(C) Gérard Love

Événement ! Le cultissime critique rock anglais des seventies sort enfin de son silence en publiant son premier roman : The Unstable Boys. L’histoire d’un groupe de rock des 60’s qui revient dans les années TikTok et YouTube. On a pris a cup of tea avec lui pour parler de tout ça. Et puis la conversation a glissé, évidemment, sur d’autres sujets : les Sex Pistols, les Rolling Stones et tous ces vieux trucs que vous adorez, bande de boomers maléfiques.

 « Et bien, ce sera l’occasion que tu rencontres enfin ton voisin », me glisse le rédac-chef. Oui, je dois vous faire une confession : en plus d’être un de mes héros, Nick Kent est mon voisin. Il habite littéralement dans ma rue. Il y a un endroit où je le croise souvent : le magasin Picard. Et depuis, cette question me brule mes lèvres : est-ce que celui qui s’est battu à coup de chaînes de vélo avec Sid Vicious des Sex Pistols et qui partageait son canapé avec Keith Richards ou David Bowie pendant les 70’s possède-t-il lui aussi une carte de fidélité Picard ?

Finalement, cette histoire de voisinage – et de promiscuité avec un héros d’adolescence – est finalement assez proche du sujet du dernier livre de Nick Kent : The Unstable Boys.

Avec ce qui est son premier pas dans le roman, Nick Kent imagine la rencontre entre une vieille star du rock’n’roll borderline et un fan quinquagénaire qui l’héberge. En partant de cette idée, Nick Kent nous brosse le portrait de personnages hauts en couleurs avec un humour so british. Entre Nick Tosches et Irvine Welsh, Kent signe ici une entrée fracassante à l’image de ces trublions du rock qu’ils décrient à merveille. C’est aussi – et surtout ? – un formidable livre à propos de la nostalgie, de l’ère dorée du rock’n’roll, des effets du temps qui passe sur les corps et ce sentiment de ne plus avoir sa place dans ce monde.

C’est dimanche, Nick Kent reçoit à domicile et il est d’humeur parlante. Cela tombe bien, j’ai tout mon temps et je suis venu en claquette-chaussette depuis chez moi. Après tout, j’habite juste à côté.

Peut être une image de 1 personne et barbe
(C) Ed Alcock

 

Nick, après des années à interviewer des personnalités, quel effet cela fait de passer de l’autre côté ? 

Je me suis déjà soumis à cet exercice avec mes deux livres précédents, mais cela reste bizarre. Je comprends mieux les personnes que j’ai interviewées par le passé, et comment ils réagissent au processus d’être interviewé parce que, très souvent, on me pose les mêmes questions : « quel est votre disque favori » ou bien « quel est le plus grand concert auquel vous avez assisté » ? Cela peut devenir ennuyeux au bout d’un moment, car ce genre de questions amène une seule réponse. Si tu es un écrivain, l’idée de donner des interviews, ce n’est pas pour se retrouver dans la même posture qu’une star de Hollywood qui donne des interviews à la chaîne. Cela, c’est juste un boulot, cela ne va pas vraiment réaliser un travail d’ouverture de l’esprit. La personne qui mène l’interview peut ouvrir, relancer, amener de la profondeur. Je comprends pourquoi les personnes qui sont interviewées sont tellement prudentes.

C’était différent avant ?

Quand j’ai commencé à faire des interviews, c’était le début des années 70. À cette époque, il y avait des musiciens comme John Lennon, par exemple. Lennon est un bon exemple, car il pensait réellement que l’exercice de l’interview était une forme d’art à part entière. Il n’allait pas voir un thérapeute ou un psychologue : non, tout ce qu’il avait dans son esprit, il en faisait part pendant les interviews. Si tu lis l’interview qu’il a donné en 1970 à Jann Wenner, le rédacteur en chef de Rolling Stone, c’est 500 000 mots, c’est presque un putain de livre. Et on peut y lire des choses comme « les Beatles sont des connards, je suis un génie ». Un autre exemple qui me vient à l’esprit, c’est Pete Townshend de The Who, qui se servait, lui, des interviews pour dire aux autres membres du groupe ce qu’il pensait d’eux.
L’interview est un révélateur. Oublie le rock et regarde de nos jours : tu as peut-être vu l’interview du Prince Andrew (au sujet du scandale Jeffrey Epstein. NdlR). Ça, c’est l’exemple d’une interview qui compte, qui a du poids. Car tu vois les mensonges qui apparaissent et tu peux observer la personne qui n’a pas peur de poser des questions difficiles. La plupart des personnes aujourd’hui ne savent pas quelles sont les questions difficiles. Ils oublient de les poser ou attendent trop de réponses convenues. L’interview est une putain de forme d’art. C’est l’un des rares moments où les personnes sont au même niveau de communication. Quand une personne parle avec une autre, elles se disent ces choses. Poser les bonnes questions c’est comme jouer aux échecs. On commence toujours par avancer les pions en parlant du dernier disque ou livre, mais ce que l’on veut, c’est savoir ce que la personne a vraiment à l’esprit. Ce qui se cache derrière le masque. Le reste c’est seulement de la promotion. En ce qui me concerne, comme j’ai beaucoup pratiqué les interviews, quand je suis en promo j’essaie de donner aux gens ce qu’ils veulent. Sans tomber dans les clichés du genre : « oui, j’ai mis deux années à écrire ce livre et je sens que c’est la meilleure chose que j’ai faite ». C’est très facile de balancer des clichés, des phrases toutes faites pour la promo : surtout dans le monde de la musique.

