Livrer une groupie de 15 ans à Matt Hollywood, manger du quinoa avec Anton Newcombe, ouvrir la portière à Daniel Kessler... Certaines expériences changent à tout jamais la vision idyllique que vous pouvez avoir du Rock'n'Roll. Confirmation lors de la dernière édition du festival This Is Not A Love Song, où j'ai croisé Foals, Jay Mascis et quelques autres de l'autre côté du rideau.

 

Vendredi 3 juin. C’est qui ça, les Foals ?

Les coulisses d’un festival sont l’opportunité de tailler le bout de gras avec des chevelus jetlagués qui ont souvent oublié qu’ils vivaient les meilleures années de leur vie et que le reste ne serait qu’une longue descente vers l’impuissance érectile. Cette année, j’ai pour mission d’accueillir les artistes programmés lors du festival nîmois. Et ça commence tôt avec les Foals.   

Quatre types m’attendent devant l’hôtel de l’Imperator, assis sur leurs valises. Il est 9h30 et les Foals me sont totalement inconnus. Je trace donc dans le hall de l’hôtel, pour attendre patiemment au bar Hemingway. Il y a deux ans presque jour pour jour, c’est à cet endroit que Mark E. Smith m’était apparu, descendant l’escalier de marbre de l’hôtel le plus chic de la ville, avec sa démarche approximative de punk fatigué, carton de bière à la main. Une fois le hall de réception atteint, le pschittt de sa canette avait résonné très fort contre les murs des années 1920. Sur le trajet de l’aéroport de Montpellier, il avait eu le temps de s’en siffler une bonne dizaine et d’en mettre presque autant sur la banquette.

Tout oppose les Falls et les Foals et la route qui mène de l’un à l’autre est parsemée de mauvaises intentions. On vient jusqu’à moi : « – Tu bosses pour le festival ? » « – Oui, vous êtes les Foals ? » Le gars a l’air flatté : « – On est les techniciens sons. » « – Ok, je vous embarque. » Ma seule consigne du jour est inscrite en gros sur mon planning : Foals. Toute la sainte journée, je vais devoir les trimballer de l’hôtel à Paloma, de Paloma à l’hôtel, de la scène à la loge. Ils voyagent à 22 – essentiellement des techniciens son et lumière – et sont au milieu d’une tournée mondiale qui ne suit aucune logique : un jour à Berlin, l’autre à Porto, Cork, Budapest, Vancouver. Avoir du fric évite de trop se prendre la tête à optimiser les coûts. 

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(C) Jean Claude Azria

Sur la route, l’un d’eux m’interroge : « – Roger Waters sera sur scène avec David Gilmour ? » « – Non, seul. » Le successeur de Syd Barrett donnera deux concerts aux Arènes en juillet. À peine arrivé à Paloma, je rempile pour chercher les vrais Foals, cette fois, neuf places et vitres teintées pour éviter je ne sais trop quoi. J’ai eu le temps de faire un check sur google avant que Yannis Philippakis ne monte à l’avant avec moi. Je réponds vaguement à des questions vagues. Sur la route, on évite un barrage de cheminots en colère. Une fois en loge, il leur faut des glaçons, beaucoup de glaçons.

« Merci de m’avoir programmé. » Dans le bureau de prod’, Ty Segall est un peu comme chez lui. C’est la troisième fois qu’il joue ici. Je dois bien reconnaitre que je perds mon objectivité pour tout ce qui le concerne. Parce qu’un type aussi « bankable » qui porte ses cartons de vinyles pendant que ses musiciens trainent des pieds, c’est forcément un mec bien. Dans l’ascenseur, il croise celui qui sera déguisé en Elvis Presley tout le weekend pour marier les gens. Ils sont en tête à tête, Ty Segall le fixe dans les yeux et fait mine de l’exorciser. Un vrai bon gars, je vous dis. Deux heures avant son concert annoncé à 19h30, il monte sur la grande scène extérieure avec les Muggers et s’amuse comme un ado attardé. Je me plante devant et je le trouve assez drôle. Hurlement dans le micro tout droit dirigé dans les oreilles des techniciens sons, massacre de synthé cheap, improvisation sur un thème country, le gars n’est pas là pour s’emmerder. Ceci explique aussi la performance qu’il donnera plus tard. Hilaire Picault a vu juste : « Un combo puissant mais bordélique. »

