n’est pas si vieux !
Robert : Wouaw ! Non.

Je sais Robert, tu as quoi ? 35 ans. Mais ça n’empêche, ce que je veux dire c’est qu’à cet âge-là, quelque part on n’a plus la même image auprès de l’industrie du disque, parce qu’on n’est ni mystique vieux à la Johnny Cash ni jeune loup aux dents longues, ça doit donc être plus dur de faire saliver les gros labels, non ?  Parce que vous vieillissez et que le rock est vu comme un truc de jeunes…

Robert : Hum… Je ne sais pas si je suis d’accord… C’est une grosse question… Et je ne sais pas… Prend Leonard Cohen et Nick Cave par exemple, comme eux beaucoup de groupes et d’artistes se sont développés sur la durée et ont crée parmi les plus importantes formes de musique qu’on ait aujourd’hui [Leah aquiesce]. On vit peut-être la fin de tout ça d’ailleurs… Hum, il y a un certain état d’esprit dans le rock’n’roll et il est utile, parce qu’il est idéaliste, à contre-courant du cours ordinaire des choses. Et ça, plus tu vieillis, plus ça devient difficile à défendre. Que tu sois ou non musicien.  Plus tu vieillis plus tu as des chances de devenir cynique, de camper sur tes acquis et ça, c’est la mort de la musique, et notamment du rockl. Donc oui, je ne pense pas que ce soit un truc de jeunes. Mais bon, je ne suis pas si vieux,  j’ai 34 ans et j’espère continuer encore longtemps.

Et commence ça se passe concrètement, pour l’écriture des morceaux ?

13-18-BRMC-_MG_8554 ret 2Robert : Hé bien… Comment je pourrais dire ça ? La plus grande qualité de Nick, qu’il en ai eu ou non conscience [petits rires jaunes], c’était d’être capable d’écouter et de sentir où la chanson qu’on écrivait devait aller. De savoir quand on devait la retenir et quand elle devait rejaillir. Sentir ça sans avoir à passer par les mots et dire « ok, essayons ça et ça« , c’est un don qui suppose une grande capacité d’écoute. Et Peter et moi sommes sûrement les deux pires personnes au monde pour ce qui est d’expliquer ce qu’on veut qu’une chanson soit, vraiment, là-dessus on est infernaux. On a donc besoin de quelqu’un qui sache écouter ce qu’on ressent. Et Leah a ça. Les chansons du nouvel album comme celles de « Beat The Devil’s Tattoo », c’était donc juste nous trois dans une pièce, ne communiquant que par le son. Après, quand tu composes comme ça, il y a toujours un moment où tu te heurtes à un mur parce que toute la chanson ne peut pas sortir comme ça, dans l’instant, avec son pont, sa chute, etc. D’ailleurs certaines chansons de « Specter at the Feast » sont nées de chutes de sessions de l’époque de « Beat The Devil Tatoo », de bouts très cools sur lesquels on arrêtait pas de revenir pour voir si on pouvait bâtir des chansons autour. Funny Games est venu comme ça.

Ce nouvel album a-t-il été dur à faire ?

Robert : Oui, un long labeur [petit sourire].

Plus qu’avant ?

Robert : Purée, oui. C’est le disque le plus dur qu’on ait jamais fait… En fait, la dernière année qu’on a passé sur la route a été la plus dure qu’on ait traversé émotionnellement. Chacun était en train de comprendre et de digérer beaucoup de choses bien plus importantes que la musique et que ce qu’on allait bien pouvoir faire pour cet album. La musique, c’est ce qu’on sait le mieux faire, mais il y a tout le reste… et là tout le reste s’est mis sur notre route. Ça devait passer en premier.

L’album contient des morceaux aux atmosphères très diverses. Au départ on a un peu l’impression d’avoir affaire au monstre de Frankenstein !

Leah : Au quoi ?!
Robert : A la créature du docteur Frankenstein… Le journaliste d’avant a exprimé cette idée d’une autre manière… Mais oui, je vois ce que tu veux dire, et je pense qu’il y a quelques éléments qui font que ce disque a quelque chose du monstre de Frankenstein.

Pour moi, c’est un peu comme s’il y avait plusieurs facettes de BRMC cousues ensemble.

Robert : Oui, qu’on aime ça ou pas, c’était toutes les choses par lesquelles on est passées à cette époque et c’était un bon challenge de trouver comment lier tout ça ensemble pour que ce ne soit qu’un mouvement, qu’une seule pièce. La plupart des journalistes ont trouvé que ça s’enchainait bien, que lorsqu’on écoutait l’album on ne pouvait que l’écouter en entier, et c’est le plus beau compliment qu’on pouvait nous faire car, que tu sois on non d’accord, c’était en tous cas notre objectif. On ne voulait pas que ça sonne comme une collection de chansons disparates, que cela donne naissance à un monstre aux coutures apparentes.

C’est pas un concept album mais on sent qu’il a un début, un milieu et une fin. Il y a même des morceaux assez planants, progressifs. Vous ne serez pas en train de virer « prog rock » ?

Leah et Robert [d’une même voix] : Prog rock ?!
Robert : Peut-être que ce sera pour le prochain album !

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Ça va peut-être vous paraître étrange mais quand j’ai écouté cet album, et ça m’est déjà aussi arrivé avec les précédents, j’ai parfois pensé aux Smashing Pumpkins…

Robert : C’est marrant que tu me parles de ça parce que je pensais à eux l’autre soir. Je ne les ai jamais écouté et, je ne sais plus pourquoi, mais je me suis dit que je devrais aller m’acheter certains de leurs disques.

Tu n’as jamais écouté les Smashing Pumpkins ?!

Robert  : J’ai entendu leurs singles. Ils font typiquement partie de ces groupes dont je me suis toujours dit : « Je m’y plongerai plus tard« . J’aimais bien leur son au début, mais petit à petit ça m’a moins plu. C’est parfois dur de suivre un groupe de rock qui dure (rires) !

J’ai l’impression que vous vous rejoignez parfois sur la dimension heavy de votre son, ce côté noir, pysché, métallique, les frappes de batterie bien « fat » et ce désir de proposer des disques qui pèsent comme une Bible…

Robert : Moi, je sais pas, mais vous avez sans doute raison. Je ferai mieux mes devoirs la prochaine fois. J’aurais écouté leurs disques.

En tous cas, maintenant que vous avez installé votre son, j’imagine qu’on a arrêté de vous comparer The Jesus and Mary Chain, non ?

Robert : Oui, enfin je pense que le truc avec The Jesus and Mary Chain c’était moins une histoire de son qu’une question d’image. Je pense que c’était plus une question d’esthétique, au fait qu’on avait des cuirs noirs et les cheveux en pétards. Parce que sinon, le son distordu qu’on avait était notre propre son. Donc oui, après on nous a un peu bassiné avec ça et oui, en effet on a un peu écouté ce groupe. Mais je veux dire, on pioche un peu partout. Si t’es unminimum malin, tu voles les meilleurs. Beaucoup ne le font pas et c’est une grave erreur (rires) !

A ce propos, j’ai cru déceler quelques emrpunts à U2 sur ce disque. Les auriez-vous volé ?

Robert : J’aime « The Joshua Tree »…

Ça s’entend en effet, sur quelques morceaux bel et bien le souffle mélodique et atmosphérique de ce grand classique du rock…

Robert : Oui, la nature de ces chansons était très ouverte. On sentait que telles qu’elles nous venaient elles avaient besoin d’un large spectre musical. Pour l’enregistrement, on ne s’est donc pas contenté de placer 2-3 micros dans la pièce en essayant de capter tout l’attitude et l’énergie d’un groupe de garage, on a plutôt mis le paquet pour bien prendre chaque instrument séparément et jouer sur chaque nuance des sons. Par exemple, on a essayé que la prise de son de la batterie remplisse l’atmosphère pour te la faire vraiment ressentir. Les morceaux ont été faits comme ça, à une plus grande échelle, comme, je ne sais pas, une célébration de la vie, comme une invitation, pour accueillir les gens. Parce que, comment dire ? Les albums précédents étaient sans doute plus fermés, égoïstes.
Leah : Oui, c’est une histoire de jeu. Pour la batterie par exemple, il y avait plein de détails dans la façon de jouer qu’on aurait totalement squeezzé avec un enregistrement de type garage. On n’est pas vraiment sûr d’avoir envie de virer prog rock [ils rigolent] mais après coup on se rend compte que là on a bien fait d’opter pour un enregistrement high tech.

Quand je parlais de prog rock, bien évidemment, c’était pour vous charrier. Mais ce que je voulais dire par là, c’est que que par moments vous semblez vouloir échapper au rock en partant dans de longs morceaux plus doux, atmosphériques, et c’est bizarre parce qu’en même temps dans le ventre de l’album vous revenez à un rock plus binaire et rageur que jamais. Pourquoi ? Vous avez peur de trop perdre le rock – et donc les fans – de vue ? C’est pour vous rassurer ?

Robert : Hum, je ne dirais pas ça…

Ne seriez-vous pas un peu prisonnier de ce genre de musique balisée qu’est le rock ?

Robert : Oh, non, on aime ce genre de musique ! Le rock, ça va d’Iggy Pop à – mince, que dire ? – je ne sais pas moi, Jimi Hendrix, par exemple. Et c’est le contraste entre toutes ces styles de rock, ce mélange que tu ne peux pas vraiment maîtriser qui fait que… Je veux dire, on ne fait pas dans la reconstitution historique. Comme on produit nos disques nous-même sur notre label, nos disques sont des grandes fêtes où on se fait plaisir, que le résultat final s’avère bon ou pas. On est libre donc on assume (rires). S’il y a aussi des morceaux très rock sur ce disque, c’est donc totalement notre choix. Ces morceaux sont venus naturellement. On était en train de roder Lullaby et Lose Yourself, on était vraiment dans ces morceaux à grandes focales, et à un moment on aussi eu juste besoin de ce pur plaisir de cracher le feu, de nous purger de cette colère et de cette frustration, parce qu’on ne l’avait pas fait avec les autres morceaux.

Ok, je ne veux pas être blessant… mais quand j’écoute ces trois morceaux très rock binaire que sont Hate the Taste, Rival et Teenage Disease, j’ai un peu l’impression d’entendre une caricature de vos premiers brûlots rock [Leah laisse échapper un petit gloussement mutin]…

Robert [rire jaune] : Euh wouaw. Ok.

J’ai eu le sentiment, mais peut-être que je me trompe, qu’aujourd’hui ce que vous aviez à donner se situait plus dans les autres morceaux, panoramiques. Qu’en penses-tu ?

Robert : Hum, j’aime que tu me parles franchement [petits rires nerveux]. J’apprécie beaucoup. [Silence, il cogite, accuse le coup].
Leah [venant à sa rescousse] : Chacun va forcément avoir sa propre expérience du disque et tout le monde n’aimera peut-être pas tout, je ne m’attends d’ailleurs pas à ce que tout le monde prenne tout en bloc, mais voilà la musique est là, et les gens peuvent s’y frotter.

Ce que je demande, c’est : comment pouvez-vous encore accoucher de chanson rock aussi binaires et bileuses ? Cela fait-il vraiment partie de vous ?

13-18-BRMC-_MG_8536 ret cropRobert : Oui, absolument… Notre question c’était juste : Pourquoi et surtout comment mêler ces chansons plus dures à un ensemble de chansons plus douces et panoramiques ? Parce que finalement, il y avait cette nécessité de les mettre. Ces chansons ne viennent pas de la tête…Mais du ventre, des entrailles de la bête, et cette facette fait partie du groupe, et elle s’est exprimé d’elle-même. A un moment j’ai pensé l’ignorer, je me suis dit : « Et si on les mettait de côté pour faire un disque qui serait plus doux du début à la fin, un disque qui mette les gens dans une seule humeur, un seul état ? » Mais ça n’aurait pas vraiment reflété tout ce qu’on ressentait à cette époque, et j’ai pensé qu’il était préférable d’être fidèle à nous-même plutôt que de juste montrer notre beau profil.

En premier single, vous avez tout de même opté pour un morceaux assez soft…

Robert : Soft ?

C’est dur de choisir un titre représentatif d’un disque si varié mais Let The Day Begin fait partie de ses morceaux assez « classic rock »…

Robert : Par soft, tu veux sûrement dire lumineuse ou optimiste…

Voilà.

Robert : Pour nous soft qualifie plus souvent une balade… C’est une reprise d’une chanson de mon père. Il avait un groupe dans les années 80 qui s’appelait The Call et après sa mort [d’une crise cardiaque dans les coulisses du Pukkelpop festival le 19 août 2010 – nda], on s’est dit qu’on allait lui rendre hommage en reprenant une de ses chansons. On ne savait pas laquelle choisir, on a donc travaillé un petit moment pour trouver celle qui exprimerait notre sentiment de perte mais aussi de gratitude envers la vie. Qu’il y ait à la fois la lumière et les ténèbres. Et Let The Day Begin exprime très puissamment ce message de noirceur et d’espoir qu’on voulait transmettre aux gens.