Tu as mis du temps à écrire The Unstable Boys ?  

Disons que j’avais déjà commencé une version vers la moitié des années 90 sous un titre différent, mais l’idée principale était déjà là : celle d’un gars qui se retrouve en face de son héros de l’époque où il était adolescent. Et ce héros frappe à la porte et demande s’il peut vivre chez lui. L’histoire d’une rock star has been. À l’origine, je voulais m’inspirer d’une personnalité comme celle de Syd Barrett. Je ne voulais pas forcément partir sur un personnage malsain ou méchant, mais partir sur une personnalité malade ou fragile.
Il y a un dramaturge anglais, du nom d’Harold Pinter, qui a monté des pièces très influentes dans les années 60. Parmi elles, il y a la pièce The Caretaker : l’idée centrale est que tout le monde est fou. Si tu mets deux personnes ensemble dans une pièce, tu vois l’étrangeté apparaître. Et l’une des choses qui m’a toujours intriguée est la suivante : après un succès dans le rock, que deviennent ces personnes ? Je me souviens avoir lu un article au sujet de Greta Garbo. Elle était une icône d’Hollywood super célèbre et tout d’un coup, elle a décidé de disparaître totalement à partir des années 50. Cet article se concentrait sur ces années floues de disparition médiatique et ce qui en ressortait, c’ est que cette femme était devenue très ennuyeuse. Je veux dire, elle n’avait pas de vie, elle ne sortait pas, ni rien : c’était une non-existence.

« Que faisait David Bowie ses cinq dernières années de sa vie ? Probablement assis chez lui à lire un livre ».

Donc, quand ce genre de personnes rencontre un succès énorme, la question que je me pose c’est : qu’est-ce qui se passe ensuite ? Je veux dire, ce n’est pas glamour de rester seul dans un salon à simplement lire un livre. Que faisait David Bowie ses cinq dernières années de sa vie ? Il était probablement assis chez lui à lire un livre, lui aussi. Il devait aussi être occupé à réaliser de la musique, mais il était aussi probablement assis chez lui à regarder sa télévision géante ou bien devant son ordinateur. Surement qu’à cette période, Bowie était frustré de ne pas pouvoir être un musicien actif. John Lennon était très frustré aussi pendant ces années où il n’a rien fait. Même si ce dernier racontait dans les interviews que cette période lui a permis de « se découvrir ». Oui, d’une certaine façon. Mais cela était aussi très dur pour lui. Je veux dire, c’était encore une personne jeune. Quand tu es dans ta fin de trentaine ou début quarantaine, tu es encore très actif et tu ne veux pas t’arrêter.

Ce qui ressort de tout cela, c’est que ce qui se passe dans le rock se déroule sur une période très limitée, comme compacté. Regarde : les Sex Pistols ça a duré combien de temps ? Dix-huit mois ? Nirvana, trois ans ? Même s’il a continué à produire des disques par la suite, la grande période de Phil Spector, c’est seulement trois années. Certains pourront aussi arguer que la période dorée de Bob Dylan va de 1963 à 1966 – même si je ne suis pas d’accord avec ce constat. Mais le fait est que le temps dans le monde de la musique rock est très court. Le groupe Oasis a connu une période dorée très intense qui a duré environ deux années dans les années 90. C’est tout, ensuite ce n’est plus pareil. Tu fais partie d’un phénomène culturel juste l’espace d’un instant. Oasis a été un phénomène culturel de 1994 à 1996 : en 1997, c’était déjà fini. Je veux dire, le groupe continuait de vendre des disques et de remplir des putains de salles énormes – particulièrement en Angleterre où ils sont très appréciés – mais l’aspect phénomène a, lui, disparu. C’est pourquoi une personne comme celle de John Lydon apparaît comme une personne pathétique maintenant. Parce qu’il ne peut pas accepter cela. Et dans la musique, il faut accepter le fait de pouvoir changer. Bob Dylan ou Lennon ont totalement changé, ils se sont adaptés. Si tu es malin, tu ne peux pas rester là à te remémorer les vieux jours de gloire : ces jours ne reviendront probablement jamais. Tu peux peut-être connaître une autre période dorée – qui sera autre chose – et tu peux aussi réaliser un meilleur travail sur le plan artistique que ta période dorée. Mais ce sera très dur et cela ne rencontrera pas autant de succès. Car quand tu fais partie d’un phénomène culturel, tout le monde parle de toi et tout le monde t’aime.

C’était dur pour toi, de passer de l’étape de journaliste à celle d’auteur de romans ?

