En deuil monophonique depuis la disparition de son alter égo Marc Moulin chez Telex, le Belge Michel Moers reprend enfin contact après 33 ans d’absence pour un deuxième album solo beau comme un coucher de soleil en 8 bits.

On a souvent raison de se méfier des vieux qui reviennent avec un disque sous le coude. La musique, c’est comme le sexe à trois ou les meubles IKEA, moins on en fait, moins on sait faire. Il faut pourtant croire qu’il existe des exceptions à la règle, et des Belges qui aiment prendre leur temps pour se reposer tel un Ovni en douceur sur la platine.
C’est le cas de Michel Moers, discret compagnon de route de Marc Moulin (décédé en 2008) et Dan Lacksman, dont le dernier album solo remontait à 1990 (« Fishing le Kiss », à la pochette très discutable signé chez Crammed mais dont le titre La route fera une belle carrière dans les sentiers de l’Europop). Et alors, donc que son premier essai fut commercialisé à une époque où internet n’existait pas encore, voici que le septuagénaire réussit l’exploit de tout effacer d’un coup de poignet avec « As Is », à traduire par « c’est comme ça ». Un disque à la fois électronique, tendre et martingoresque qui semble parfois être une suite aux plus belles pages de cet autre projet oublié, Sneaker Pimps, et qui évite tous les écueils du jeunisme au point qu’on aurait du mal à le placer sur une carte du temps. A l’heure de la musique par intelligence artificielle, et maintenant que les ordinateurs ont définitivement gagné leur bras de fer avec les groupes qui les ont fait naitre (Kraftwerk, Telex), la preuve que la carte-mère des humanoïdes résiste mieux que prévu au temps qui passe.

Presqu’un siècle après l’invention du telex, on a donc passé un coup de fil digital à Michel pour en savoir plus sur ce nouveau message.

Michel Moers (Telex) invite Claudia Brücken (Propaganda) sur Microwaves

Dans la biographie qui accompagne ce retour après 33 ans d’absence, il est mentionné que tu as passé pas mal de temps sur tes autres passions – le jardinage, l’architecture, la photographie. Mais un point n’est pas évoqué : as-tu eu peur de ne jamais pouvoir revenir avec un nouvel album ?

Non, pas vraiment. Certes il a fallu que je me botte le cul pour sortir cet album, mais je trouvais que l’effort en valait la peine. J’ai fait les choses comme je voulais – ou pouvais – les faire, et je n’ai plus l’âge pour ressentir quelconque forme de pression. Et ici, j’étais content du résultat. Contrairement à avant, où une nouvelle chanson pouvait me lasser au bout de 15 jours, là je peux tout réécouter avec plaisir depuis 3 ou 4 mois.

Arrives-tu à dater le début et la fin du processus d’enregistrement ?

Le début, c’est certainement le titre Beau-Triste enregistré sur mon premier ordinateur, un CX5M Yamaha monophonique 8 pistes, et ça date de… 1981. Et pour tout le reste du tracklisting, cela s’échelonne de cette période-là à 2023. Disons que certaines choses m’obsèdent, donc je passe mon temps à les retravailler encore et encore. C’est comme retrouver de petites notes écrites dans un vieux carnet ; on retombe dessus bien après et parfois on se dit que ça vaut le coup d’être terminé.

Comme tu sembles extrêmement lucide, tu as certainement l’angoisse des vieux musiciens sur le retour qui reviennent avec des disques, disons, dispensables. Comment as-tu toi-même lutté contre cet effet boomerang ?

Pour l’instant, les retours médiatiques sont plutôt bons, je me suis même fait engueuler par un journaliste anglais me reprochant d’avoir trop attendu. Moi, j’étais content des chansons, ça me suffisait !

Y’a-t-il des artistes contemporains qui t’ont influencé vers ces sonorités « modernes » qu’on entend sur l’album ?

Déjà, j’ai tenté de me détacher de Telex. Puis j’ai pris le parti de textes un peu plus directs, premiers degrés. Et comme je n’ai pas de Moog dans mon studio, cela m’a obligé à éviter les sonorités typiques des années 80. J’ai tout réalisé avec mon Mac et Logic Pro ; de fait cela sonne forcément plus actuel. Et plutôt que d’écouter les autres, j’ai surtout décidé de m’écouter, moi. Le plus dur franchement, c’est de travailler seul [sans Marc Moulins, Ndr], ça m’a pris un certain pour y arriver.

Sur « As Is », il y a néanmoins deux featurings dont un avec Claudia Brücken de Propaganda. Le nom de ce groupe allemand a été un peu oublié par les nouvelles générations ; c’était important de l’avoir sur le disque ?

C’est surtout une question d’alignement de planètes. Voilà dix ans, j’avais réservé un studio à Londres pour enregistrer 4 titres avec notamment une chanteuse pour la chanson en question. Sauf qu’au moment d’entrer en studio, un mec du lieu me dit : « ça te dirait pas d’avoir plutôt Claudia Brücken ? Elle habite dans le coin et je la connais ». Comme j’adorais sa voix, j’ai dit banco, elle est venue, la chanson était en boite et voilà. Et depuis, je n’ai plus jamais eu de nouvelles d’elle.

Comment vis-tu avec le fait de vivre avec le fait de reparler d’un groupe culte (Telex) mort depuis 18 ans, et d’un nouvel album dont la création s’est étalée sur 4 décennies ?

Telex est évidemment une référence qui parle aux médias qui viennent me voir, mais cela aide surtout à resituer d’où je viens.

Telex est un groupe culte en Belgique, mais on a parfois du mal, en tant que Français, à mesurer l’impact du groupe. Ca a été important à quel point Telex, dans la culture belge ?-

Il faut dire que Telex n’a jamais été un groupe vraiment populaire en France, hormis au début quand Europe 1 nous a placé comme le groupe espoir de 1980. On a vendu pas mal de disques partout dans le monde, mais en France, à part Moskow Discow et L’amour toujours… Bon là, avec mon nouvel album, je ne m’attends pas non plus à casser la baraque, commercialement hein. Je n’ai jamais eu besoin d’applaudissements, c’était déjà le cas avec Telex, c’est peut-être un moteur qui me manque.

Pour toi qui as connu les débuts de la musique électronique, comment vis-tu cette période artistique où les intelligences artificielles deviennent capables d’imiter des morceaux de groupes ou mouvements connus en quelques secondes ?

Jusqu’à présent, je me disais que l’important, c’étaient les idées. Maintenant, avec la poussée de ces algorithmes, je commence à être inquiet de l’utilisation qui pourra être faite par ces reproductions, notamment en termes de contournement des droits d’auteur, notamment, même si l’on se doute bien que les machines tenteront en priorité de pondre des tubes, et non des choses très pointues. Mon avis, c’est qu’il faut laisser un peu décanter. Toutes ces générations musicales sont basées sur des choses ayant déjà existé, tout se ressemble fatalement un peu. Même en image, la reproduction par IA ne peut rivaliser avec le plaisir d’avoir créé quelque chose d’original.

Bon pour finir, et histoire de tenter d’expliquer ta disparition, tu étais au courant que tu avais un homonyme sur internet, Michel Moers, électricien ? Rassure-moi, tu n’as pas passé 33 ans à déboucher des siphons ?

Aha non, ce n’est pas moi. Au moins trois fois lors de voyages aux USA, la douane m’a retenu parce que j’avais visiblement un homonyme pas très net. Bon visiblement soit le type est mort soit il a été arrêté, mais désormais je n’ai plus de problème à la douane, et pas certain qu’il s’agissait de l’électricien en question. Comme quoi, on est plusieurs Michel Moers !

Michel Moers // As Is // Freaksville
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