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(C) Baptiste Manzinali

Je passe les détails sur les balances des Foals : c’est carré, ça chipote pour rien mais ça n’avance pas. Le groupe Palehound, originaire de Boston et mené par Ellen Kempner a raté son avion de New York. Silence radio. Retour dans les loges, la chanteuse de Kamasi Washington – impossible de trouver son nom quelque part, une black bien gaulée avec une coupe afro – est sacrément allumée. Elle en pince pour le vigile, lui ramène du vin rouge, danse devant lui. « Fuck Tennessee, you know what, I fuck this fucking Tennessee. » Tous les regards se jettent sur elle, sur nous, puisque je suis là moi aussi, à tenter de comprendre quelque chose à ce bordel. Le chanteur des Foals veut que je le ramène à l’hôtel, elle me tient le bras et ça devient plutôt gênant. « I come back. » Dans le bus, Yannis Philippakis ne tient pas en place, une remarque attire mon attention : « – She wants my big cock in her ass, all French girl are like that », « – Really ? » « – Yes, sexmaniac ! » On rigole et il me fait tourner sa bière. « You liked the show ? » Je réponds par un « Oh yes ! » sorti des entrailles de ma gorge comme si j’étais encore scotché par sa performance. Performance que je n’ai absolument pas vue.

Retour à Paloma, Ty Segall fait des samples sur son iphone. L’un des musiciens d’Explosion in the sky s’est endormi sur un coussin et ne veut plus s’en séparer. Il nous demande de l’acheter, on lui offre. Fin de la première soirée.

Metz vu de derrière (C) Jean Claude Azria

Samedi 4 juin. « T’as vu la note des Inrocks ? 8/10″

Je suis attendu à 9h, me pointe à 14h. Sur le parking, j’entends la basse de Money de Pink Floyd. Ça vient de Air. Là, les mecs sont plus tatillons, hésitent encore sur leur setlist. « – La fin c’était de la bouillie » « – Bon ben on recommence. » Il y a comme un malaise entre eux, mais je n’apprends rien à personne. 

Après avoir raté leur avion, Palehound a réussi à venir jusqu’à Nîmes non sans mal. Le trio est exténué, je les récupère à l’hôtel pour leur montrer leur loge, leur scène. On parle des Boston Celtics, ils sont plutôt ravis d’être là, mais ne savent toujours pas comment rentrer chez eux, c’est la grève, bienvenue en France. Je suis appelé pour m’occuper des Dinosaur Jr qui voyagent en tour bus. Je me pointe devant le mastodonte noir au moment où la pluie fait son apparition. Le tour manager me fait comprendre qu’il vont rester à l’intérieur pour le moment, le soundcheck est à 22h, on n’est pas en retard. Je m’abrite sous la scène et attends les instructions au talkie. 

Air. Godin, Dunckel et les autres, sont entre temps retournés à leur hôtel pour se la couler douce. Je m’y pointe, les gars descendent au compte-gouttes. Un hôtel en périphérie, au milieu d’une zone commerciale, qui accueille en même temps l’Académie de Nîmes, sorte de loge maçonnique locale. Le contraste est saisissant. « – Ils viennent au festival ce soir. » « – Pour jouer ? » Dans la voiture, le tour manager règle les affaires courantes, les autres discutent. J’entends : « – T’as vu la note des Inrocks ? 8/10 à notre concert de Primavera. La dernière chanson, en gros, ils disent que j’aurais dû chanter. » « – On l’a fait en quatre temps ou deux ? Quatre, sinon j’entends pas ce que tu fais, on a le même son. » « – C’est jeudi qu’on part à Porto ? Oui, puis Londres. Cool ! » Des réfugiés syriens qui font la manche au feu rouge, tentent de nous aborder. Silence de mort, la conversation reprend 100 mètres plus loin.