Oh oui ! Je n’avais jamais écrit de fiction auparavant. Je sais que certains journalistes, quand ils ne travaillaient pas pour des médias, écrivent des nouvelles dans leur coin. Ce n’était pas du tout mon cas. Je n’ai jamais vu la fiction comme étant supérieure à la non-fiction. Que cela soit quelque chose basé sur du réel ou quelque chose qui sort de ton imagination, pour moi, un truc bien écrit est un truc bien écrit. Il existe réellement une différence quand tu commences une nouvelle. La non-fiction ou le journalisme musical existe déjà, en quelque sorte, c’est écrit à l’avance. Quand tu écris à propos des Rolling Stones – la sortie de Satisfaction en 1964, Altamont en 1969, etc. – cela existe déjà. Écrire sur ce sujet c’est comme acheter une maison : les murs ou le toit sont déjà présents. Tu peux refaire la décoration et faire des travaux à ta sauce, mais le matériel de base et la structure sont existants. Mais quand tu te lances dans de la fiction, tu dois construire la maison depuis les fondations. Les premiers temps, je me suis dit : « wouah, c’est un peu comme être Dieu ». Ce n’est pas inapproprié de penser cela, car en quelque sorte tu construis un monde, tu créer des personnages et tu crées des destinées. Ma vision et mon respect pour les écrivains de non-fiction n’ont fait qu’augmenter. Tu sais, je lis beaucoup de nouvelles ou romans depuis des années. Toutes sortes de livres. Mais c’est seulement depuis les sept dernières années où j’ai entrepris d’écrire quatre chapitres pour la version initiale de mon idée d’Unstable Boys. J’ai ensuite envoyé cela à mon éditeur. Il voulait peut-être une suite à mes mémoires Apathie pour l’enfer – ce que je comprends tout à fait d’un point de vue commercial. À cette époque, j’avais juste cette idée d’un artiste rincé qui débarque chez un super fan et ensuite, tout devient de plus en plus bizarre. Et j’ai vite réalisé que cela n’était pas assez pour un livre. C’était juste un premier acte de la pièce. Ce dont j’avais besoin, c’était d’imbriquer d’autres histoires de façon indépendante. Certains personnages n’ont pas besoin de se rencontrer. C’est bien sûr un livre où l’empreinte de la nostalgie et ses effets sur le temps sont très présents. La thématique d’artistes qui vieillissent et les ravages du temps. Car l’art est une forme d’art qui va toujours de l’avant. Dans les années 60, il n’était question que de cela : avancer, évoluer, repousser les limites. Des pas de géants ont été réalisés. Je parle par exemple du son entre les premiers albums des Beatles et celui de The Jimi Hendrix Experience. Aujourd’hui, je ne vois plus ces pas de géants. Ou plutôt, je les perçois dans l’évolution de la technologie. Mais j’ai l’impression que cette dernière prend le dessus sur la créativité. Tu as besoin des deux ensembles.

Comment tu as perçu cet apport de la technologie au service de la musique ?

Dans les 60’s, la technologie a permis au rock’n’roll d’évoluer. Par exemple, si tu te rendais à un concert, au tout début, il y avait seulement des petits systèmes son et pas de retours sur scène. Les batteurs ne devaient pas jouer trop fort pour ne pas couvrir le son. Dès 1965, des amplificateurs de 150 watts ont fait leurs apparitions. Ce qui fait qu’un groupe comme The Who pouvait toucher une seule corde de leurs guitares – Blaaam ! –  et tout se mettait à résonner. Le batteur pouvait donc devenir fou et se lâcher à son tour. Dans cette nouvelle physionomie, le rôle même d’un bassiste au sein d’un groupe a dû être revu pour s’adapter à ce nouvel édifice sonore. Cela allait de plus en plus fort. Et puis sont apparues les pédales d’effets et cela a changé la face de la musique. Tout d’un coup, tu te retrouves avec des groupes comme Cream. Si tu écoutes les groupes du début des années 60, ils sont bons, mais c’est assez timide ; comme s’ils étaient contenus. Quelques années plus tard, cela devient complètement déchaîné et sauvage. Même si cela a mené à observer des groupes prétentieux, l’idée était malgré tout d’aller toujours de l’avant. Si tu écoutes les Beatles au début, tu as Twist And Shout et cinq années à peine plus tard tu as le son de « The Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ». Tu peux peut-être prétendre que Twist And Shout est meilleur que « Sgt. Peppers », mais tu ne peux nier l’évolution énorme ce qui concerne la sophistication des compositions, de l’arrangement, de la technique d’enregistrement ou de montage. En trois ans, les Beach boys sont passés de Surfin’ USA à Good Vibrations. Et c’était très excitant d’écrire à propos de ces artistes, car c’était de la musique avant-gardiste. En tant que chroniqueur, tu ne pouvais pas te contenter de dire : « Eh bien, Good Vibrations, ça sonne comme Freddie and the Dreamers ». Parce que c’était réellement neuf.

« Quand tu observais des mecs en train de jouer devant quelques personnes dans un garage tu ne te disais pas : « tiens, je vais me faire de l’argent à écrire là-dessus ».

De nos jours, quand tu lis des chroniques cela se réfère souvent au passé. C’est ce que je faisais les dernières années où je collaborais pour le journal Libération. J’écrivais des chroniques du style : « et bien ce disque est pour vous si vous aimez Jeff Buckley, Depeche Mode, un peu de Nirvana et un peu de U2 : car il y a un peu de tout cela dans ce disque ». C’était juste un jeu de références parce qu’il n’y avait fondamentalement rien de nouveau dans ces musiques. Il n’y a rien de neuf aujourd’hui. C’est ce qui rendait le fait d’écrire sur la musique excitant dans les 60’s et 70’s. Tu devais te pointer pour assister aux choses en train de naître. Cela te pousse à t’inventer toi-même. Il fallait s’exprimer par n’importe quel moyen – que tu sois payé ou pas, car cela n’était pas le but à l’époque. Je veux dire, quand tu observais des mecs en train de jouer devant quelques personnes dans un garage tu ne te disais pas : « tiens, je vais me faire de l’argent à écrire là-dessus ». Non, mais il fallait juste être au bon endroit, être impliqué, sentir les choses, sentir le changement.

Tu as ressenti une certaine peur de passer de l’étape rock-critic à celle de romancier ?

Oui, je pense d’ailleurs que dans mon prochain livre – même si rien n’est encore planifié – il n’y aura pas de musicien dedans. La musique pourrait juste y apparaître si elle surgit d’une radio au détriment d’une scène, par exemple. C’est ce que j’aimerais réaliser. Même si j’ai bien conscience que le public attend de moi un énième livre au sujet des Rolling Stones. Et je pourrais me faire pas mal de fric avec ce sujet. Juste sur un sujet rabâché encore et encore. C’est ce que l’on attend de moi. Mon éditeur anglais a hésité quand je me suis ramené avec un livre de non-fiction sous le bras. Il m’a plutôt proposé : « pourquoi n’écrirais-tu pas un livre à propos de ton expérience avec les Sex Pistols » ? Mais j’ai déjà donné avec ça avec mon second livre. Ça, c’était moi dans les 1970’s. Aujourd’hui, j’en ai assez et je n’ai plus envie d’écrire à ce sujet. Je ne pourrais pas écrire à nouveau sur ces sujets avec plus de candeur. Je ressens l’envie de commencer quelque chose de nouveau. Je ne peux pas écrire un livre à propos de Neil Young ou Iggy Pop, parce que je l’ai déjà fait. Et honnêtement, si j’en écris un à ce sujet, je ne pourrais rien te dire de plus que ce que j’ai déjà écrit auparavant. Ce serait donc futile. En matière de posture, cela serait juste moi en train de dire : « OK, donnez-moi cet argent ». Pour moi, il y a quelque chose de l’ordre du sacré avec le fait d’écrire un livre. Un livre, mec, c’est une affaire sacrément sérieuse en termes de boulot.

Ta façon d’écrire a changé ?

J’ai toujours été chanceux en tant que journaliste, car j’avais une certaine facilité avec l’écriture. Ce qui était plus dur pour moi, c’était de me trouver dans le bon état d’esprit pour le faire. Mais une fois l’affaire engagée, j’allais très vite. Je me mettais devant ma machine et deux heures après c’était fini – même sur des articles assez conséquents. Mais j’avais besoin d’avoir tout dans la tête avant. Il y a eu une période de ma vie où j’ai juste improvisé et je n’étais pas bon pour ça. Ce dont j’avais besoin, c’est d’avoir une vision de la forme avant. Et c’est ce que j’ai fait quand je me suis attelé à ce roman. Avant d’écrire, je m’assois et je passe plusieurs heures – ou quel que soit le temps que cela prend – à me dire : « OK, tu commences ici puis tu fais un détour par là. Puis tu passes à cette partie à ce moment ». La construction d’un livre est comme une carte. Morceau par morceau, tu construis ta vision. C’est comme cela que je fonctionne. J’ai trouvé ma routine en commençant à écrire à partir de trois heures du matin jusqu’à environ sept ou huit heures : c’est là que les choses se passent et fonctionnent pour moi. Quand j’ai environ 10 000 signes que je trouve bons – pas juste des notes, mais des phrases qui peuvent être publiées – alors j’estime que c’est très bon. C’est comme cela que je travaille. Je dois aussi confesser que j’ai souvent souffert durant ma vie professionnelle d’un manque d’autodiscipline. C’est seulement dans les 25 dernières années que j’ai trouvé les ressources pour être capable de m’imposer une certaine discipline, et que j’ai entrepris les choses avec sérieux.

Une belle surprise au sujet de The Unstable Boys, c’est que c’est un livre très drôle, avec un côté humour noir très appuyé qui fait penser à du Irvine Welsh – et c’est un compliment. C’était une facette que tu voulais explorer ? 

Oh oui, très certainement. Je préfère de loin tenter de faire rire les gens. Plus que tout, même. C’est super de donner aux personnes de grands éclats de rire. L’idéal c’est de donner des pensées profondes, mais au fond une petite voix interne me dit toujours : « Allez mec, fait-les vraiment rire ». J’adore la comédie. Et The Unstable Boys possède ce côté comédie noir, très british, à propos de l’état du pays sur les dix dernières années. C’est un livre qui fait le point sur cette culture de la nostalgie et des personnes qui regardent sans cesse en arrière. Tu sais, on m’a demandé récemment de participer dans un documentaire pour la chaîne Canal Plus à propos d’Iggy Pop (Tell Me Iggy de Sophie Blondy. Un documentaire vraiment pas terrible. NdlR). Et en même temps, j’apprends que j’apparais – sous la forme d’un acteur qui joue mon rôle – dans la série TV sur les Sex Pistols réalisée par Danny Boyle pour Disney+. Je ne sais pas de quoi cela va parler véritablement, j’ai juste vu une photo de l’acteur qui va me jouer – un mec beau gosse et c’est flatteur soit dit au passage – mais je sais qu’en fin de compte je vais être déçu. Parce que c’est ce qui s’est passé déjà par le passé. J’ai déjà été fictionné dans le film Sid And Nancy (réalisé par Alex Cox en 1986, avec Gary Oldman. NdlR) ; Dans ce dernier l’acteur portait une barbe. Une barbe, mec ?! Dans ce film je ressemble à un biker alors que dans la vraie vie j’étais le mec le plus mince de tout le Royaume-Uni. Et le pire, c’est que j’étais imberbe : il m’était impossible de me faire pousser la barbe avant que j’atteigne l’âge de cinquante ans ! C’est très étrange. Je n’ai même pas très envie de regarder cette série. Mes proches sont assez excités de la voir. Mais si tu veux tout savoir, cela me donne l’impression de voir quelqu’un qui creuse ta tombe. Comme l’impression d’être déjà mort… Oui, c’est très étrange.

« Si tu es impliqué de près ou de loin dans le dossier Sex Pistols : tu es foutu ».

On t’a demandé ton avis ? 

Honnêtement, si l’on me demande si j’aimerais apparaître dans ce genre de projet, je répondrais que je serais flatté et que, au fond, je mérite d’y apparaître. Car j’étais le mec qui s’est retrouvé impliqué dans cette putain d’histoire. Je n’étais pas un membre majeur des Sex Pistols et je n’ai écrit aucune chanson. Cependant, ma contribution était de leur faire découvrir des groupes avec une vibe 60’s comme les Stooges et les Modern Lovers (que les Pistols ont repris. NdlR). C’était ma contribution au Sex Pistols. Ça, et le fait d’avoir joué de la guitare pour eux pendant deux ou trois mois. Donc, oui, je pense que je suis flatté d’apparaître dans ces commémorations ou ces séries. Mais de toute façon, si tu es impliqué de près ou de loin dans le dossier Sex Pistols : tu es foutu. C’est comme une malédiction ou une boîte de pandore maléfique que tu ouvres : il y a toutes ces infamies qui t’explosent à la gueule et tu te retrouves dans ce gros bordel. Tout d’un coup, tu deviens une sorte de putain de légende. Et quel est le prix à payer, hein ? Tu n’as pas d’argent. Personne n’a été payé parce qu’une personnalité comme Malcolm McLaren était un triste businessman et parce que Richard Branson à la tête du label de Virgin était, lui, un hippie. Quoi d’autre, encore ? Un des membres est mort d’une façon vraiment moche…

(C) Gérard Love

Et très jeune aussi. Sid Vicious est mort à 21 ans. C’était un gamin.

Oui, et ils doivent vivre avec ça. C’est comme si ces choses négatives étaient programmées à l’avance. Si j’étais resté avec eux, je serais mort. Je le sais. Il y avait quelque chose de profondément négatif là-dedans. C’est intéressant, car avant d’être avec eux, j’avais trainé avec les Rolling Stones pendant environ trois ans. C’était juste après l’album et la tournée « Exile on Main St. », donc la magie était finie.

À l’époque de « Goats Head Soup » en 1973, donc.

Oui, à cette époque tu pouvais sentir que la magie n’opérait plus. Quelques soirs, il se passait quelque chose d’excitant sur scène. Mais en studio, ce qui fait la chimie musicale d’un grand groupe n’existait plus. Quelque chose avait disparu, d’après moi. Ce qui se passait à l’époque pour eux, la façon dont ils vivaient : c’est comme s’ils étaient blasés. Il y avait comme une apathie – c’est pourquoi mon second livre s’appelait Apathy for fhe Devil. Je suis passé de cette expérience très curieuse avec les Rolling Stones, directement à celle avec les très jeunes Sex Pistols. Mais les Stones étaient principalement des mecs issus de la classe moyenne. Ils avaient une attitude désinvolte et rebelle, mais ils jouaient un rôle : ils n’étaient pas des criminels. Les Sex Pistols avaient, eux, un fort potentiel de criminels ou de voyous. C’était le genre de mecs qui auraient pu finir en taule pour des braquages ou des vols s’ils n’avaient pas été dans les Sex Pistols. Particulièrement Steve Jones et Paul Cook, pas Glenn Matlock. Quant à John Lydon, je ne sais pas trop ce qu’il aurait pu lui arriver s’il n’avait pas croisé la route des Pistols… Avant de devenir un Sex Pistols, c’était un gamin très étrange. Il aurait peut-être fini par fréquenter une clinique psychiatrique ?

sex pistols- sid vicious -john simon richie- john Lydon- s… | Flickr
© S. Fitzstephens – 2006

À l’époque où il portait des cheveux longs et verts ? 

