A Enghien comme ailleurs, y’a d’ces mecs je vous jure. Tiens, prenez mon voisin Jean-Olivier : voilà deux semaines qu’il a pris mon trente-trois de Quicksilver Messenger Service en otage et il nous ressort le foulard en arc-en ciel pour promener sa vieille et sortir avec son verrat en bord de lac. Ouais son verrat qu’il tient en laisse, allez savoir, j’ai un peu de mal à voir passer les modes en matière d’animaux de compagnie. Même si de manière générale, j’entrave plus grand chose aux modes.

Tiens, j’étais persuadé que le monde se divisait plus qu’en deux, qu’il y avait ceux qui étaient dedans jusqu’à la dernière mèche de leur fausse coupe rockab’ (entre Morrissey et tiens, encore plus tantouze : Roger Karoutchi) et ceux qui portaient des gourmettes et faisaient la tournée des canapés le samedi soir. Et puis l’aut’ jour, j’arrache son casque Marshall à Brandon, mon simplet de gamin, lui fourre le nez dans son bol de Weetos avant qu’il ne réagisse et tend une oreille au bouzin qui s’échappe des oreilles de cuir. Vous le croirez sans doute pas mais j’étais tellement estomaqué que j’ai pas eu le réflexe de lui donner double ration de mes bagouzes, coup droit-revers façon Bjorn Borg à une époque où le tennis se jouait pas avec des raquettes en titane. Du rap qu’il écoutait le morveux, et du vrai, fait par des noirs ! « Mais Papa, c’est Odd Future ! C’est révolutionnaire, c’est terroriste, du pur génie ». Terrorisme, on galvaude aussi ce mot là maintenant ? Nan parce que balancer à tors et à travers qu’untel est un « dandy », ou que chaque album d’un poivrot de Château Rouge est « chamanique » j’avais fini par m’y faire. Mais le terrorisme, j’ai jamais supporté qu’on rigole trop avec ces choses-là. Calmos, pensé-je, en voilà un qu’à jamais eu à aller à l’école en craignant une attaque de l’OAS sur le passage clouté, ou des blousons noirs dans la petite ruelle où Martine nous montrait sa culotte contre un berlingot saveur cassis. Encore aujourd’hui on est davantage au calme dans sa Fuego toutes options qu’accoudé à la Xerox d’un building construit sur la grandeur de Mère patrie. Alors tu penses bien que toutes ces conneries de choc des civilisations, de grand Satan et d’axe du mal, ça parait bien lointain et très abstrait pour des mioches pour qui Marshall c’est plus que des casques audio pourlingues pour frimer devant Suzette et Anne-Marie. Quoi, elles s’appellent plus comme ça les greluches maintenant ?

Pourtant, j’ai bien tenté de me tenir au courant du sens dans lequel ce monde multipolaire ramait. J’ai lu Gonzaï, voyez ! Même que si je vous parle là tout de suite, c’est bien parce que le patron des lieux m’a passé commande. Ben ouais, je me sentais un peu lourdé ces derniers temps.

Entre tous ces puceaux qui se coincent la queue dans des pianos de poche et l’attente des résultats de ma dernière coloscopie, je me sentais plutôt chafouin. Pas d’humeur à ressortir ma Remington d’avant la crise des missiles en tout cas. Et puis alors que je trainais mon double ventre au rayon littérature étrangère du Cultura de Genevilliers, je suis tombé sur cette citation en quatrième de couv’ d’un bouquin de Dan Fante : « Les écrivains qui n’écrivent pas, dis-je c’est comme les putes qui ne sucent pas ; ils devraient changer de métier, faire cuistot chez McDo ou postier en Italie ». Tiens donc, on pouvait être le fils de quelqu’un et avoir un talent pas piqué des vers. Ca m’a remis une patate digne de Joe Frazier et c’était décidé : en rentrant j’allais refiler mon exemplaire de Tropiques du Cancer à Brandon, m’allumer une Lucky Strike tant que Bobonne était à palabrer avec Eliane, la femme de Jean-Olivier, et agréer aux ordres de Bester Langs. Et puis bon, postier en Italie, je l’avais déjà fait une fois quand j’étais figurant chez Antonioni et j’avais fini par me faire virer. Excès de zèle qu’ils m’avaient dit, je crois surtout qu’avec les ritals, on avait pas la même vision du cinéma.

J’aime pas vraiment qu’on me donne trop d’ordre. Ca tombe plutôt mal, c’est du publi-rédac’ qu’on me demande. Pour The Entrance Band, un groupe que personne ne connait chez moi, pas même Jonathan, le perdreau dont Brandon se sert pour résoudre ses questions d’orientation sexuelle et qu’a toujours pleins de disques intéressants à refiler. Faut dire qu’ils joueront en guest star lors de la sauterie Gonzaï qui se tiendra je ne sais où, dans un quartier de Paris trop sale pour mes boots en croco. Alors j’ai fait un effort, j’ai cherché le disque et figurez-vous qu’on le trouve que sur une plateforme d’écoute gratuite sur internet. Ca partait mal et pourtant c’est pas dégueu pour des blancs becs qui veulent refaire l’histoire. Bon, j’ai un peu de mal avec le publi-rédac’, je l’ai fait qu’une fois pour payer mes factures aux télécoms. C’était juste avant le carton de L’Amour au surgelé, et j’avais du expliquer pourquoi telle marque de pilules contraceptives était meilleure que les autres. Autant vous dire que j’en ai trompé de la fallope, ah ah ah.

Du coup, je vous la fait comme je le sens : The Entrance Band, c’est psyché comme une réunion chez Manson et classieux comme une chemise rentrée dans son futal. Ca vous coupe les poils du nez par les riffs, et vous nettoie mieux les oreilles qu’un coton-tige à l’eau froide. C’est tellement parfait pour des jeunes branlos qui se font masser les pieds gratos dans tous les troquets branchagas de Venice que j’ai même pas spécialement eu envie de me refaire l’intégrale de Gram Parsons en une nuit, comme je l’avais fait pour fêter la dislocation de l’URSS. Pendant ce temps-là, des tas de crétins pas encore en âge de toucher le RMI se découvraient une âme de baba devant l’enfonçage de portes ouvertes d’Oliver Stone. En voyant Val Kilmer se pavaner l’air bouffon en chemise bouffante, Bobonne m’avait même réclamé un coït, c’était la dernière fois que je forçais pas le verrou tiens. C’est comme ça que j’ai compris que ce qu’il s’était passé en Californie fin sixties début seventies n’était jamais plus qu’un marronnier aujourd’hui, qu’au moins deux fois par décennies pulluleraient les ersatz mi-nostalgiques mi-impostures ; et que la bravoure consisterait pour les anciens combattants de mon calibre à rassembler les souvenirs de ce qui nous arrivait par l’ORTF et d’attribuer les bons points aux plus pointus. Mes félicitations à The Entrance Band dans ce cas !

Bon, ça m’a suffi pour la journée mais je vais quand même sonner chez les voisins, histoire de récupérer ma femme et mon disque. Faudrait pas se croire trop vite les pieds dans le Pacifique et la tête dans le bocal d’acide. Je lui expliquerai ça tiens, à Jean-O.

Un publi-rédactionnel signé Guy-Michel Thor sur une commande gratuite et totalement malhonnête de Gonzaï.

The Entrance Band // The Entrance Band // Ecstatic Peace
http://www.myspace.com/entrancerecords

En concert à la Java jeudi 19/05 avec Aquaserge et Melody Syndrome.

6 commentaires

  1. «  »Nan parce que balancer à tors et à travers qu’untel est un « dandy », ou que chaque album d’un poivrot de Château Rouge est « chamanique » j’avais fini par m’y faire » » => PHRASE DE L’ANNEE.

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