Nathan Roche, chanteur de l’ancien groupe de punk-rock francilien Le Villejuif Underground, vient de publier sa première bande dessinée, Getting Drafted. Patchwork auto-biographique absurde, l’œuvre fait écho aux pulsions créatives de l’artiste australien désormais reclus, en apparence, au fond d’une vallée des Alpes-Maritimes.

Le tintement des clochettes de la porte du café annonce l’entrée de l’artiste. Au moment de passer à table, le corps de Nathan Roche se désarticule légèrement, comme une marionnette. Un foulard aux motifs floraux jaillit de sa veste en jean. Ses lunettes de soleil, posées de traviole sur ses cheveux gras, glissent sur son nez, alors qu’il confie, avec un accent australien à couper au couteau, avoir « beaucoup bu hier ». On le croit volontiers, alors qu’il s’effondre sur sa chaise, suintant l’alcool froid, avant de se jeter, le visage rougeaud, sur un verre d’eau. Une sorte de sourire naïf et curieux illumine continuellement son visage, même quand il ne sourit pas vraiment. L’artiste a sorti fin avril Getting Drafted, sa première bande dessinée, en anglais.

Quatuor le plus cool de 2019

Qu’est devenu l’énigmatique Nathan Roche ? Les mordus de punk-rock français avaient découvert en 2014 ce grand dégingandé au micro du groupe francilien Le Villejuif Underground. L’ascension a été fulgurante pour le quatuor « le plus cool de 2019 » selon Les Inrocks, à l’affiche de Rock en Seine la même année et aux centaines de milliers d’écoutes sur les plateformes.

Un son « singulier, bricolé, bancal, garage », se souvient Jean-Baptiste Guillot, producteur du label Born Bad Record. Mais surtout, une voix : celle de Nathan Roche. « C’était un chant qui n’en était pas un. C’était parlé ; tellement incarné que tu savais instantanément que c’étaient eux. » Dans le groupe, Antonio, l’ancien clavier, se souvient d’un chanteur qui « mettait toujours en valeur les autres. Tu tentais un truc, il te regardait et te balançait [il crie en l’imitant] « Great, c’est ouf ce que tu fais mec. Incroyable ! » Las, le quatuor explose en plein vol, en 2021, miné par une consommation outrancière de drogues et les acouphènes du guitariste.

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L’écrivain que personne ne lit

Depuis, on a aperçu Nathan Roche comme humoriste : une seule représentation de deux heures, devant 30 personnes – une « catastrophe » en rigole encore l’intéressé. Il incarne ensuite un chien dans une pièce de théâtre d’avant-garde belge. Entre les deux, un album solo en 2022. Le flot de paroles absurdes coule toujours. Après des mois de silence radio, Nathan réapparaît sur Facebook en avril, se présentant, avec Getting Drafted, comme l’écrivain de « plus de 25 romans, recueils de poésies et nouvelles que personne ne lit. »

Extrait de Getting Drafted

 

Nathan a délaissé Paris, il y a deux ans, pour un village encastré au fond de la Vallée de la Roya, une région naturelle dans les Alpes-Maritimes. Il passe désormais ses week-ends à enlever les mauvaises herbes du chemin de Cui de la Cuquette avec ses voisins ou à regarder la rivière couler à côté de la paroisse du village, « la plus belle église du monde ». Il a même rangé sa guitare pour préférer le salariat : depuis janvier, il est surveillant de collège et se lève plus tôt pour avoir le temps de lire. En ce moment, il lit Kobe Abe, « une sorte de Kafka japonais, qui construit des mondes absurdes, avec une ambiance un peu paranoïaque et dont aucun personnage n’est clair ». Un autre homme, Nathan Roche ? Pas vraiment.

« Il a un côté presque hystérique. Quand on se disait qu’on allait faire une tournée, il pouvait envoyer 500 mails le soir même pour trouver des dates » (Antonio du Villejuif Underground)

Entre deux gorgées, on le surprend en train de s’extasier devant la photo d’une orchidée en floraison qui apparaît sur son téléphone. « Tu as vu ? Elle prend la forme d’une abeille quand elle fleurit. Comme ça, les abeilles veulent lui faire l’amour et ainsi, l’orchidée se reproduit. » Brecht, du collectif belge L.I.A.R. – l’éditeur de la bande dessinée – nous avait prévenu. « Toujours en train de rêvasser et de dire spontanément ce qui lui passe par la tête. Il a une imagination sans bornes mêlée à une curiosité insatiable. »

Peut être une image de 4 personnes et personnes debout
(C) Caroline Ruffault

Harry Potter versus Burroughs

L’enfant enfoui en Nathan est bien là. Le gamin du village australien de Townsville a grandi avec les comics The Phantom. Son père, un géologue pourtant austère, « toujours habillé en businessman », en raffolait. Au collège, Nathan se tourne vers la littérature punk. Quand ses camarades lisent Harry Potter dans les couloirs du bahut, Nathan dévore, lui, Le Festin nu, de William S. Burroughs. Ça parle de prises d’héroïne et de sodomies. L’adolescent trépigne. « J’avais envie d’être choqué. Dans ce livre, l’auteur dit spontanément ce qu’il a dans la tête », lance le chanteur, appuyé dos contre la vitre, promenant son regard dans le café. « Ce livre peut détruire des vies. Mais ce n’est pas en consommant des trucs vides sur Twitter que tu vas mieux comprendre l’humain, c’est en lisant des œuvres comme celle-là, avec une vraie trajectoire créative. » Tout juste adulte, la BD revient à lui à Sydney, grâce à son colocataire. Celui-ci l’abreuve des grands-maîtres anglo-saxons : Jim Woodring, Sammy Harkham, Carlos Gonzalez…

Lassé de ses journées monotones, Nathan Roche rejoint ensuite la France. Antonio se rappelle sa première discussion avec ce sans-papiers paumé, ne parlant pas un mot de français, mais qui partageait avec lui l’amour de la grosse picole et de la littérature. « On a passé la soirée à parler du livre La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole complètement bourrés », rit-il.

Crise du manque

En décembre 2023, après une tournée épuisante dans la foulée d’un énième projet musical, le musicien laisse sa guitare au placard pendant quatre mois. Son plus long arrêt en 10 ans. « Mais je me suis senti soudain super mal », se remémore Nathan, imitant son mal-être d’alors en convulsant de tout son corps. « Après une semaine, il fallait absolument que je crée de nouveau quelque chose. » Il jette son dévolu sur son premier amour : la BD. Peu de mots et des images ; c’est brut, direct, spontané. Il reprend le style des affiches de ses premiers concerts en Australie, quand il avait quinze ans. Il sort de sa besace usée un exemplaire de l’autobiographie Getting Drafted. Les formes bavent, les couleurs flashy débordent, des flèches et des lettres hurlées en capitales jaillissent des pages.

C’était quoi le déclencheur qui l’a ramené à la BD ? On ne saisit pas tout. L’artiste évoque d’abord la visite de la chapelle Notre-Dame des Fontaines, dans laquelle « tu vois des vitraux datant du 16ème siècle, dans un style surréaliste, mais des siècles avant. On dirait un peu du Jérôme Bosch. » Ou peut-être était-ce en début d’année, quand il était aide à domicile chez une vieille dame très, très intense. « Elle avait une gigantesque collection de disques de Free jazz et parlait toujours super vite. Un jour, elle s’est mise à me gronder pendant qu’un disque de Free Jazz tournait. [Il l’imite, avec un ton autoritaire, en agitant ses bras] « Nathan t’as pas nettoyé là, et là pourquoi il y a la poussière. » Son regard s’éclaire. « J’ai soudain senti une révélation tomber. Elle parlait vite sur le Free jazz et ça devenait une évidence. Il fallait que je fasse un truc comme ça : rapide, saccadé, spontané. Avec la même énergie que dans ma jeunesse », explique l’artiste désormais âgé de 33 ans.

Nathan referme la bande dessinée. Quatre mois d’écriture lui ont redonné de l’énergie. « J’ai appelé les gars du Villejuif Underground. Je leur ai dit qu’on enregistrait un album en juillet et qu’on reprenait les tournées », lance, surexcité, le chanteur. « C’est difficile de dire non à Nathan », confesse Antonio en souriant. « Il a un côté presque hystérique. Quand on se disait qu’on allait faire une tournée, il pouvait envoyer 500 mails le soir même pour trouver des dates, j’exagère à peine. Lorsqu’il a une idée en tête, tu as l’impression que toute sa vie se met en marche pour atteindre son objectif. »

Nathan Roche, BD Getting Drafted aux éditions belges L.I.A.R.
Disponible nulle part sur internet.

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