Je ne l’ai pas connu à cette époque. Il les avait déjà coupés quand je l’ai connu, mais c’était un individu très étrange. Malcolm McLaren pensait que les Sex Pistols, c’était lui. Il pensait qu’il avait créé cette créature – mais ce n’était pas le cas. Le groupe était déjà ensemble sous une certaine forme ; McLaren leur a juste filé des tas de bouquins et des fringues. Mais il y a une chose importante à mettre au profit de McLaren : c’est qu’il était clean, il ne prenait pas de drogues. C’était le genre de mec à être debout tous les jours à 9 h et s’il avait un truc à faire, il le faisait. La plupart des jeunes, dans la moitié des 70’s, se levaient dans l’après-midi. Ils fumaient un joint, ils pensaient vaguement à ce qu’ils devaient faire, ils allaient éventuellement trouver la force – grand maximum – pour passer un coup de téléphone et puis ils allaient surement retourner sur le canapé pour s’allumer un autre joint et comater devant la télé. McLaren, lui, était une personne très active. Et c’est comme cela que les personnes finissent dans les livres d’histoire. À la fin des 60’s, et particulièrement au début des 70’s, les gens prenaient de la drogue : quelques-uns étaient sous héroïne – mais peu de personnes en prenait, en fait – et d’autres étaient plutôt sous cocaïne. Mais la cocaïne n’était pas de la cocaïne : ils prenaient du speed coupé à la novocaïne. Par contre, absolument tout le monde fumait de la dope. Du genre vingt-cinq joints par jour. Ce qui fait qu’il n’y avait aucune énergie. La jeunesse était comme vidée. Elle passait son temps à fumer des joints devant la télé. C’est comme s’ils s’étaient arrêtés de penser. La plupart des jeunes restaient là à ne rien faire. Mais McLaren était jeune et il voyait cela autour de lui. C’était comme un état d’inertie générale et d’insensibilité profonde. Il fallait juste un mec motivé comme lui ; un type qui ne dormait pas plus de 6 h par nuit. Même si ces idées étaient complètement folles. Mais le fait est qu’il avait la force de les concrétiser.
Tu sais, c’est comme certaines personnes en France – et je ne cite pas de noms – qui clament qu’ils étaient une force majeure de la création du mouvement punk et que McLaren les aurait volés. Je vais te dire, parmi les principales personnes dont McLaren s’est servi pour inventer le punk rock : il y a moi et les New York Dolls. Mais je ne suis pas grincheux à ce propos. J’aurais surement fait la même chose si j’avais été à sa place. C’est ce que je faisais quand j’avais vingt ans en tant que journaliste : si j’étais intéressé par quelqu’un, je le vidai comme un vampire. Si tu avais des informations que je voulais, j’allais te les faire sortir d’une façon ou d’une autre. Et McLaren nous a utilisés, mais hey, on était là pour être utilisés. C’est comme cela qu’agit une personne qui veut prendre la direction des choses. C’est comme toi, Love Gérard : en ce moment même, tu m’utilises pour écrire un article !

C’est vrai, j’avoue…

Alors, quand certains Français ou Américains prétendent que McLaren les aurait volés : eh bien oui, c’est vrai. Le look de Richard Hell de Television, par exemple, a été utilisé par McLaren. Et d’autres encore ont été utilisés, probablement. Mais, la plupart des personnes étaient sous drogues à cette époque. Ils étaient donc occupés à trois choses : chercher de la drogue, gérer les conséquences de prendre de la drogue et dormir. Et McLaren, lui, faisait son marché pendant ce temps. Mais c’était ce type qui allait nous chercher pour aller à la salle de répétition et qui n’arrêtait pas de nous bouger le cul : « faites ceci, faites cela ». Parce que des jeunes comme moi, nous n’avions aucune autodiscipline. Pour être un Rolling Stone, par exemple, tu as besoin d’autodiscipline. C’est pourquoi il est arrivé ce qui est arrivé à Brian Jones : sur la fin, il n’était plus en capacité de jouer de la guitare. Et c’est comme cela que le rock’n’roll fonctionne. On ne va pas te donner une montre en or si tu as deux de tension. Au contraire même : si tu merdes, tu dégages.
Pour revenir aux Sex Pistols, il faut savoir aussi que c’était le groupe le plus froid que tu puisses imaginer : aucun des membres ne pouvait se voir en peinture. S’ils avaient pu, ils se seraient poussés mutuellement sous un train. Littéralement. McLaren a senti cette haine en eux et a pensé qu’ils pouvaient le mettre en forme musicale. Mais vu l’ambiance générale, cela aurait pu durer au maximum six mois ou un an. Aucune chance pour que ça dure plus.

File:Michael Cooper, Mick Jagger, Marianne Faithfull, Shepard Sherbell, Brian  Jones, Maharishi Mahesh Yogi 1967 by Ben Merk.jpg - Wikimedia Commons

Dans ton roman, il y a une scène qui m’a particulièrement marqué. Celle ou le personnage du chanteur débarque chez un fan et profite de lui. Il n’a aucune sympathie et manipule la personne. Cela m’a fait penser à une anecdote assez similaire, sur la fin de carrière, glauque, de Vince Taylor en France.

Oui, c’est exactement de là que ça vient. Le personnage, The Boy, est maléfique. Je me suis inspiré de plusieurs personnages de l’époque punk. Au sujet de cette histoire sordide de Vince Taylor dont tu parles, c’est ma femme qui m’a raconté ça un jour. Quand il était en fin de carrière, dans les années 80, il avait rencontré le président de son fan-club quelque part en Suisse. Il était démoniaque, il s’est fait héberger et il vivait à ses crochets. Il s’est même tapé sa femme, je crois. Bref, il a usé de sa position et a manipulé des personnes. Mais c’est assez similaire à l’histoire de Sly Stone en fin de carrière, qui m’a aussi inspiré.

Sly and The Family Stone Fresh and Small Talk Zine, 1994, … | Flickr

À l’époque où la star du funk dormait dans un van et était dans sa spirale d’addiction ?

Oui, à la moitié des 80’s. Et il frappait aux portes des personnes pour demander à utiliser leurs salles de bain. Les gens le reconnaissaient encore, et bien sûr, ils rendaient service à Sly Stone. Après tout, ce mec avait joué à Woodstock, tout de même. Il frappa une fois, par hasard, à la porte d’un mec : il s’agissait du bassiste de Guns’ N’ Roses, Duff McKagan. Il raconte cela très bien dans sa biographie (It’s So Easy et Autres Mensonges. Édition Camion Blanc. NdR). C’était au tout début de sa carrière, avant les Guns’N’Roses, la gloire et les signatures en maison de disque. McKagan n’avait pas de pognon, il avait du mal à joindre les deux bouts. Donc, un jour, Sly Stone frappe à sa porte : « Wouah, c’est Sly Stone, une légende ! Bien sûr qu’il peut se servir de ma salle de bain ». Sly Stone entre. Et McKagan doit s’absenter un instant pour faire des courses et il le laisse chez lui. Quand McKagan revient chez lui près de deux heures plus tard, Sly Stone est toujours enfermé dans la salle de bain. McKagan frappe à la porte pour savoir si tout est OK. En plus, il sent une odeur bizarre, très chimique : il reconnaît l’odeur du crack. Quand il lui redemande à travers la porte si c’est OK, Sly l’engueule à travers la porte : « Mec, je suis constipé, OK ! Un homme noir ne peut pas être constipé dans ce pays ? Quelle époque de merde, bordel ! ».
Au bout de cinq heures, Sly Stone sort enfin de cette modeste salle de bain dans un brouillard de fumée de crack à l’odeur particulière d’œuf pourri mélangé à l’ammoniaque. Il se dirige au ralenti vers la porte d’entrée, et il se barre. Sans un regard ni un putain de merci. C’est ce genre de personnages et d’histoires, avec un aspect très comédie noire, qui m’a inspiré le personnage de The Boy.

Le rapport aux souvenirs est très présent dans ton livre.

Oui, je parle du rapport à la mémoire. Il y a un personnage qui tente d’écrire les mémoires du chanteur, The Boy, dans mon livre. Et ce dernier ne se souvient de plus grand-chose. Ou alors il confond les dates. Bref, il a la mémoire qui flanche. Beaucoup de musiciens des années 60, ou après, ne se souviennent de rien. Ils peuvent se souvenir d’un événement qui s’est passé, mais beaucoup ne sont plus en capacité de dire la date, l’année ou le contexte. Ce ne sont pas eux qui écrivent leurs biographies, il faut être clair là-dessus. Même si certains le font : Bob Dylan a écrit la sienne, Patti Smith aussi.

Neil Young a écrit la sienne lui-même…

Oui, et c’était de la merde ! C’est quand il a sorti ce livre que j’ai perdu mon respect envers Neil Young. Comment a-t-il osé ? J’ai payé 25 putains d’euros pour lire ce livre. C’était de l’argent jeté par la fenêtre. Je veux dire, Keith Richards a dû se faire près de 7 millions de dollars avec ses mémoires et Bob Dylan près de 10 millions avec les siennes. Alors le manager de Young a dû se frotter les mains, en pensant se faire entre 7 ou 8 millions. Qu’est-ce qu’ils vont offrir comme ouvrage en échange ? Neil Young a juste écrit un putain de journal intime et l’a donné tel quel. À titre d’exemple, une personnalité comme Bob Dylan a livré de son côté un livre fantastique où il s’est impliqué à 100%, c’est de la vraie littérature. Neil Young a écrit un journal qui semble lui avoir pris 20 minutes, qui ne ressemble à rien, où tout se mélange et où tout est confus.

« Au moment d’écrire les notes de pochettes pour la réédition de « Sticky Fingers », je me suis rendu en Angleterre pour m’entretenir avec certains membres disponibles, comme Charlie Watts, et il ne pouvait se souvenir que d’une seule chose : l’avion pour se rendre au studio, car c’était un vieil avion de la Seconde Guerre mondiale ».

Quand on les laisse faire seul, beaucoup de ces artistes sont incapables de se souvenir des détails. J’en ai fait l’expérience il y a sept ans. C’était la première fois en trente ans que les Rolling Stone m’ont appelé pour un travail : il s’agissait d’écrire les longues notes de pochettes pour la nouvelle édition en coffret de « Sticky Fingers ». À cette époque, le projet était de célébrer le disque en organisant une tournée anniversaire où ils jouaient le disque en intégralité. Ils voulaient donc que j’écrive ce gros livret pour le coffret : l’histoire du making of.
Je me suis donc rendu en Angleterre pour m’entretenir avec certains membres disponibles, comme Charlie Watts, Bill Wyman ou Mick Taylor. Mais pas beaucoup d’entre eux ne semblait se souvenir de cette époque. Je me souviens que je demandais à Charlie Watts ses souvenirs au sujet des fameux trois premiers jours d’enregistrement des sessions – ces sessions ont été filmées et tu peux les voir dans le film Gimme Shelter. Le groupe y a enregistré Brown Sugar, Wild Horses et You Gotta Move : trois chansons bouclées en trois jours. Et à ce sujet, Charlie Watts ne pouvait se souvenir que d’une seule chose : l’avion pour se rendre au studio, car c’était un vieil avion de la Seconde Guerre mondiale. Donc, il a passé dix minutes à me décrire l’intérieur de cet avion sous toutes les coutures, mais il n’était pas capable de me raconter comment Brown Sugar a vu le jour ou ce qui se passait dans le studio ! Et ce n’était pas parce qu’il était devenu sénile. Pas du tout. C’était juste qu’il était le batteur et qu’il faisait son travail. C’est-à-dire que la routine du groupe était que Keith Richards attaquait un riff et ensuite Charlie Watts enchaînait derrière ses futs, comme d’habitude, pendant sept heures. Puis au bout de sept heures, ils faisaient une pause, écoutaient un peu les bandes, buvaient un coup et s’y remettaient pour encore sept heures de plus. Je comprends tout à fait cela. Quand un journaliste vient lui demander des choses précises près de 30 ans plus tard, c’est normal que le mec ne se souvienne pas. Car la perception de son quotidien était différente des attentes des journalistes des années plus tard. Ce qui donne la différence entre les attentes du public et les artistes qui écrivent leurs biographies.

Je me permets de revenir sur ton livre, Nick. En le lisant, je me disais qu’il y avait un peu de toi dans le personnage du guitariste, Ral Coombes.

Oh oui, tout à fait. Tu sais, je suis né en 1951, soit six ans après la fin de la guerre. Ce qui fait de moi un parfait baby boomer ; ceux que l’on a l’habitude de blâmer aujourd’hui. Je suis la génération que Kurt Cobain blâmait : « ces putains de baby-boomers ne faisaient que se défoncer, écouter du rock et ils ne pensaient qu’à leurs gueules ». Et d’une certaine façon, il avait raison. Tout à l’heure, tu me demandais qui avait pu inspirer le personnage maléfique de The Boy dans mon roman. Eh bien, c’est aussi Donald Trump.

« Dans chaque groupe de rock, il y a d’un côté celui qui pense – le génie – et d’un autre côté, le barbare. Et il y aura toujours des problèmes d’interaction entre ces deux types de personnalités ».

Au sujet du guitariste de mon roman, c’est un personnage dont je me sens proche, oui. Si j’étais plus vieux de cinq ou six ans, je serais probablement ce type. Tu sais, mes parents étaient des quakers. Ils croyaient en la religion et j’ai donc fréquenté l’église depuis tout petit. Je sais ce que c’est que de grandir dans la classe moyenne bourgeoise en Angleterre. Et ce personnage de Ral Coombes vient du même environnement. C’est un personnage un peu faible – on dit wimpy en anglais – pas très fort ; un type qui ne s’impose pas. Il a de grandes idées, du talent, mais ne croit pas assez en lui. Pour être dans un groupe, il n’a pas assez de confiance pour se tenir debout face au public. Lui, c’est le mec qui reste derrière à la guitare, dans l’ombre. Mais en même temps, c’est lui le génie, celui qui compose les morceaux pendant que le chanteur fou – le personnage de The Boy – fait les 400 coups. Tu sais, au sein des Beach Boys, Dennis Wilson était celui qui roulait des mécaniques à Los Angeles et celui qui pratiquait le surf. Et Brian Wilson, lui, c’était le gamin qui restait sagement devant son piano pendant des heures à composer ces harmonies compliquées. Dans chaque groupe de rock, il y a d’un côté celui qui pense – le génie – et d’un autre côté, le barbare. Et il y aura toujours des problèmes d’interaction entre ces deux types de personnalités.
Le personnage de Ral n’était pas dur à créer. Beaucoup de musiciens que j’ai connu, quand ils ont atteint le middle-age, n’éprouvaient plus d’appétence pour la musique. Ils n’aimaient plus la musique et n’arrivaient plus à écouter la musique des autres. Je ne sais pas pourquoi. Pour moi, si j’arrive au point où je n’aime plus la musique, alors je serais un type vraiment malheureux. J’en écoute au réveil et c’est aussi la dernière chose que je fais avant d’aller dormir. Je pourrais même perdre un doigt, mais pas mon amour pour la musique. Et ne plus aimer la musique c’est une véritable tragédie, surtout pour un musicien. C’est comme être écrivain et ne plus vouloir lire de livres.

Ce sont des aspects du personnage qui m’ont intéressé. Le lecteur fait la connaissance de ce personnage à un moment de sa vie où il est entre la vie et la mort et n’éprouve plus de motivation à continuer. C’est un genre de mort-vivant avant que les événements prennent une autre tournure pour lui. Ce roman, avec le recul, donne une forme d’espoir – à travers ce personnage – à une génération plus vieille. La vie ne s’arrête pas forcément quand on a cessé d’être jeune ou alors qu’un public plus jeune aux gouts différents décide tout à coup que tu es devenu hors sujet. La vie commence tout juste, en fait. C’est peut-être même une faveur que te fait ce public plus jeune en ne voulant plus de toi. Enfin, cela dépend aussi de la taille de ton égo… Si tu es quelqu’un comme John Lydon, l’idée même de ne plus avoir de public peut être un cauchemar. C’est pour cela qu’il apparaît tout le temps à la télé au Royaume-Uni pour se plaindre, encore et encore. Il est devenu ce vieux mec qui se plaint constamment. Il est devenu tout ce que, étant jeune rock’n’roller, il ne voulait pas devenir. « J’espère mourir avant d’être vieux », chantait The Who sur le morceau My Generation. Ma propre génération ne voulait surtout pas devenir une bande de vieux râleurs aigris.

Nick Kent, The Unstable Boys chez Sonatine Éditions.

The Unstable Boys

3 commentaires

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