Une dernière question puisqu’on me fait signe de conclure. Quand j’ai interviewé Interpol, Paul Banks m’a dit qu’il considérait son groupe comme une marque. Diriez-vous que vous considérez aussi les BRMC ainsi ?

Robert : J’ai constaté que dans le monde dans lequel on vit, pour exister, un groupe devait être transformé en marque (rires) et il y a plein de choses que je déteste dans cette industrie et je vois aussi le rock’n’roll actuel comme étant à 99 % de la merde, mais dans tout ça il y a toujours 1 ou 2 % de vrais groupes et de belles choses, ça peut être un moment précis dans une chanson, quelques secondes et ça me fait oublier les 99 % de merde habituelles donc voilà, c’est pour ça que j’accepte d’être une marque et de me vendre…
Leah : Que veux-tu dire par « marque » ?

J’avais bien aimé comment Paul Banks m’avait expliqué sa vision de la chose, il m’avait dit que là-dedans pour lui il y avait l’idée de gang, de force, de machine et que le nom de son groupe véhiculait ça contrairement à Stevie Nicks and the blablabla’s…

Robert : Stevie Nicks est une marque…

Oui [rires] ! C’est, vrai, mais vous voyez l’idée, non, cette histoire de tout qui dépasse la somme des parties, de quelque chose de grand qui inspire les gens, comme une église…

Robert : Oui, oui, c’est cool, c’est comme, je ne sais pas, Stevie Nicks si elle cherche une maison de disques, elle n’est plus considérée comme un simple individu, mais comme une marque et elle sera marketée pour être vendue d’une certaine manière. Et Interpol, ou n’importe quel autre groupe de gens qui se réunit pour faire quelque chose qui soit tant que possible plus fort que ce qu’ils feraient tout seul, ils font juste un travail collectif et c’est un peu cynique d’appeler ça une marque…

Parce qu’on est habitué à voir ce terme d’un point de vue cynique, capitaliste et mal intentionné mais on pourrait aussi imaginer une marque bienveillante.

Robert : Appelons plutôt ça un groupe. Il suffit d’enlever une lettre au mot marque [Brand, en Anglais], le « R », et ça y est !

Crédits photos : http://annadabrowska.com/
Black Rebel Motorcyle Club // Specter at the feast // Cooperative Music

9 commentaires

  1. Le concert du samedi était vraiment une bonne décharge d’énergie sombre et l’album me plaît énormément. J’aime et j’ai toujours aimé ce groupe rock qui ne cherche pas les effets de manche.

  2. Bah pour moi c’est l’album de la débâcle avant la remontée avec Leah. Je le trouve trop graisseaux, branlant, il abrite pas leur meilleurs morceaux ni leur meilleur son. Je pense que même eux auraient tendance à le dénigrer… ce qu’ils font là, dans l’interview, à mots couverts en parlant de leurs déboires grandissants avec Nick Jago.

  3. Ce qu’ils ont fait de mieux (pour moi) c’est « Howl ». Le dernier en date est vraiment très boursouflé, quand même.

  4. Je connais mal U2, à part les deux premiers albums (je suis un peu vieux 🙂 et ça ne m’a jamais beaucoup fait vibrer donc je ne saurais pas trop en parler, par contre pour être un peu trivial, je m’en cogne un peu de savoir si il y a des emprunts… la plupart des titres me font de l’effet c’est l’essentiel. Ce dernier album me plaît assez, pour le reste je laisse les appréciations techniques (boursouflures graisseuse et branlantes comprises) aux spécialistes…

  5. Ce ne sont pas des « considérations techniques » Octone. C’est juste que là deux férus de musique (dogme) indé viennent de rentrer dans l’arène et ces gens-là, ils ont des œillères : tout ce qui touche au coeur et parle au grand public, bizarrement ça les dégoûte. Je pense que partant de là, ils ne vont jamais à la mer par exemple parce que la mer c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans. Bref, moi il y a plein de chansons et de disques de U2 que j’aime beaucoup, l’apport de ce groupe à la musique pop-rock est incontestable, tellement que maintenant dès qu’un groupe de rock un peu indé ouvre sa musique en y mettant des arpèges de guitares atmosphères, ce genre de truc que Brian Eno a travaillé sur la guitare de The Edge, bah paf, c’est trademark, on accuse le groupe de faire son U2. Bel état d’esprit…
    Sylvan
    http://www.parlhot.com

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