On arrive à Paloma, un type me demande : « Vous l’avez vu le taureau ? Y’avait des gardians plus loin, il s’est échappé et il est passé tout prêt du site. » Deux heure plus tard et ça aurait été le strike. Les gars de Chocolat – un bon groupe pas original mais qui fait le boulot – ont oublié leur merch’  avant de rentrer chez eux, au Canada.

Jay au Panthéon ?
Entre ici Jay Mascis, toi et ton cortège de cheveux… (C) Baptiste Manzinali

Les membres de Dinosaur Jr sont sortis du bus. La femme de Jay Mascis veut visiter Nîmes. J’embarque Jay, sa femme, son fils. Clairement, c’est elle qui tient la baraque. Jay me fait pensé à Ozzy période MTV. La petite famille s’émerveille quand je leur montre mon appartement. On s’arrête devant tous les monuments de la ville, on parle de l’histoire romaine. Je leur raconte la fois où j’ai fait la même visite à Calvin Johnson le fondateur de K Records. Jay me demande : « – Il n’a pas essayé de te tuer ? »  » – Non, pourquoi ? »  » – Il aurait pu, il l’a fait à Steve Shelley (Sonic Youth) parce qu’il pensait qu’il était possédé par le diable. » Poser en haut des marches de la Maison Carré a un côté « heavy metal » que je n’avais pas capté. Puis, les Arènes, la statue de Nimeno II, un torero devenu à moitié infirme qui a fini par se pendre dans son garage. Jay est visiblement attristé par cette histoire, il pose aux côtés de la statue et prend un air profond. Du coup, j’enchaine sur les Arènes, dont les pierres ont tremblé depuis la venue de Metallica en 2009.  »Whaaaaaaa. » On rentre au bercail et je file au catering manger un morceau. Miki Berenyi (Lush) s’assoit en face de moi. Elle vieillit plutôt bien, mieux que sa musique.

Dimanche 5 juin. Shellac, Shellac, Shellac.

Journée calme. Je croise les potes de Quetzal Snake qu’on connait bien, Kursed aussi, deux groupes locaux qui font du bon boulot. En coulisse, un visage m’est familier. C’est Rick Froberg, chanteur guitariste de Drive like Jehu. Il y a deux ans, nous l’avions programmé dans un bar du centre ville avec son autre formation, les Obits. On n’était pas beaucoup, mais c’était un bon concert. Il s’en souvient encore, surtout des quantités d’alcool pas négligeables qu’on avait écumées, plus tard. Les Obits ont splitté le 1er avril 2015 et ça n’avait rien d’un poisson d’avril. Dommage.

Shellac et la pétanque.
Shellac et la pétanque. (C) Baptiste Manzinali

Steve Albini, Todd Trainer et Bob Weston sont arrivés et je suis clairement déstabilisé. Groupie peut-être un peu, mais il y a de quoi. Shellac, sur scène, c’est une expérience. Des riffs efficaces à faire pogoter un paraplégique, souvent suivis de coupures nettes et volontaires, comme l’envie de ne pas trop en donner et d’éviter la facilité. La batterie est avancée en bord de scène, elle est l’élément central. Les rythmiques sont répétitives, Todd Trainer les déconstruit pour les ramener à l’essentiel. Sur le dernier morceau, Steve et Bob décomposent le kit de batterie un par un pendant que Todd joue encore. Génial. Retour en coulisse, je lui dis qu’il est l’un des meilleurs batteurs que j’ai vu de ma vie, et c’est vrai. Il a aimé l’accueil, souhaite revenir dès que possible. Une petite partie de pétanque avant de partir. Je ramène les Canadiens Metz à l’hôtel. On parle de Shellac avec Alex Edkins, le chanteur, qui a vu la formation de Steve Albini plusieurs fois, notamment aux États-Unis. Ce soir, c’est le meilleur concert auquel il a assisté. Outre Atlantique, le public ne saisit pas l’importance de ce groupe, selon lui. J’en doute pas. 

Retour à Paloma où le festival s’achève par une petite sauterie dans le club, entre les équipes techniques, bénévoles et associations. Ma dernière image est une pyramide humaine de jeunes filles aux seins nues. Un quatrième jour aurait été de trop.

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(C) Baptiste Manzinali

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