Né durant la guerre froide, Alvin, de son vrai nom Alvin DSV-2, est un submersible de la U.S. Navy. C'est aussi le personnage principal du nouveau livre d'Alessandro Mercuri : "Le Dossier Alvin". Paru l'automne dernier chez art&fiction, c'est un livre-objet qui mêle histoire(s) à l'heure de Kennedy et des abris anti-atomiques, fiction, mythes et qui se présente comme le carnet de bord diffracté d’un petit sous-marin. Cool et étrange comme un épisode de X-Files réalisé par Greil Marcus.

L’ouvrage débute comme un film, avec le logo d’introduction de la Columbia Pictures s’affichant sur les deux premières pages. Nous sommes le 22 novembre 1963, il est 10h30. À Hollywood, commence la projection test du nouveau Kubrick : Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la Bombe. Au même moment, deux fuseaux horaires à l’est, il est 12h30 à Dallas. La cervelle de Kennedy éclabousse la banquette de la Lincoln noir. Retour à Hollywood. À la nouvelle de l’assassinat du Président, la projection de Dr. Strangelove est interrompue, l’avant-première ajournée et sa sortie en salle repoussée. Retour au Texas. Sur le tarmac de l’aéroport Dallas Love Field. À l’intérieur d’Air Force One, Lyndon B. Johnson prête serment, la main posée sur un document mystérieux. Quelques instants après, il offre au publicitaire Jack Valenti le poste de conseiller spécial à la Maison Blanche. Ce dernier est si loyal à LBJ qu’on dira de lui : « Si Lyndon Johnson décidait de lâcher une bombe H, Valenti appellerait ça un projet de renouvellement urbain. ». Quant à Alvin, lui, il apparaîtra d’ici quelques pages.

1280px-Lyndon_B._Johnson_taking_the_oath_of_office,_November_1963
Ainsi démarre Le dossier Alvin, dans une ambiance de paranoïa atomique. « Enquête, archives, photographies, 23 x 17 cm, 176 pages » précise le sous-titre, comme la promesse du contenu et la confirmation du contenant. Le héros s’appelle Alvin, mais son véritable patronyme est Deep Submergence Vehicle Alvin. Car Alvin est en réalité un petit sous-marin permettant d’embarquer trois personnes et d’explorer les profondeurs. Depuis sa mise en service, en 1964, jusqu’en 2014, il enchaîne 4 700 missions. Officiellement, dans le cadre de recherches océanographiques. Parfois, pour le compte des services secrets américains.

Mercuri-Alvin-CouvSi certains, comme Greil Marcus, fouillent l’histoire souterraine, Alessandro Mercuri – auteur franco-italien touche-à-tout – préfère s’amuser avec l’histoire sous-marine. À travers le hublot du petit submersible, il observe les jeux de miroirs entre des objets et des évènements a priori sans lien. Son enquête le mène à la recherche d’une bombe H disparue au large des côtes espagnoles, à découvrir une base secrète US dans les Bermudes, à chevaucher des hippocampes, à découvrir de nouvelles espèces comme le crabe-yeti, à s’interroger sur la polysémie de la Galatée, à croiser la route de Rita Hayworth, d’Ursula Andress ou des Village People, à convoquer quelques auteurs dont Cervantes, Proust, Ovide, Pausanias et Jean-Pierre Brisset. On se croirait devant le mur d’un enquêteur malade où cartes, photos, rapports de missions, documents déclassifiés et coupures de presse sont punaisées dans un patchwork halluciné et relié par des fils de laines de différentes couleurs.

Aux véritables archives incluses, Alessandro Mercuri dissémine des documents apocryphes tout droit sortis de son imagination. Car l’auteur invente des missions au petit bathyscaphe, et pas seulement. Alvin louvoie entre l’essai philosophique, le documentaire historique, le conte fantastique et le cartoon macabre. Cet entrelacs de textes et d’images n’est donc pas totalement véridique, mais qu’importe, puisqu’il est sacrément poétique et jouissif.

Cet ouvrage hybride se termine par un véritable aperçu des profondeurs : Alessandro Mercuri répertorie la liste des 4 702 missions d’Alvin par ordre antéchronologique, indiquant pour chacune la date, le numéro de plongée, la zone d’opération, latitude, longitude, profondeur – soit 35 pages d’un abysse typographique à explorer. Le lecteur devient alors lui-même Alvin.

Alessandro Mercuri // Le Dossier Alvin // art&fiction
http://www.artfiction.ch/magasin-127.php?1227866846

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages